‘’J’exhorte le président Macky Sall à soutenir la compagnie nationale Daniel Sorano’’
Formée à l’institut national des arts du Sénégal en 1976, Ndèye Bana Mbaye a fait ses premiers pas de danseuse professionnelle avec la Compagnie Moudra Afrique créée par Léopold Sédar Senghor, premier président de la République du Sénégal et Maurice Béjart, sous la direction de Germaine Acogny. Ancienne danseuse du ballet national La Linguère du théâtre national Daniel Sorano, elle en est devenue la directrice depuis février 2012. Mme Faye s’est confiée à EnQuête.
Quand avez-vous intégré le ballet de la compagnie nationale du théâtre Daniel Sorano ?
C’est en 1982 que j’ai intégré le ballet national de Daniel Sorano. J’ai commencé par le deuxième ballet ‘’La Sirabadral’’ qui était là. C’est après que les éléments ont été affectés un peu partout. Et certains sont partis à la retraite anticipée. C’est à ce moment que j’ai été nommée Maîtresse de ballet de La Linguère jusqu’en 1998. La même année, j’ai demandé à être affectée pour me reconvertir en comédienne dans la troupe nationale dramatique. J’ai pratiqué le théâtre parce que l’artiste doit être complet. J’ai vécu une expérience de quatorze ans avec la troupe nationale dramatique. C’est au mois de février 2012 que j’ai été nommée Directrice du ballet national La Linguère.
Pourquoi aujourd’hui, le ballet national n’est pas bien connu du public sénégalais?
Le ballet national La Linguère était très connu avant. Parce qu’il y avait de grands danseurs, de grands chorégraphes et un Directeur général impliqué qui se battait nuit et jour pour que les différentes troupes de Sorano soient connues à travers le monde.
Il s’agit de Maurice Sonar Senghor, le premier Directeur de la Compagnie nationale Daniel Sorano et neveu du président Léopold Sédar Senghor. A cette époque, la danse n’était pas tellement connue. Seuls quelques ballets nationaux étaient connus à travers le monde parce que la danse n’était pas ouverte comme c’est le cas aujourd’hui.
Mais actuellement, il y a tellement de ballets, de troupes, de danseurs qu’on n’arrive plus à distinguer les professionnels et les amateurs. Il y a aussi l’effet de la crise qui est ressentie mondialement. Ce sont là autant de difficultés qui ont fait que le ballet national n’est plus connu. Il n’y a plus de marketing comme cela se faisait dans le passé.
Avant, on était présent sur les plateaux de télévision et des journalistes spécialisés dans la culture venaient vers nous. La promotion était bien faite. Le public connaissait le travail que l’on faisait et l’importance culturelle du ballet. Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de journalistes qui s’intéressent aux activités du ballet national. Et ce n’est pas nous qui irons vers la presse.
Quelle est la part de responsabilité de l’Etat dans une telle situation?
Il faut admettre que l’Etat a une part de responsabilité sur le fait que le ballet national ne soit pas bien connu du public sénégalais. Le ballet national en danse, en théâtre ou en chants lyriques représente les couleurs du Sénégal partout dans le monde. C’est comme les équipes nationales de football et de basket-ball. Le président Léopold Sédar Senghor s’impliquait pour donner de la visibilité à notre culture à travers la compagnie nationale Daniel Sorano.
Avant de se rendre en visite officielle dans un pays, c’est le ballet national La Linguère qui le précédait pour donner une série de spectacles. Les habitants du pays hôte se demandaient : ’’Quel est ce pays ?’’ On répondait : ’’C’est le Sénégal. Son président est Léopold Sédar Senghor et il est en route pour venir chez vous.’’ Chaque fois que le président arrivait quelque part à l’occasion d’un sommet, les autres chefs d’Etat l’ovationnaient. Cela était la preuve que le Sénégal a une culture riche aux yeux des autres nations. Il mettait l’avion présidentiel à la disponibilité de la compagnie Daniel Sorano. Il nous arrivait de faire une tournée de quatorze mois.
Pour nous permettre de rentrer avec tous nos bagages et tout le matériel, le président Senghor affrétait un bateau. Le président Abdou Diouf avait suivi la voie de son prédécesseur avant d’arrêter. La dernière fois, c’était au Venezuela. J’exhorte le Président Macky Sall à soutenir la compagnie nationale Daniel Sorano. Parce que la culture est la matière première qui fait la fierté du Sénégal dans le concert des nations.
Est-ce que l’émergence de la danse amateur constitue un obstacle pour vous ?
Je dirais oui. Parce qu’avant, c’est un public connaisseur bien cadré qui s’intéressait au ballet national. A cette époque, c’était la danse traditionnelle pure et dure. Vous savez, le ballet national répond à certains critères. Notre rôle consiste d’abord à mettre en valeur la danse traditionnelle pure et dure de chez nous. C'est-à-dire valoriser notre propre culture. Ensuite, s’ouvrir au monde entier comme disait feu Léopold Sédar Senghor : ‘’Enracinement et ouverture.’’
C’est cette notion de valoriser notre culture qui est un peu perdue. Si j’ose le dire, les danses actuelles sont des créations que nous les professionnels ne maîtrisons pas. Parce que moi, en tant qu’ancienne danseuse et responsable du ballet national, je n’accepte pas que l’étranger qui est venu chez nous pour découvrir la culture du Sénégal, on lui montre autre chose.
Je l’ai tout le temps déploré. Nous avons le devoir de transmettre un message culturel. Parce que nos anciens nous ont enseigné tout ce qui est la danse traditionnelle sénégalaise à l’image de toutes les ethnies du terroir. Nous avons l’obligation de pouvoir exécuter toutes les danses des ethnies du Sénégal.
C’est donc notre devoir de pérenniser ce que les anciens nous ont transmis en l’inculquant aux générations futures. Il est important pour nous de former nos enfants sur nos propres valeurs et nos acquis culturels. Les enfants ignorent tout de notre culture. Parce qu’on leur montre des danses qui ne reflètent pas nos réalités culturelles. Notre devoir est de conserver le patrimoine culturel riche et authentique tel que nous l’avons trouvé pour le transmettre aux enfants du Sénégal.
Il est important qu’ils sachent l’origine et l’histoire des danses wolof, mandingue, sérère, etc. Pour la première dans l’histoire du ballet national, nous avons inclus la danse manjaque avec le nouveau programme qui est en train d’être monté. C’est sur cette lancée que les autres artistes danseurs doivent s’inscrire pour faire connaître notre culture.
Existe-t-il un programme annuel pour le ballet national ?
Le rôle du ballet ne consiste pas à travailler sur un programme chaque année. Nous avons un programme à travers lequel tous les Sénégalais se retrouvent culturellement parlant. C’est un programme qui peut aller au-delà de trois ans. Parce que le ballet national ne joue pas que pour les Sénégalais. Nous voyageons dans la perspective d’ouverture vers le monde entier. Le ballet ne peut pas faire le tour du monde en une année. C’est ce qui explique la longévité d’un programme riche par exemple.
Actuellement, le ballet travaille sur le programme Pangol que j’ai trouvé. On l’avait monté pour la saison 1994-1995. Et pour avoir participé à sa conception, je suis dans mon élément en tant que Directrice. Mais j’ai fait quelques retouches pour éviter une rupture malveillante. Il y a un changement qui s’imposait. J’ai donc écrit un scénario avant d’aller discuter avec le Directeur général sortant en la personne de M. Ousmane Diakhaté qui m’a nommé à ce poste. Il m’a donné son accord.
Aujourd’hui, nous sommes en train de monter ce programme avec le soutien du Directeur général actuel M. Massamba Guèye. Nous comptons terminer le travail pour le montrer aux Sénégalais au mois de janvier 2014.
Almami Camara