Publié le 16 Jun 2013 - 23:39
EN PRIVÉE AVEC GRAND CORPS MALADE, SLAMEUR FRANÇAIS

''Je n'ai pas de problème avec les étiquettes''

Grand Corps Malade

Slameur français de renom, connu et adulé, Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, est à Dakar dans le cadre du Tandem Dakar-Paris. Rencontré dans les jardin de l'Institut français Léopold Sédar Senghor, il a confié à EnQuête son expérience avec les jeunes du Collectif vendredi slam et évoque son séjour au pays de la Teranga. L'interprète de ''Comme une évidence'' revient sur ses passions : le sport et la poésie, parle de son accident et des moments durs qu'il a endurés.

Pourquoi l'appellation Grand corps malade ?

Au départ, c'était une bêtise, une connerie pour donner un nom comme ça. J'aime bien les noms indiens (petit œil malicieux, cheveux aux vents). Ces choses qui définissent un esprit, un physique en deux ou trois mots. Ce n'était pas voué à rester au départ. Je l'avais dit pour déconner lors d'une soirée slam et c'est resté.

Et cela vous colle bien maintenant ?

Oui, ça me va bien. C'est mon nom de scène.

Vous êtes au Sénégal depuis quelques jours. Comment trouvez-vous le pays ?

Cela fait longtemps que je voulais venir ici. Je ne sais pourquoi on n'est pas venu plus tôt. C'est le pays d'Afrique où j'ai reçu le plus de messages pour me demander quand est-ce que j'allais venir jouer ici. Ce que je sais en plus, c'est qu'il y a une scène slam très dynamique ici. On a mis du temps mais ça y est nous voilà avec toute l'équipe. Je suis très content d'être là. On vient d'arriver, je n'ai pas encore vu grand-chose mais je sens que c'est dynamique, qu'il y a de l'énergie ici et de bonnes vibrations.

Vous avez tenu un atelier d'écriture avec le Collectif vendredi slam. Comment trouvez-vous ces jeunes ?

On a fait plein de choses. On a fait d'abord une scène slam hier soir (Ndlr : mercredi soir, l'entretien a été réalisé jeudi). Normalement, çà devait se faire vendredi, mais comme c'est le jour du concert, on a transféré ça sur le mercredi. J'ai vu beaucoup de talents. Il y a un vrai niveau ici. Je crois qu'ils sont en train de pousser les murs, d'ouvrir les portes. Je pense qu'on va entendre parler d'eux. Qu'ils continuent et qu'il fassent des soirées, des festivals, des ateliers dans les écoles. Je crois que çà sent bon pour eux.

C'est quoi un slameur d'après vous ?

Un slameur est un auteur avant tout et un interprète. Le slam est quelque chose que l'on partage. Pour qu'il y ait slam, il faut qu'il y ait un auditoire. Le slam, c'est une bouche qui donne et des oreilles qui prennent. Moi, ce que j'aime faire, c'est écrire des textes pour les partager avec le public. J'ai commencé dans les petits bars en France. J'ai eu la chance de mettre mes textes en musique et petit à petit de faire des disques.

Seriez-vous d'accord qu'on vous assimile à un chanteur ?

Je n'ai pas de problèmes avec les étiquettes. Je ne chante pas. Je dis et je scande mes textes. Mais à partir du moment où un texte est mis en musique et mis sur un album, si on appelle ça une chanson, ça ne me dérange pas. Je ne chante pas mais si on m'appelle  chanteur, cela ne me vexe pas non plus.

Comment êtes-vous devenu slameur ?

Comme tout le monde, en passant la porte d'un bar où il y avait une soirée slam. J'étais assis là à écouter des slameurs et des slameuses pendant deux heures. Il y avait beaucoup de talents, pleins de styles différents et cela m'a donné l'envie de participer.

Aviez-vous des prédispositions en écriture ?

Oui mais je n'écrivais pas énormément. C'est-à-dire que je m'étais essayé comme beaucoup de gens qui aiment la poésie, qui aiment le rap ou qui aiment la chanson. Souvent ils ont pris un stylo, ils ont essayé, grattouillé quelques vers. C'est ce que j'ai fait à peu près à l'âge de 15 ans. Mais on ne peut pas dire que j'écrivais beaucoup. J'avais une petite poignée de textes que personne n'a jamais vus et qui étaient au fond d'un tiroir. C'est vrai que quand j'ai découvert le slam. Quand j'ai entendu cette première soirée slam, je me suis dit : ''ouais, je pense que je suis capable de faire ça parce que je l'ai déjà fait quand j'étais ado.'' C'est comme cela que je m'y suis mis.

Parmi les textes déjà mis en album, y en a-t-il qui ont été écrits à cette période d'ado ?

Non, il y en a pas. Ces textes-là sont toujours au fond d'un tiroir que personne ne verra.

La poésie n'était pas votre première passion, mais le sport...

Exactement, j'adorais le sport. J'en faisais beaucoup. Je faisais surtout beaucoup de basket. Pas à un niveau professionnel mais à un petit niveau national. C'était ma passion mais j'ai eu un accident juste avant mes 20 ans qui m'a donc fait arrêter le sport. Quelques années plus tard, j'ai découvert le slam. J'ai eu la chance de retrouver vraiment une passion.

C'est comme si vous regretteriez de n'avoir pas vécu à fond cette passion du sport. Cela se sent même dans vos chansons quand dans ''Rencontres'' vous dites : ''Sport ça donne des courbatures''...

Ça c'est une phrase, c'est un petit clin d’œil pour essayer de dédramatiser. C'est une manière de dire que mon truc c'était le sport. Maintenant que je ne peux plus en faire, bon ce n'est pas grave puisque le sport c'est chiant ça donne des courbatures. C'est un petit clin d’œil pour rigoler. Parce que si je pouvais, je ferais encore du sport. C'était une vraie raison de vivre le sport. Mais voilà aujourd'hui, j'ai fait mon deuil d'une vie sportive et je le vis très bien.

Comment avez-vous vécu vos lendemains d'accident ?

C'est très compliqué à dire comme ça en une phrase. C'est tout un monde qui s'effondre. C'est en même temps plein d'espoir parce qu'au départ, on n'est pas sûr qu'on aura des séquelles à vie donc on se dit : ''mais non ça fera le temps qu'il faut, mais je referai du sport.'' Il y a énormément de hauts et de bas. Il y a des coups de blues. Forcément, c'est une période très difficile. Je ne me suis jamais laissé abattre. Si au moins je ne pouvais plus refaire du sport je suis debout et je suis autonome. C'est quand même que je me suis bien battu.

Quels effets vous a fait l'annonce de votre tétraplégie par le médecin ?

On ne me l'a pas dit directement comme ça. On l'a dit à mon entourage. Moi, au départ, je n'ai pas été au courant de ce diagnostic.

Et comment avez-vous surmonté cette épreuve ?

Vous savez, c'est un long processus. Ce n'est pas du jour au lendemain que je me suis remis debout et que j'ai marché. Cela a commencé par juste se tenir debout. Les semaines d'après, c'était quelques pas entre les barres parallèles. Quelques semaines après, prendre les béquilles. C'est un long processus et mon entourage savait que j'y étais.

 
Vous avez raconté les douze mois passés dans un centre pour tétraplégiques dans votre ouvrage ''Patients''. Voudriez-vous nous en parler un peu ?

Justement, je raconte toute cette période très bizarre, très spéciale. Toute cette période où je ne suis pas du tout autonome. J'étais paralysé des quatre membres. Du coup, j'avais besoin des autres, des infirmières, des aide-soignants pour les gestes les plus élémentaires comme  aller aux toilettes, s'habiller, se laver, manger... C'est une période très particulière. J'avais envie de montrer ce qu'on ressent quand on n'est pas du tout autonome. Et puis, en même temps, ce n'est pas un livre qui est totalement sur moi. C'est sur tout un univers. J'ai rencontré un monde de corps médical. J'ai rencontré un monde de patients. Je me suis fait plein d'amis. J'ai voulu raconter le quotidien de cet univers-là. Comme c'est un contexte assez dramatique et dur, j'ai voulu le raconter sur un ton humoristique avec beaucoup de dérision. En plus, il y avait de l’auto-dérision à cette époque-là. Entre nous, il y avait beaucoup de vannes, beaucoup de chambrettes. C'était nécessaire pour retrouver un peu de vie.

Il y a généralement beaucoup d'humour dans vos textes. Ce n'est pas que dans ''Patients''. Cela vous vient-il de cette phase d'épreuve ?

Je pense que c'est une nature. Quand je suis avec ma famille, mes potes, ça déconne beaucoup, ça chambre. Je viens de banlieue parisienne qui est quand même un lieu très dynamique sur la chambrette. J'ai eu cette école-là. L'école de l'oralité où çà vanne beaucoup. Alors, je crois que cet humour-là fait partie de moi. C'est important qu'il se ressente dans les textes. Il y a aussi des textes pas drôles du tout, des textes durs, des textes graves. Des fois même, dans un texte grave, c'est bien de mettre un petit clin d’œil pour montrer qu'on prend un peu de distance.

De l'engagement aussi, comme dans ''Éducation nationale'' ou ''Le blues de l'instituteur''. Pensez-vous qu'être slameur rime forcément avec engagement, comme c'est le cas avec le rap ?

Oui et non. Celui qui est slameur et qui ne veut faire que des textes fleurs bleues, mignons et sans aucun engagement, il a le droit. Libre à lui de le faire. C'est vrai que je me sens concerné par mon époque, par ce qui se passe autour de moi. Donc, des fois, je prends position sur un sujet que j'ai l'impression de maîtriser. Je fais aussi attention parce que ce n'est pas parce que j'ai la chance d'être ''connu'' que je sais que mes textes vont être entendus par beaucoup qu'il faut que je délivre à chaque fois un message et qu'il faut absolument que je prenne position sur tous les sujets. Non. Il y a des sujets que je ne maîtrise pas. Donc, il y a des trucs sur lesquels on ne m'entendra pas prendre partie. Mais moi, j'ai du mal à imaginer mon art, mon slam sans un minimum de prise de position.

Ne serait-ce pas cet engagement qui vous cause une censure aujourd'hui dans des médias français ?

 Facho
Non, cela malheureusement, c'est un mail catastrophique qui tourne. Il y a un spam fachiste qui a été fait par je ne sais qui et il y a quelqu'un qui a repris cette vidéo en disant : ''Grand Corps Malade dit tout haut ce que les gens pensent tout bas et du coup, il est censuré par les médias français.'' Ça parle de ce slam très intolérant et islamophobe. Je ne sais pas qui a fait ça et je ne sais pas d'où ça vient. Mais je n'ai rien à voir dans cette histoire et les médias ne me boycottent pas du tout. Je suis très souvent invité à la télé. Je ne sais pas du tout comment faire. Peut-être qu'un jour, on fera un démenti, un communiqué de presse pour dire que je n'ai rien à voir dans cette histoire. C'est quelqu'un de mal intentionné qui a voulu se faire du buzz en associant mon nom à un slam dégueulasse.

Qu'est-ce qui fait votre muse ?

Je ne sais pas comment répondre à ça. C'est dur. Tout m'inspire. Dans mes textes, il y en a des graves, des drôles, il y en a qui parlent d'amour.
 

PAR BIGUÉ BOB

 

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