Publié le 24 Jun 2013 - 10:06
En privé avec… Kalidou Kassé, artiste-peintre

''Aide aux artistes, cela me dérange''

 

A peine rentré du Maroc où il a pris part à l’exposition de la Rencontre Afrique, Europe, Asie et Moyen Orient avec une résidence internationale dans la ville de Casablanca, Kalidou Kassé ne s’est pas donné un temps de répit. A pied d’œuvre dans l’atelier aménagé à l’étage de son domicile, l’artiste-peintre laisse la toile respirer le temps d’une pause pour se confier à EnQuête.

 

Comment se portent les industries culturelles au Sénégal, selon vous ?

Je pense que les industries culturelles au Sénégal se portent bien. Dans la mesure où elles ont toujours existé dans notre pays. Ce concept d’industries culturelles est connue aujourd’hui au Sénégal parce qu’il a été arrangé en termes de mots et de phrase. Mais le tisserand qui s’était enfermé dans son atelier pour apprendre à ses enfants le métier à tisser, c’est une industrie culturelle. Le forgeron qui fait la même chose dans sa forge, c’est une industrie culturelle, idem pour le sculpteur Laobé. Lorsque ce dernier sculpte un mortier qui a une fonction rituelle et utilitaire, c’est une industrie culturelle. Et vous n’êtes pas sans savoir que dans toutes les familles, on trouve un mortier et son pilon.

Maintenant, la question est de savoir ce qu’on appelle industries culturelles. Par rapport à l’Europe, les industries culturelles ont toujours existé. L’industrie de l’automobile est culturelle, certes, mais elle n’est pas créative. Aux États-Unis, on parle d’industries culturelles parce que dans le domaine de la musique, le produit intérieur brut est d’une importance capitale. A notre niveau, je pense qu’il faut reconstituer tout ce patrimoine-là, pour véritablement aller vers une proposition concrète sur le banquet de l’universel.

Avez-vous abordé le sujet avec les autorités culturelles de ce pays ?

Bien sûr. Nous sommes toujours en phase avec les autorités culturelles de ce pays, notamment le ministère de la Culture et d’autres personnes intéressées par les arts plastiques. Nous partageons régulièrement des ateliers pour parler de ces industries culturelles et créatives. Il est important de souligner que ce qui s’est passé dans les années 50 ne peut pas se reproduire en 2013. Dans le domaine des arts visuels que je connais mieux, il y a beaucoup de nouveaux métiers comme la photographie et l’infographie qui interviennent. Par exemple, il fut une époque où la photographie n’était pas prise en compte dans le domaine des arts visuels.

Aujourd’hui, tout est entré en ordre, parce qu’il suffit d’évaluer ce que ça peut rapporter à notre production nationale. C’est dire que les industries culturelles ont une importance. Si cela est reconstitué et répertorié, nous allons tout droit vers une réussite totale. Prenons, par exemple, le cas du Burkina Faso qui est un pays créatif sur le plan de l’artisanat d’art. Il y a assez d’industries culturelles à ce niveau. L’art a beaucoup évolué et a toujours accompagné l’évolution de la société. Chez nous, les Manufactures des arts décoratifs de Thiès font partie des industries culturelles. Il y a eu d’autres qui fonctionnaient au niveau du Sénégal mais nous n’avions pas pris conscience de cela.

Est-ce qu’il y a une véritable volonté politique ou une feuille de routé élaborée pour le développement de ces industries culturelles ?

C’est en train d’être fait. Avec la bonne volonté du ministère de la Culture qui travaille à mettre en place la nouvelle Société de gestion collective, en prenant compte le statut des artistes, leur prise en charge sociale. Je pense qu’on aboutira véritablement à l’élaboration d’un document concret qui permettra le développement des industries culturelles.

Qu’entendez-vous par économie créative ?

L’économie créative, c’est simplement la fonction créative de la culture. Ce sont des termes présents qui nous rappellent ce que nous faisons tous les jours. L’économie créative, c’est le Laobé qui travaille dans son atelier, c’est le peintre qui s’exprime à travers ses œuvres et tend à aller vers une création avec une proposition concrète. En somme, l’économie créative, c’est ce qui nous rapporte un PIB par rapport au développement de notre pays. Par exemple, si une toile présente dans les plus grandes galeries du monde est vendue à des centaines de millions, cela entre dans l’économie du pays. Je prends comme exemple une toile qui est présente dans les plus grandes galeries du monde, si ce tableau est vendu aux enchères à des milliards ou à des centaines de millions, c’est parce qu’il entre dans le domaine de l’économie créative. Nos pays sont encore très jeunes pour arriver à certains niveaux, mais on est en train de se positionner avec de grands événements comme la Biennale des arts de Dakar et tant d’autres manifestations.

Ne serait-il pas important que l’État subventionne le tisserand ou le sculpteur pour développer son entreprise culturelle ?

Je donnais seulement des exemples d’industries culturelles. Mais là, vous me parlez d’artisanat d’art. Je parle plus d’art pur et pour expliquer tout ce que nous faisons dans ce domaine. Il y a l’artisanat d’art, l’artisanat, le design et plusieurs autres éléments dans ce domaine. Chaque secteur est géré par un département. Mais en ce qui nous concerne, nous sommes sous la tutelle du ministère de la Culture. Ce que je voudrai souligner quand vous parlez de subvention, c’est plutôt une forme d’accompagnement parce que le terme ''aide aux artistes'' me dérange. Je préfère qu’on dise subvention et accompagnement pour les artistes. Cela est extrêmement important. Si à travers de grandes manifestations, les artistes ont de grands projets qui contribuent au développement du pays, le ministère de la Culture doit financer une grande partie et les mécènes le reste. C’est ce qui se fait dans les pays de l’Union européenne et c’est important.

Quel est le lien entre l’art et l’économie créative ?

Il y a souvent une relation négligée entre l’art et l’entreprise ou économie créative, celle-ci est pourtant la base et l’essence même de la réussite productive de l’entreprise. En d’autres termes, c'est l’artiste qui, grâce à son outil premier qu’est l’inspiration, conceptualise une voiture, un avion, un objet ou toute autre création destinée à l’entreprise, pour ensuite la retracer avec des logiciels en 3D et en maquette finie afin de la soumettre à la production. En somme, l’art est à la base de la créativité dans une entreprise. En ce troisième millénaire caractérisé par de profondes mutations sociales, culturelles et technologiques, la contribution de l’art dans la société ira en s’accentuant. L’art a beaucoup évolué et a toujours accompagné l’évolution de la société. L’architecture est le domaine où l’on utilise le plus de matériaux avec une expression de création virtuelle et physique.

Pour faire le rapport entre art et entreprise, il y a l’exemple de l’architecte qui à partir d’un bloc de pierre récrée notre environnement, ou la sculpture qui souvent s’exprime dans les matériaux, bois, pierre, fer, marbre, etc. Mais aujourd’hui, on y intègre l’installation comme mode d’expression. La peinture comme medium où l’on utilise pratiquement 90% de matière grise en termes d’émotions, de sentiments, de fantasmes et pratiquement 10% de matière brute.

La communication de l’artiste, c’est par son inspiration, ses pinceaux, ses installations ou tout autre support. Ce dernier est à même de porter le message au-delà de l’ère géographique à laquelle il appartient. De sensibiliser ses contemporains sur les périls qui menacent l’existence ici-bas, pour en prendre garde. Aussi, par la magie des couleurs et de l’imagination, son message emportera plus facilement la conviction de l’homme et la génération future. La récupération : le recyclage par la créativité permettra non seulement de donner une seconde vie à des objets ou espaces condamnés à une destruction certaine, mais aussi d’augmenter notre confort en les intégrant dans la rubrique consommation en termes d’œuvres d’art.

Quelle est la place des mécènes dans les industries culturelles ?

Les mécènes jouent un rôle capital dans le développement des industries culturelles. Et c’est le lieu de lancer un appel aux entreprises du secteur privé en leur demandant d’accompagner davantage la création. Nous sommes dans un monde où une entreprise doit avoir du cœur. Et avoir du cœur, c’est avoir de la créativité. C’est ainsi que les artistes doivent être dans le processus de la création des entreprises pour donner leur vision en termes de créativité. Parce que prenant en compte les valeurs sociétales pour la préservation des identités culturelles, l’entreprise est tout d’abord multiculturelle. Je prends l’exemple de Gérard Sénac à qui les artistes rendent hommage et qu’ils remercient pour le soutien infaillible qu’il ne cesse d’apporter à la culture sénégalaise depuis plusieurs années.

Que ce soit dans la mode, la littérature, les arts plastiques, le design, la musique, Eiffage est présente dans toutes les manifestations culturelles. Il y a aussi Mbagnick Diop qui à travers des manifestations, organise la vente aux enchères des tableaux d’art. Je pense que les entreprises doivent suivre pour accompagner la création. Parce que l’avenir de ce pays est dans la création et la jeunesse porte la création.

Almami Camara
 

 

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