Publié le 30 Sep 2015 - 00:21
EN PRIVE AVEC NOUR EDDINE SAÏL (JOURNALISTE, CRITIQUE DE CINEMA)

‘’Hollywood est un système qu’on ne peut pas copier’’ 

 

Nour Eddine Saïl est marocain, journaliste et critique de cinéma. Il est aussi le directeur du festival de cinéma africain de Khouribga. Ancien directeur du centre de cinématographie du Maroc (CCM), il évoque, dans cet entretien avec EnQuête, l’expérience marocaine dans le développement du septième art. Et se dit optimiste pour l’avenir du cinéma sénégalais qui, à l’en croire, est sur les traces de celui du royaume chérifien. Toutefois, Nour Eddine est d’avis que Hollywood est un système qu’on ne peut pas copier.

 

Comment est né le festival de cinéma africain de Khouribga ?

Le festival de Khouribga est né en 1977 par la volonté d’une bande de cinéphiles qui voulait faire un festival dans une ville ou une région où il n’y a aucune chance que la culture y soit implantée. Parmi les différentes propositions, Khouribga a été cité et nous avons estimé qu’on pouvait tenter ça. 5 ans après, on s’est dit que la première était une réussite, pourquoi ne pas remettre ça ? On l’a refait. Après, on le faisait quand on en avait les moyens. Et à la fin des années 1980, les autorités de la région et certains mécènes nous ont proposé de le faire tous les 2 ans. C’est ainsi qu’il est devenu régulier. Et c’est en 2008 qu’il est devenu annuel. Mais à l’origine, c’était une décision totalement cinéphilique. C’étaient des militants de gauche de la culture qui voulaient faire cela. Petit à petit, ça a évolué. On a eu beaucoup de difficultés à grandir. Car quand on grandit, il faut que les moyens suivent. Mais on essaie de gérer comme de bons pères de famille. Nous essayons de bien investir le peu que nous avons pour que le maximum soit obtenu.

Pourquoi avoir choisi pour l’édition de  cette année  le cinéma sénégalais comme invité d’honneur?

Je considère le Sénégal comme la matrice du cinéma africain et des cinématographies d’Afrique. Pour la simple raison que dans les années 1970, c’est à Dakar que se sont passées toutes les réunions  et rencontres qui ont permis par la suite de considérer le cinéma africain comme une priorité pour nous d’abord en tant que cinéphiles, et pour le continent en tant que mode d’expression. C’est très important de savoir cela. Evidemment il y a eu une équipe qui a duré pendant très longtemps. Les années 1990 ne sont pas des années très bénéfiques pour la cinématographie sénégalaise. Mais du reste, les cinématographies africaines sont depuis longtemps  dans une zone sinistrée. Donc, il y a une raison liée à la mémoire. Rendre hommage au Sénégal, c’est un acte de mémoire, de reconnaissance à l’égard de tous ceux qu’on a connus là-bas à l’époque. Puisque tout jeune cinéphile, moi j’allais à Dakar. Mes contacts étaient Babacar Samb, Ousmane Sembène, Vieira et tous les jeunes qui par la suite sont devenus connus.

Et j’ai connu aussi à Dakar des cinéastes venus d’autres pays d’Afrique comme la Tunisie ou la Côte d’Ivoire. Donc, la première raison est un acte de mémoire. Des films, il continue d’en exister encore aujourd’hui au Sénégal. Mais on attend toujours un peu plus du Sénégal. La deuxième raison est la résultante de la création de l’union des cinématographies africaines qu’on avait créée à Ouaga, il y a 3 ou 4 ans et dans laquelle était l’actuel directeur de la cinématographie sénégalaise (ndlr Hugues Diaz). D’autres pays comme le Niger, le Maroc, le Mali, le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, etc. font partie de cette union aussi. Suite au travail fait par Diaz parce que je sais comment il a travaillé et suite surtout à la grande réussite du cinéma sénégalais il y a 3 ans au Fespaco, il y a eu conjonction de ces évènements-là qui ont amené l’Etat sénégalais à créer un fonds de soutien pour la production.

Vous pensez que ce fonds peut booster le cinéma sénégalais ?

Comme nous au Maroc, on a développé cette histoire de fonds de soutien depuis une dizaine d’années et que les résultats n’ont pas attendu puisque nous sommes passés de 3 films à 25 longs métrages par an. Je pense que oui. Nous voyons déjà ce que le Sénégal peut faire et ce qu’il peut advenir du cinéma sénégalais. C’était une raison pour dire bravo le Sénégal, vous avez pris la bonne décision. Maintenant, il va falloir la pérenniser,  l’organiser et faire en sorte que chaque année, il y ait suffisamment d’argent pour permettre aux films sénégalais d’exister. Mais le premier pas est bon et c’était le bon moment pour le reconnaître publiquement et de rendre hommage au Sénégal en tant que pays du cinéma au départ et celui de l’avenir du cinéma africain. Ça, nous le pensons sincèrement.

Suivant les différents discours que vous avez tenus tout au long de cette 18ème édition du festival de cinéma africain de Khouribga, vous donnez l’impression d’être pessimiste pour l’avenir du cinéma africain. Pourquoi ?

Je ne suis pas pessimiste mais plutôt réaliste. Parce que je vois que tout le continent africain ne fait pas 100 films de longs métrages par an. Si on enlève les 35 ou 40 que fait l’Egypte, les 25 que fait le Maroc, les 15 que fait l’Afrique du Sud, il ne reste pas beaucoup de films bon an, mal an pour le corps de l’Afrique. C’est ça le continent africain.

Qu’est-ce qui explique cette situation à votre avis ?

Les réalisateurs ne produisent pas parce qu’en Afrique, il n’y a plus de marchés. Et les marchés doivent être la base de la production. Au Maroc, on a 54 écrans pour 25 films, c’est une plaisanterie. Le deuxième plan de développement du Maroc devrait être, dans l’avenir le plus immédiat, dans la construction de multiplex. On a besoin de 300 écrans alors qu’on en a que 54. Là où il n’y a pas de marché, il n’y a aucune raison pour qu’il y ait une production.

Nous, au Maroc, il y a un volontarisme total de l’Etat qui a décidé de créer un fonds pour la production. Ceci pour une raison simple : quand vous créez beaucoup de films, vous finissez par avoir accès à votre marché même s’il est petit ou exigüe. Au bout de 4 ou 5 ans de production et que vous arrivez à faire 12 ou 15 films par an, vous pouvez atteindre votre marché. Aujourd’hui, les films marocains sont chaque année en tête du box office. On a 2 ou 3 films marocains en tête suivis de loin par les films américains, européens, etc.

Ainsi, on a crée un besoin. Quand vous créez un besoin, la suite logique est d’étendre le marché en ayant plus de salles. Si on reste juste au niveau de la production, ce ne sera pas complet. En Afrique, il n’y a pas de salles. Il y a des pays où on retrouve 3 salles de cinéma. Et là, je parle de ce qu’on appelle vraiment salle de cinéma avec un programme régulier tous les jours, des gens qui paient des tickets pour voir les films et qui voient avec le confort maximal, etc. Il n’y a pas de salles comme ça. Comptez les salles de cinéma réelles, commerciales que vous avez à Dakar, vous verrez qu’il n’y en a pas. C’est pareil à Douala. Le Burkina qui est le pays du Fespaco, il y a une ou deux salles à Bobo et 6 ou 7 salles à Ouaga.

En Tunisie, on trouve 12 salles. En Algérie on a 10 salles. Je ne parle pas des salles de fête ou des salles aménagées. Quand vous avez un continent, vous enlevez l’Egypte où il y a 350 écrans parce que c’est une industrie qui a commencé depuis les années 1920, et l’Afrique du Sud où il y a 200 ou 250 écrans mais avec moins de production, pour tout le reste de l’Afrique, il n’y a presque pas de salles. Un producteur privé qui va produire pour un marché qui n’existe pas ne peut être intéressé. Mais ce n’est pas un point suffisant. Le deuxième point,  c’est que les Etats africains n’ont aucune conscience de la nécessité pour eux de produire national, d’assumer leurs propres images.

Bien entendu le cinéma est un langage universel. Le cinéma est l’art globalisé par excellence depuis qu’il est né. Ça on le sait. Les techniques narratives du cinéma sont aussi quelque chose qui est partagé par tous. Tous les films partagent le même langage, les mêmes techniques et les mêmes techniciens. Les Etats n’ont pas compris qu’en aidant ces films à exister, c’est tout le pays qui existe. D’abord à ses propres yeux ensuite à l’international. C’est comme ça qu’on récupère notre ‘’dîme’’. Un pays ce n’est pas que des migrants. C’est aussi une identité, des artistes et des films. Un film, c’est ce qu’il y a de plus simple à montrer à travers le monde. L’Afrique ne peut pas être perçue comme un continent de migrants. Or aujourd’hui, quand on parle des Africains, on ne voit à travers eux que des envahisseurs. Or ce n’est pas ça l’Afrique. On peut envahir l’Europe entière avec ce que nous avons de meilleur à montrer.

En quoi faisant ?

Les Etats ne comprennent pas qu’une aide au producteur qui peut être des avances sur recettes ne contribue qu’à mieux faire exister ces Etats au niveau national et à l’extérieur. C’est qu’ils ne réfléchissent pas. Il faut amener l’Etat de façon non violente, par la conviction à la discussion comme nous on a réussi à le faire ici. Il faut l’amener à penser que quand on donne de l’argent à des producteurs pour faire des films comme ils veulent en toute liberté et sans censure, ce n’est pas une aumône qu’on fait, ce n’est pas de l’argent qu’on jette par la fenêtre. C’est un investissement qu’il fait. Nos Etats n’ont pas compris cela. Et à force de tenir les cinéastes comme des individus infantilisés, ils commencent parfois à se comporter de façon infantile. C’est inévitable. Le jour où les Etats africains prendront conscience de l’importance de leurs propres créations, de leurs propres images, de leurs propres fictions, on aura fait un très très grand pas en avant. Je crois que le Sénégal a fait ce pas-là. Et j’espère que ce pas sera irréversible.

Pensez-vous que l’Afrique pourrait un jour faire comme Hollywood ?

Non, l’Afrique fera comme elle voudra.  Hollywood est un système qu’on ne peut pas copier. Certains l’ont copié et dans certains endroits, ils l’ont réussi et dans d’autres, pas. L’Egypte a importé le système hollywoodien dans les années 1920 et 1930 au moment où le système hollywoodien se faisait. C’est pourquoi on note beaucoup de similitudes aujourd’hui même si à un certain moment, on ne peut plus suivre financièrement les folies de la production hollywoodienne. Personne ne sait faire comme Hollywood. L’Inde aussi a importé certains aspects essentiels de Hollywood au niveau de la fabrication. Mais je pense que c’est à nous d’inventer nos modes d’expression en fonction des contenus des films que nous allons montrer.

Rien n’interdit d’avoir des similitudes avec le système mais rien ne l’implique de façon certaine. La difficulté pour nous est de produire et de produire aussi le public pour accueillir ces productions. Evidemment, il vaut mieux s’organiser pour ensuite commencer à produire et de construire les multiplex après. Mais un Etat qui voudrait faire les deux choses à la fois, pourquoi pas ? Sauf que s’il fait des multiplex sans avoir suffisamment de produits, ce sont les USA qui viennent prendre la place très vite. La méthode que nous, on a instauré ici jusqu’à mon départ du centre de cinématographie (ndlr Nour Eddine était le directeur du centre de cinématographie marocaine), ma volonté était de produire le maximum possible. Après, quand on fait les salles, on a de quoi les pourvoir. 

BIGUE BOB

Section: