Publié le 4 Feb 2020 - 22:23
EFFICACITE DES RAPPORTS DES CORPS DE CONTROLE

Ces plaies dans la gouvernance 

 

Nonobstant les déclarations du président de la République, de nombreux doutes planent sur la suite à donner aux rapports produits par les différents corps de contrôle.

 

Les rapports des différents corps de contrôle se suivent et se ressemblent. Qu’ils portent sur la gestion de l’ancien comme du nouveau régime, des socialistes comme des libéraux, la seule différence porte, parfois, sur la diligence des institutions judiciaires.

Ainsi, pendant que Khalifa Ababacar Sall, Karim Wade, Tahibou Ndiaye, Aïda Ndiongue… ont fini ou continuent de s’expliquer devant les juridictions nationales et internationales, nombreux sont les caciques de l’actuel pouvoir à vaquer tranquillement à leurs occupations, malgré les nombreux rapports les épinglant.

Dans ce contexte, hier, en marge de la cérémonie de levée des couleurs, le président de la République, Macky Sall, ne s’est pas gêné à réaffirmer sa volonté de veiller à la mise en œuvre effective des conclusions de ces différents organes de contrôle. Comme pour se justifier de sa bonne volonté, il rappelle : ‘’A mon arrivée en 2012, j’ai réactivé tous les dossiers de la Cour des comptes bloqués depuis 25 ans. Il a fallu une nouvelle loi pour permettre à la Cour des comptes de faire ce qu’elle est en train de faire aujourd’hui…’’

A en croire le chef de l’Etat, tout cela contribue à renforcer la gouvernance qui est un processus, une pédagogie. Il faut, selon lui, que cet environnement d’autocontrôle, mais aussi de contrôle externe puisse participer à une meilleure gouvernance globale, à une meilleure gestion des deniers publics. Comme pour répondre à ses détracteurs, il faut, de l’avis du président Sall, remettre dans leur contexte le sens des rapports de la Cour des comptes, de l’Inspection générale d’Etat et (de ceux) produits par le contrôle financier. Ces institutions, soutient-il, sont là pour accompagner la gestion des entreprises publiques…. ‘’Voilà la bonne lecture qu’il faut avoir. C’est moins ceux qui s’épanchent dans la presse que les mesures qui ont été préconisées par nous-mêmes pour que, justement, les deniers publics soient gérés de la meilleure des façons’’.

Mais que valent encore de telles affirmations ? Ils sont nombreux, les observateurs, à douter de leur traduction en actes concrets. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le traitement de certains dossiers comme celui de l’ancien ministre délégué en charge de la Microfinance et de l’Economie solidaire, Moustapha Diop (voir ‘’EnQuête’’ n°2572 du lundi 3 février 2020) et de l’ancien directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) Cheikh Omar Hann, semblent donner raison aux plus pessimistes. Eclatée en 2015, l’affaire Moustapha Diop, qui avait défrayé la chronique, a été portée devant les autorités habilitées. Une plainte contre M. Diop a même été annoncée, depuis cette date, par les magistrats, mais elle n’a connu aucune suite significative. Au grand désarroi de certains magistrats.  

D’habitude très réservés, certains membres de la Cour des comptes n’avaient, d’ailleurs, pas hésité à monter au créneau pour s’indigner de ce comportement jugé irresponsable du ministre Diop. Très en colère, le magistrat Aliou Niane disait : ‘’Ce qui s’est passé est plus que grave. Le Sénégal, malgré toutes les péripéties traversées durant son histoire, a toujours été connu comme une grande République, une grande démocratie, une grande Administration. C’était ça notre chance et notre force. Un ministre de la République n’est pas n’importe qui. Il ne peut pas se permettre de tenir certains propos à l’égard des institutions.’’ L’alors ministre délégué en charge de la Microfinance et de l’Economie solidaire avait, à l’époque, traité les magistrats de tous les noms d’oiseaux. Il les taxait, selon M. Niane, de corrompus, de ‘’cour de règlement de comptes’’, avant d’inviter ses éléments à ne pas répondre aux questions des contrôleurs.

Pendant ce temps, l’Exécutif, à commencer par le chef de l’Etat, avait laissé faire. Mieux, le récalcitrant, au lieu d’être sanctionné, a même connu une promotion, en devenant ministre plein, en charge de l’Industrie.

Comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi le cas Cheikh Oumar Hann qui met un vrai bémol à la volonté maintes fois renouvelée par les autorités actuelles d’imprimer une gouvernance sobre et vertueuse des ressources publiques. Epinglé par l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption, l’ancien directeur du Coud a été promu, au dernier remaniement, alors même que la clameur le pourchassait, ministre de la République en charge de l’Enseignement supérieur.

Nonobstant ces différents écueils, le président de la République ne manque pas d’occasion pour réaffirmer son attachement à une gouvernance sobre et vertueuse des ressources publiques. Comme pour se dédouaner, il a brandi, hier, les sanctions pécuniaires qui sont souvent prises contre les agents fautifs par la chambre disciplinaire de la Cour des comptes. Sans tintamarre.

En fait, il faut noter que ces sanctions, bien que réelles, semblent peu efficaces, aux yeux de plusieurs spécialistes. Ces derniers les trouvent ainsi peu payantes, au regard des montants en question. Aux termes de l’article 59 de la loi 2012-23 du 17 décembre 2012 sur la Cour suprême, ‘’la chambre (de discipline financière) applique, à titre de sanction, une amende dont le minimum ne peut être inférieur à 100 000 F CFA et dont le maximum pourra atteindre le double du traitement ou salaire brut annuel alloué à l’auteur des faits à la date à laquelle ceux-ci ont été commis’’.

De ce fait, les spécialistes souhaitent la mise en œuvre de poursuites pénales pour plus d’efficacité dans la répression des actes malveillants.  Ce, d’autant plus qu’il ressort de l’article 79 de la loi susvisée : ‘’Les poursuites devant la chambre de discipline financière ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale ou disciplinaire de droit commun. Si l’instruction ou la délibération sur l’affaire laisse apparaître des faits susceptibles de constituer un délit ou un crime, le premier président de la cour saisit, par référé, le garde des Sceaux, ministre de la Justice et en informe le ministre chargé des Finances.’’

Pertinence de la commission

Par ailleurs, si l’on se fie à l’article 57 de la loi organique, plusieurs parmi les violations soulignées dans les rapports de la Cour des comptes méritent sanctions. Selon cette disposition, est notamment punissable, en matière de dépenses : le fait d’avoir enfreint la réglementation en vigueur concernant les marchés publics ou conventions d’un organisme soumis au contrôle de la cour, le fait de n’avoir pas fait appel à la concurrence dans les conditions prévues par les textes en vigueur ; le fait d’avoir procuré ou tenté de procurer un avantage anormal à un candidat à un marché public ; le fait d’avoir fractionné des dépenses en vue de se soustraire au mode de passation normalement applicable ou d’avoir appliqué une procédure de passation de marché sans l’accord requis ; le fait de s’être livré, dans l’exercice de ses fonctions, à des faits caractérisés créant un état de gaspillage. Parmi ces derniers faits, la loi note, entre autres, les transactions trop onéreuses pour la collectivité intéressée, en matière de commande directe, de marché ou d’acquisition immobilière…

En matière de recettes, la loi prévoit : le fait d’avoir manqué de diligence pour faire prévaloir les intérêts de l’Etat ou de toute autre personne morale visée à l’article 31 de la présente loi organique, notamment le défaut de poursuite d’un débiteur ou de constitution de sûreté réelle. 

Sur la mise en place d’une commission pour veiller au suivi des conclusions des corps de contrôle, certains spécialistes saluent la mesure, mais la trouvent insuffisante. Ils demandent, par ailleurs, l’ouverture de cette future commission à certains segments comme la société civile ou le secteur privé pour plus d’efficacité. Ils craignent, en effet, que cela ne soit une voie pour étouffer les conclusions des rapports. Au demeurant, ces derniers relèvent que le chef de l’Etat devrait veiller, avant tout, à l’application des textes, en ce qui concerne les fautes graves commises par certains agents publics. 

MOR AMAR

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