Publié le 24 Jan 2020 - 03:32
EN VERITE AVEC NDONGO SAMBA SYLLA

“On ne peut pas être insolvable dans sa propre monnaie”

 

Spécialiste ayant fait beaucoup de travaux sur les questions monétaires, coauteur de ‘’L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA’’, Ndongo Samba Sylla dissèque la monnaie dans toutes ses facettes. Panafricaniste convaincu, il met en garde contre toute précipitation dans la mise en place de l’Eco, brûle le franc Cfa qui a installé, selon lui, la plupart des populations concernées dans la misère et vante les mille et une vertus de la souveraineté monétaire pour un pays. Entretien !

 

Le projet de monnaie unique de la CEDEAO suscite beaucoup d’enthousiasme. Mais vous, vous semblez moins emballé. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui font que vous êtes moins enthousiaste ?

Beaucoup de personnes veulent l’unité de l’Afrique et elles ont raison de penser que c’est à travers cette unité que le continent pourra se développer et assumer sa présence dans le monde. Mais la question qui se pose est de savoir à partir de quel fondement il faut créer cette unité.  Selon Cheikh Anta Diop et Kwame Nkrumah, c’est à partir de l’intégration politique qu’on peut mettre en place l’intégration économique. Cela veut dire : avoir une armée continentale, un gouvernement fédéral, un ministre des Affaires étrangères commun, un ministre des Finances commun, etc. A défaut, il faut avoir une politique coordonnée dans ces différents domaines.

Aujourd’hui, beaucoup pensent que la monnaie unique CEDEAO pourrait être un début pour l’unité politique. Cette idée me semble non étayée. Il faut regarder l’histoire de l’humanité. Il n’existe aucun exemple de partage de monnaie unique, entre des pays souverains, qui ne soit basé sur une structure fédérale. Le seul exemple, c’est la Zone euro et elle ne marche pas. La plupart des pays qui la composent se sont appauvris. Prenez l’exemple de la Grèce. Elle va retrouver son niveau économique de 2008 en 2034. Elle perd ainsi une génération. Les Européens, eux-mêmes, se rendent compte que l’euro ne marche pas, puisqu’ils n’ont pas mis les préalables politiques et économiques nécessaires.

Quels sont ces préalables qu’il faut mettre en place pour qu’une zone monétaire unique puisse être performante ?

Il faut avoir un gouvernement politique, un fédéralisme budgétaire - c’est-à-dire un trésor fédéral qui dispose d’un budget conséquent - une harmonisation des politiques fiscales et budgétaires, une harmonisation de la législation bancaire, etc. Les Européens reconnaissent maintenant que si l’euro ne marche pas, c’est parce que tous ces préalables n’ont pas été mis en place. Je ne comprends donc pas pourquoi nous, qui avons la chance d’observer tout ça, nous voulons résolument répéter les mêmes erreurs. Sans gouvernement politique fédéral, il n’y a pas d’intérêt à aller vers une monnaie unique. D’ailleurs, aucun travail économique ne montre que la CEDEAO constitue une zone monétaire optimale, c’est-à-dire que les pays qui la composent ont avantage à partager une même monnaie.  

Quels sont les critères d’une zone monétaire optimale ?

Il faut que la zone soit très intégrée sur le plan commercial, c’est-à-dire que les pays qui la composent commercent beaucoup entre eux. Il faut aussi que les cycles économiques soient synchrones, c’est-à-dire que les pays aient des conjonctures économiques similaires. Il faut aussi un minimum de fédéralisme budgétaire. Dans ces conditions, une monnaie unique peut marcher. Sinon, c’est compliqué. Et dans le cas des pays de la Zone franc, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, il n’y a aucun travail qui montre qu’on est dans une zone monétaire optimale. Cela veut dire que ces huit pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) ne devraient pas partager la même monnaie. Maintenant, on veut l’élargir à un plus grand ensemble où le commerce régional est faible (10 % environ) et au sein duquel le Nigeria pèse plus de 2/3 du PIB, est exportateur net de pétrole là où les autres, pour la plupart, en importent. Cela pose d’énormes difficultés.

Peut-on en déduire que l’Eco CEDEAO risque d’être plus catastrophique que le CFA UEMOA, si l’on sait que les huit pays présentent moins de disparités ?

Je ne parlerai pas de catastrophe. Je ne fais pas de pronostic, parce qu’il y a beaucoup d’autres facteurs qu’il faut prendre en compte. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas, pour l’instant, d’arguments économiques solides permettant de justifier la désirabilité d’une monnaie unique CEDEAO. Si nous voulons une monnaie unique pour doper le commerce interafricain, il y a des alternatives plus pratiques. Au-delà de la Zone de libre-échange continental - un projet problématique également - nous pouvons songer à mettre en place un système de paiements et de règlement continental. Ce qui nous permettra de commercer dans nos propres monnaies, en lieu et place des devises dominantes.

Afreximbank porte déjà ce projet. Si nous voulons une monnaie unique afin d’être plus solidaire entre nous, nous pouvons mettre en place un fonds monétaire africain qui gèrera une proportion donnée de nos réserves de change. Si nous voulons plus de coordination monétaire, nous pouvons décider de fixer nos taux de change les uns vis-à-vis des autres avec des marges de fluctuation et de faire de l’Eco une unité de compte commune (et non pas une monnaie unique). Cette démarche serait beaucoup plus cohérente que de faire le saut directement vers une monnaie unique. La vraie convergence serait obtenue beaucoup plus facilement avec ces approches alternatives et gradualistes.

Justement, cette monnaie était initialement prévue pour 2020. Vous dites que ce n’est pas possible, car la plupart des Etats ne respectent pas les critères de convergence. Pouvez-vous rappeler ces critères ?

Je ne peux pas commenter ces chiffres dont je ne dispose pas. Ce que je sais, c’est qu’en juin 2019, la CEDEAO a publié un rapport pour dire qu’aucun pays ne remplissait les critères de convergence en 2018. Pour 2019, apparemment, seul le Togo remplirait tous les critères. Ce qu’il faut savoir, c’est que ces critères ont été importés de la Zone euro. Ils ont été imposés par l’Allemagne qui était réticente, au départ, quant à son adhésion à la Zone euro. Pour y entrer, les Allemands ont exigé des garanties. Ils ne souhaitaient pas se retrouver dans la position d’avoir à payer les déficits des pays voisins qui auraient des problèmes budgétaires.

Les critères de convergence étaient la réponse aux garanties exigées par l’Allemagne. Et nous, nous les avons reproduits bêtement. Je dis bien bêtement, car il n’y a aucun sens à vouloir limiter le plafond d’endettement à 70 % ou à limiter le déficit public à 3 ou 4 %. Pourquoi ? Prenons l’exemple du déficit public. Il correspond exactement au surplus du secteur non gouvernemental. Quand le gouvernement est en déficit de moins 3 % du PIB, le secteur non gouvernemental a exactement plus 3 %. Du point de vue de la théorie économique, ce qu’on appelle la finance fonctionnelle, le bon niveau de déficit est celui qui permet à tout un chacun de trouver un emploi.

En réalité, dans le cas des pays africains, les prétendus critères de convergence ont été mis en place pour s’assurer que leurs Etats ne vont pas faire des dérapages budgétaires qui compromettraient leur capacité à rembourser la dette. Ils n’ont donc pas été mis en place pour permettre aux Etats d’avoir une certaine marge de manœuvre sur le plan de la politique budgétaire, pour faire une politique de développement. Ce ne sont donc pas des critères économiques, mais des critères financiers.

Le paradoxe est donc que les Africains ont repris, comme condition de leur association monétaire, des critères que l’Allemagne a exigés pour se dispenser d’être solidaire avec ses voisins.

Pourtant, l’esprit de solidarité panafricaniste est aussi brandi comme un des arguments militant en faveur d’une zone monétaire unique…

C’est d’ailleurs ce qui est ironique. Nous disons que nous allons vers l’unité et en même temps, nous reprenons des critères européens qui présupposent une absence de solidarité et de confiance entre nous. Vous voyez à quel point c’est problématique. Pourtant, des alternatives plus porteuses et moins risquées sont là. Il s’agit de mettre en place un fonds monétaire africain, une unité de compte commune, un système de paiements et de règlement continental, fixer si c’est possible nos monnaies les unes les autres pour aller vers la vraie convergence, la véritable unité politique dans la solidarité.

Vous dites que certains plafonds, notamment pour ce qui est de la dette, n’ont pas de sens. Est-ce à dire que vous ne voyez pas d’inconvénient par rapport au niveau de la dette du Sénégal ?

Je dis que le ratio dette/PIB en lui-même ne veut rien dire sur le plan économique. Le Japon a une dette de 250 % par rapport au PIB. Les taux d’intérêt sont à 0 % et son économie est au plein emploi. Ce qu’il faut voir, c’est si l’Etat émet sa monnaie ou s’il est un utilisateur de monnaie, comme c’est le cas du Sénégal et des autres pays de la Zone franc. L’autre question est de savoir si on s’endette dans sa propre monnaie ou dans une monnaie étrangère. Quand on s’endette dans une monnaie étrangère, c’est toujours compliqué. Mais quand on le fait dans sa propre monnaie, il y a moins de danger. Si le Japon est à 250 %, c’est parce qu’il s’endette dans sa propre monnaie.

Au Sénégal, le niveau de dette est préoccupant, parce que la dette est essentiellement libellée en monnaie étrangère. Cela veut dire que, tôt ou tard, nous allons la rembourser en termes de ressource réelle. Si on voit le gouvernement supprimer des subventions, augmenter des taxes, c’est parce qu’il faut payer la dette contractée en monnaie étrangère. Si notre gouvernement pouvait s’endetter dans sa propre monnaie nationale, il n’aurait pas eu besoin d’infliger des politiques d’austérité. L’endettement en monnaie étrangère est donc toujours dangereux. Un gouvernement qui aspire à un minimum d’indépendance financière doit tout faire pour ne pas s’endetter en monnaie étrangère.

Vous parlez souvent de la notion de souveraineté monétaire. Pouvez-vous revenir sur ses implications ?

D’abord, la souveraineté monétaire traduit l’indépendance financière de l’Etat. Cela veut dire que l’Etat peut réaliser toutes ses dépenses sans contrainte financière. Pour que ce soit possible, il faut que l’Etat ait sa propre monnaie ; qu’il ait la capacité de taxer l’économie ; qu’il ait un contrôle sur le secteur bancaire (la banque centrale et les banques commerciales) et qu’il ait la souveraineté sur ses ressources économiques (les terres, la main-d’œuvre, les ressources naturelles, etc.). Si ces conditions sont réunies et que l’endettement est effectué en monnaie nationale, cet Etat peut financer tout ce qu’il a envie de financer et il ne peut jamais être insolvable. On ne peut jamais être insolvable dans sa propre monnaie.

Mais quels sont les risques relatifs au fait de battre sa propre monnaie ?

Il n’y a pas de risques particuliers. Les risques, ce sont ceux qui sont inhérents à la politique économique. Et la monnaie, en elle-même, n’est pas l’instrument le plus important. L’instrument le plus important, c’est le budget.

Pourtant, on parle souvent de risques comme l’inflation…

Ce qu’il faut dire, c’est que dans les pays qui utilisent le CFA, les niveaux d’inflation sont beaucoup trop faibles, par rapport à la norme, pour des pays aussi pauvres. Ce sont les travaux scientifiques qui l’établissent. La deuxième chose, c’est qu’est-ce qu’on entend par inflation ? Il faut comprendre que si l’Etat dépense pour augmenter les capacités productives, il n’y a pas d’inflation. Mais si on crée de l’argent pour certaines dépenses qui n’augmentent pas les capacités productives, cela crée de l’inflation. En fait, le problème fondamental est que beaucoup parlent de la monnaie, mais peu comprennent ce que c’est véritablement. Certains spécialistes vous diront ses fonctions : unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur.

Ce qui ne nous avance pas. Quelle est la nature de la monnaie ? C’est d’être une dette de l’Etat. Quand vous tenez un billet de 1 dollar par exemple, c’est une dette de l’Etat américain à l’égard de celui qui détient ce billet. Quand vous avez votre monnaie, vous pouvez créer autant d’argent que vous voulez pour financer tout ce qui peut s’acheter au sein de votre économie. Vous avez la possibilité de créer directement des emplois pour les jeunes au chômage. C’est ce qu’on appelle les programmes de ‘’garantie d’emplois’’. Si vous n’avez pas de souveraineté monétaire, vous ne pouvez pas mettre fin au chômage des jeunes ; vous ne pouvez pas réduire le sous-emploi, etc. C’est pourquoi je dis que sans un minimum de souveraineté monétaire, pas de développement possible. Par exemple, si on a des professeurs qui sont au chômage et des jeunes dont les parents n’ont pas les moyens de les envoyer à l’école, c’est une faillite de l’Etat. Car un Etat souverain sur le plan monétaire ne peut jamais manquer d’argent pour financer ce qui est utile à la société.

Mais nous ne vivons pas en vase clos. Nous commerçons avec l’extérieur et il y a des étrangers qui sont établis dans nos pays. N’y a-t-il pas de risques à ce niveau ?

En fait, il faut avoir une politique cohérente. Est-ce qu’on a besoin de dépenser chaque année plus d’un milliard d’euros pour acheter des produits alimentaires ? Est-ce qu’on a besoin d’importer du riz de Thaïlande, alors que nous pouvons le produire ici. Ce sont des choix à faire. Si nous voulons la prospérité pour tous, il faut partir des ressources que nous avons. Mais si nous voulons que 20 % s’en sortent et que tout le reste tire le diable par la queue, laissons tout venir entrer dans notre marché. Quelques privilégiés vont vivre comme des Européens, mais la grande majorité croupira dans la misère.

Récemment, le FMI a procédé à une réévaluation des risques par rapport à l’endettement du Sénégal. On est passé de risque de surendettement faible à risque de surendettement modéré. Qu’est-ce à dire ?

Ce n’est pas spécifique au Sénégal. Les pays africains, en général, sont très exposés à la conjoncture mondiale. Quand il y a eu la crise financière en 2008, les capitaux ne pouvaient plus s’employer de manière profitable dans les pays riches. Les investisseurs se sont donc réorientés vers les marchés émergents. Parce qu’à l’époque, et c’est toujours le cas, les banques centrales avaient des politiques de taux d’intérêt nul. Donc, quand vous aviez vos capitaux, vous ne pouviez ni les investir dans l’économie réelle qui était morose ni les placer, puisque les taux d’intérêt étaient faibles. Raison pour laquelle ils étaient allés vers les pays émergents et les pays pauvres. Nos économies en ont donc profité. Mais, depuis 2012, le niveau de la dette est allé croissant. Cela a plus que doublé (il est passé de 2 700 milliards en 2012 à 8 076,6 milliards de francs CFA, NDLR).

A votre avis, le Sénégal s’endette-il bien ?

Pour moi, une bonne politique économique consiste à faire le maximum pour ne pas s’endetter dans une monnaie étrangère. Et le franc CFA est une monnaie étrangère, car nous ne l’émettons pas. Nous nous endettons surtout en euro et en dollar. Et, tôt ou tard, nous devrons payer cette dette en ressources réelles. Nous devrons exporter des ressources réelles - du pétrole, du gaz, de l’arachide, etc., - pour obtenir des devises en vue de payer la dette ou nous endetter à nouveau. Par exemple, les eurobonds qu’on a émis en 2018 ont une maturité de dix ans. D’ici là, on devra payer environ 1 milliard d’euros au titre des intérêts. Et ce sont les citoyens qui paient tout ça à travers les impôts et taxes, mais aussi à travers les ressources réelles. C’est cela le sous-développement. Ce qui est accumulé chez vous va vers l’étranger. Il faut changer de cap, réinvestir ce que nous accumulons sur place pour avoir un effet multiplicateur, un cercle vertueux. Malheureusement, ici, on accumule et on transfère sous forme de profits rapatriés ou sous forme de paiement des intérêts de la dette.

Il y a aussi les politiques de gratuité de l’Etat, les bourses de sécurité familiale, la couverture maladie universelle dont l’efficacité peut être contestée. L’Etat a-t-il les moyens de ces politiques ?

On peut avoir des réserves par rapport à la manière dont ces politiques sont menées. Mais, pour moi, un Etat soucieux du développement de son économie doit veiller à la santé de ses populations. La couverture maladie universelle est importante, mais elle n’est pas, pour le moment, effective. Pour les bourses de sécurité, je comprends la logique, mais je préfère un programme de garantie d’emploi. Par exemple, l’Etat va dans une commune particulière où il y a des besoins essentiels (assainissement, sécurité, éducation, etc.) ; il paie un salaire minimum à tous ceux qui sont prêts à travailler dans ces secteurs. Aussi, ce qu’il faut savoir, c’est qu’un Etat qui a la souveraineté monétaire a toujours les moyens de sa politique. La seule limite, c’est la disponibilité des ressources réelles (terres, main-d’œuvre, ressources naturelles, etc.). Le Sénégal n’a pas les moyens de sa politique, parce qu’il n’est pas souverain d’un point de vue monétaire.

Si vous aviez à noter les performances du franc CFA, quelle serait la note ?

C’est difficile. Pour moi, c’est une monnaie dont il faudrait se débarrasser au plus vite. Et le Sénégal, pour moi, doit battre sa monnaie nationale rapidement.

Concrètement, quels sont les signaux qui montrent que le CFA n’est pas de nature à favoriser les conditions d’un développement de nos pays ?

Il faut regarder les performances économiques sur le long terme. En 2016, le Sénégal avait un revenu réel par habitant du même ordre qu’en 1960. Pour la Côte d’Ivoire, son revenu réel par habitant de 2016 était inférieur d’1/3 à celui de 1978. Pour les pays d’Afrique centrale, prenez le Cameroun, le Congo-Brazzaville, le Gabon qui sont les trois pays les plus importants sur le plan économique. Leur niveau de revenu réel par habitant est inférieur par rapport aux années 1980.

Donc, vous êtes dans une zone, où la grande majorité des populations est dans une pauvreté absolue. A quoi nous a alors servi cette zone ? Je ne veux pas dire que le sous-développement que l’on voit un peu partout est exclusivement dû à la gestion monétaire. Néanmoins, tant que nous maintenons cette monnaie, tant que les banques continuent de fonctionner comme elles fonctionnent, je ne dis pas que le développement est improbable, c’est impossible.

Quelle lecture faites-vous de la déclaration récente des pays de la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest ?

C’était prévisible et c’est normal. La CEDEAO avait sa feuille de route. En juin 2019, ils ont dit qu’ils ont choisi Eco comme nom de la monnaie unique de cet espace régional ; un taux de change adossé à un panier de monnaies pas seulement à l’euro ; une banque centrale de type fédéral. Ils s’étaient aussi mis d’accord sur le fait que l’Eco ne doit être mis en place que par les pays qui sont prêts. C’est-à-dire les pays qui remplissent les critères de convergence. Ce qui n’est pas le cas pour les pays de l’UEMOA, à l’exception du Togo et ce dernier ne peut pas lancer la zone seule. Macron et Ouattara ne peuvent donc pas venir nous dire qu’ils vont renommer le CFA Eco. Et le communiqué de la Zmao est très clair et sobre, en appelant à un respect de la feuille de route préalablement défini.

Quid de l’échéance 2020 qui a été fixée ? L’Eco peut-elle être effective à cette date ?

Je ne sais pas. Mais si l’on maintient la méthodologie des critères de convergence et si le principe de l’adhésion sur une base individuelle – pays par pays - est maintenu, je peux vous dire qu’on va rester encore 30, 40 ans à parler encore du lancement de l’Eco.  Pourquoi ? Prenez un pays comme le Cap-Vert ; son taux d’endettement est de plus de 100 %. Pour respecter le critère prévu, il lui faudra au moins 20 ans. Et il ne peut le faire qu’en s’appauvrissant, ce qui est aberrant. Même chose pour la Gambie. Pour les pays comme le Liberia, la Sierra Leone, le Nigeria et la Guinée, ce sont des pays qui ont un taux d’inflation à 2 chiffres. Pour eux aussi, il faudra des politiques d’austérité, c’est-à-dire s’appauvrir pour arriver à respecter les critères de convergence. Aussi, on nous dit qu’il faut entrer un par un. Et si, dans l’UEMOA, par exemple, tous les pays sont prêts sauf le Sénégal, qu’est-ce qu’il va faire ? Battre sa propre monnaie ? S’y ajoutent les problèmes politiques. Si le Nigeria, qui représente plus de 2/3 du PIB de l’Afrique de l’Ouest, n’est pas conforté dans son rôle de leader, il n’y aura pas d’Eco avec le Nigeria.

Justement, où en est ce pays avec le respect des critères de convergence ?

Non, il ne les respecte pas. Il a même beaucoup de problèmes. Il faudra auditer les comptes de la Banque centrale nigériane. Cela va prendre au moins deux ans et ça n’a pas été fait. Aussi, la principale organisation qui rassemble les patrons dans le secteur industriel a émis des réserves par rapport à l’entrée du Nigeria dans la zone Eco. Il y a donc des problèmes réels de faisabilité. Selon moi, la voie la plus réaliste est d’aller vers des solutions alternatives. Les Etats peuvent commencer par fixer les taux de change ; mettre ensemble leurs réserves de change ; adopter des politiques communes d’autosuffisance alimentaire et énergétique ; un système de paiements et de règlement. Voilà des choses simples qu’on peut faire, si les gens tiennent vraiment à faire avancer la solidarité entre Africains.

Si je parle ainsi, ce n’est pas parce que je suis contre les monnaies uniques de manière inconditionnelle. Je dis : allons-y doucement en mettant les préalables. En plus, on parle de zone monétaire, alors qu’il n’y a même pas encore de traité d’union monétaire, pas de statut de la Banque centrale, pas d’harmonisation du secteur bancaire, etc. J’ai l’impression que les gens ne savent pas à quel point c’est complexe de mettre en place une monnaie unique. Cela demande une certaine homogénéité. Dans tous les espaces unifiés sur le plan monétaire, il a fallu préalablement unifier l’espace politique : mêmes lois, mêmes règlements, même culture, etc. Quand vous avez des pays très hétérogènes, où les leaders ne sont pas très engagés pour la cause panafricaniste, c’est très compliqué. Il faut y aller pas à pas.

Y-a-t-il des risques de s’acheminer vers une querelle autour du nom ?

Je ne le pense pas. Eco, c’est juste le diminutif d’Ecowas - CEDEAO en anglais. Les pays de l’UEMOA ne peuvent pas se quereller dessus. 

Par Mor Amar

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