Publié le 19 Mar 2019 - 23:18
EN PRIVE AVEC YANN GAËL

‘’On peut vraiment aller à l’international, avec ‘Sakho et Mangane’’’

 

Yann Gaël ! Ce nom peut ne pas vous dire grand-chose. Disons donc lieutenant Basile Mangane. Vous ne voyez toujours pas qui c’est ? ‘’EnQuête’’ vous le présente. Il est l’un des enquêteurs de la nouvelle série policière de Canal+ ‘’Sakho et Mangane’’. Franco-Camerounais, il travaille essentiellement en Europe et a décidé maintenant de plus se focaliser sur ce qu’il peut ici, en Afrique.

 

Comment êtes-vous arrivé dans la série ‘’Sakho et Mangane’’ ?

J'ai rencontré Jean-Luc (Ndlr : le créateur de la série). On s'est assis et on a parlé. Je me suis rendu compte que j’avais très envie de travailler avec lui. C'est quelqu'un de très intelligent, de très créatif. Cela se voit très rapidement. Il a vraiment un œil, un désir. C’est quelqu'un qui a le feu, comme on dit chez nous. Pour moi, c'est très important de travailler, pas seulement avec des gens qui ont un savoir-faire, mais avec ceux qui ont une vision, qui veulent avancer, aller quelque part. Quelques mois après notre première rencontre, il m’a dit : ‘’Ecoute, j’ai un projet et c’est au Sénégal.’’ Je ne savais même pas ce que c’était, mais j’ai dit oui sur le champ. J’ai dit oui, parce que j’ai beaucoup travaillé en France, principalement. J’ai un peu travaillé en Italie et à New York. Mais j’avais très envie de rentrer, de pouvoir tourner sur le continent, pouvoir raconter des histoires pour nous, pour des personnes qui me ressemblent. Cela m’est très cher. Quand j’ai découvert la série et la vision de Jean-Luc sur la série, j’étais très, très heureux.

Et ce retour en terre africaine, vous l’avez vécu comment ?

Quand on est de la diaspora, en premier, on a une petite crainte. L’on se demande souvent si l’on va pouvoir être avec les gens. On se pose beaucoup de questions comme : est-ce que ceux qu’on va trouver ici vont nous accepter, va-t-on s’habituer au mode de vie, etc. Il y a plein de choses qu’il faut revoir culturellement. Il y a une petite séparation, mais très vite, je me suis rendu compte que mes craintes n’étaient pas fondées, parce que les choses se sont bien passées. Les gens sont accueillants. Il faut faire attention quand même et, en même temps, c’est sain, car il faut vraiment respecter les gens. C'est dans les pays dits développés - parce que quand on dit développé, on ne sait jamais qu’est-ce qui est développé exactement - que les gens ont tendance, plus ils ont du pouvoir, à croire qu’ils ont le droit de maltraiter les autres. 

Ici, ce n’est pas comme ça que cela se passe. Ici, tu dois respecter les gens, un point, un trait. Donc, le fait de revenir m’a rechargé de tout cela. Les sociétés d’Afrique sont beaucoup plus humaines, beaucoup plus ancrées que les autres. Cela s’est bien passé et je suis content de transmettre ce message aux autres.  Vous savez, on peut lutter comme on veut en dehors de l’Afrique et il le faut, c’est nécessaire, mais il n’y a que quand on se tiendra vraiment debout nous-mêmes, sur nos deux pieds qu’on pourra rayonner dans le monde d’une autre manière. Je ne veux pas dire rentrer, parce que peu importe où on est, on a le pouvoir de lutter et de contribuer. Mais pour moi, travailler sur le continent, c’est sacré.

Apparemment, c’est la mode de revenir tourner sur le continent. Omar Sy était là pour ‘’Yao’’ et maintenant vous pour cette série. Qu’est-ce qui vous fait ressentir ce besoin de revenir sur vos terres d’origine ?

J’ai des rôles principaux à la télévision française depuis 2013. J’ai eu un prix du Meilleur acteur en 2017 (Ndlr : rôle joué dans ‘’Le rêve français’’). Evidemment, je ne peux pas parler pour les autres. Mais, pour moi, il me manque quelque chose là-bas. Et c’est ce que je suis venu chercher ici.

C’est quoi et l’avez-vous trouvé ?

Oui, je l’ai trouvé et je ne peux pas, comment dire, être rassasié. Je ne peux pas l’être, parce qu’il y a tellement de choses à faire, à continuer, être avec les gens. Il y a beaucoup d’histoires à raconter et tous ces endroits à faire découvrir et faire redécouvrir, y compris à nous-mêmes. On n’a pas été éduqué ou sensibilisé de sorte à réaliser combien nos cultures sont belles et importantes. On n’a pas été éduqué dedans. Je me rends compte de la valeur de l’art et, en venant ici, je me rends compte que je peux participer à diverses choses. On regarde souvent les films, qu’ils soient américains ou français, ce qui vient d’autre part et on valorise ce qui vient d’ailleurs. Mais pour ce qui vient de chez nous, on ne le fait pas, parfois même, on considère que ce sont des choses qui viennent du village. Il est très, très, très important de remettre cela au centre.

C’est le rôle interprété dans ‘’Le rêve français’’ qui vous a valu beaucoup de distinctions. Dans une interview, vous dites qu’il était important pour vous de jouer ce rôle. Pourquoi ?

C’était important, parce que ‘’Le rêve français’’ parle des Antillais dont les ancêtres ont été arrachés au continent africain, qui ont été là-bas, qui ont subi l’esclavage. ‘’Le rêve français’’ parle de cette émigration des îles vers la métropole, de la relation entre les deux, de la manière dont le gouvernement les a traités. Il est important pour moi de parler de nos identités, dans les espaces blancs ou européens ou dans les pays dits développés, pour que les gens, ici, se rendent compte que ce qu’ils pensent être un rêve n’est pas exactement cela. Ce qui se passe de l’autre côté n’est pas forcément ce qu’ils pensent. Je pense aussi que c’est quelque chose qu’il faut raconter.

Quand on est en Afrique, je peux comprendre qu’il y ait des fantasmes, qu’on projette des choses, on se dit que l’herbe est plus verte ailleurs. On se dit que lui est parti et a réussi. Hummmm, ce n’est pas toujours cela. Moi, j’ai souvenir d’avoir vu ma mère, qui est une personne extraordinairement brillante, tous les sacrifices qu’elle a faits. Elle a changé de métier je ne sais combien de fois. Elle est retournée à l’école plusieurs fois. Elle s’est beaucoup démenée. Si, aujourd’hui, elle est rentrée, c’est parce qu’il y a des raisons. Je veux aujourd’hui que les gens se rendent compte que ce qu’il y a ici est inestimable. C’est pour cela que le monde entier regarde vers l’Afrique. Il y en a nos matières premières, mais cela va au-delà de ça. Si vous avez envie de partir et faire l’expérience de l’ailleurs, allez-y, personne ne vous empêche de partir. Après, il faut voir comment partir aussi. Mais je pense qu’il est important que les gens sachent que ce qu’on a est fantastique et qu’il faut le protéger. Il faut se dire qu’on doit se développer de la manière qui nous convienne et non nécessairement se développer comme l’Occident. Il faut que nous créions, nous-mêmes, nos standards de développement.

Vous avez joué dans une série policière en France, ‘’Duel au soleil’’. ‘’Sakho et Mangane’’ est aussi une série policière. Avez-vous trouvé des similitudes et des différences dans ces deux expériences ?

Il y a des différences, à tous les niveaux. Dans ‘’Duel au soleil’’, j’incarnais un personnage beaucoup plus froid, qui respectait les règles et n’avait pas beaucoup de marge. Dans ‘’Sakho et Mangane’’, c’est vraiment l’opposé. Tout est permis ou, en tout cas, lui se permet tout. C’est quelqu’un de libre, mais qui a son feu. Je pense qu’il est souvent prisonnier de ses émotions. Je dois aussi dire que la direction artistique n’est pas la même. Avec Jean-Luc, il a fait de cette série quelque chose de plus que bien, en termes des standards internationaux. Elle est à la pointe de ces derniers. On peut vraiment aller à l’international, avec cette série. C’est une grande fierté qu’on ait pu faire ça, nous africains, membres de la diaspora. ‘’Duel au soleil’’ était une série très, très française et faite pour les Français. Je pense que ‘’Sakho et Mangane’’ fait partie des choses les plus créatives que j’ai faites jusque-là.

Dans ‘’Sakho et Mangane’’, vous avez été obligé de parler wolof, par moments. Comment avez-vous fait pour vous approprier la langue ?

On l’a préparé un tout petit peu. Je ne suis pas sénégalais et je ne parle pas wolof, tous les jours, mais c’est cela être acteur. On nous prépare à l’avance, on voit un  peu comment faire.  Comme avec Mangane, on ne sait jamais ce qui va se passer, il faut avoir un peu de marge. Quand même, j'ai appris deux ou trois choses, hum ! pour pouvoir sortir ce qui est adéquat, au moment opportun. Le wolof est chantant et a sa propre musicalité. Avec le wolof, quand même, il faut rentrer dedans. Il faut s’approprier les mots. Il faut être bien sur le timing. Il y a des choses qui tombent et ça tombe sur ta tête et tu les sens. Je perçois cette langue un peu comme ça. Quand on dit que la langue wolof est musicale, c’est comme si c’était de la mélodie, mais ce n’est pas exactement ça. Je vais plutôt dire que c’est rythmé. Il y a le rythme à l’intérieur. Elle me fait beaucoup penser à la langue de Shakespeare. Le ver de Shakespeare est calqué sur le battement de cœur et il y a cela aussi dans le wolof.

BIGUE BOB

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