Publié le 6 Jan 2016 - 23:18
EN VERITE AVEC TAMSIR JUPITER NDIAYE

‘’ Mon drame, c’est d’avoir été une fois accusé’’

 

Elargi de prison le lendemain de Noël, suite à une condamnation pour actes contre-nature, le chroniqueur Tamsir Jupiter clame haut et fort son innocence et se dit victime d’une conspiration. Dans cet entretien, il revient également sur les conditions de sa détention. Le chroniqueur évoque aussi ses relations avec son ex-codétenu Karim Wade.

 

Vous avez été incarcéré à deux reprises pour des faits d’homosexualité que vous niez. Quelle sera la nouvelle conduite de Tamsir Jupiter pour éviter une troisième interpellation ?

Je n’en aurais pas, parce que simplement, j’ai toujours considéré comme le dit Paolo Cohello : « Il arrive un moment que notre vie soit bouleversée par le destin et que notre existence soit orientée ». Je ne me sens coupable ni responsable d’aucun acte qui m’a été accusé. J’ai le défaut d’être un homme qui assume ses responsabilités. J’assume ce que je dis et ce que je fais. Si je me sentais responsable, pour une question de conscience, je l’aurais accepté, je l’aurais reconnu. Mais, je ne suis coupable d’aucun acte. Encore que la seconde accusation résulte d’une conspiration.

Pouvez-vous infirmer ou affirmer que vous avez des penchants homosexuels ?

Je trouve que c’est une accusation abominable, dégueulasse, inadmissible et impensable. On me l’a accusé et il y a une sorte de catalogue contre lequel je me bats. C’est inimaginable que je permette certaines choses, car je suis un citoyen sénégalais et musulman et c’est contraire à mes valeurs et principes religieux et sociaux. Nous sommes dans une société de civilisation orale où la parole crée des anges ou des monstres. Combien de personnes ont-elles victimes de toutes sortes d’accusations, comme la franc-maçonnerie, l’homosexualité. On n’y peut rien, c’est la société.

Après six mois d’emprisonnement pour des faits d’actes contre-nature, est-ce que Tamsir Jupiter Ndiaye peut-il toujours marcher la tête haute dans une société qui réprime l’homosexualité ?

Je peux marcher la tête haute en toute dignité, parce que je ne me reproche absolument rien du tout. J’ai été victime d’une conspiration et c’est avec cette épreuve que j’ai compris que la conspiration pouvait élire domicile dans des lieux insoupçonnés. C’est-à-dire la Police et la Justice. Tout ce qui a été dit, écrit et raconté est terriblement et honteusement faux. Voilà ce qui s’est passé. Nous étions au mois de ramadan, après avoir fait mon nafila, j’ai constaté plusieurs appels en absence d’un agent de la sécurité de proximité en service au commissariat de Dieuppeul. Comme je n’arrivais pas à le joindre à mon tour, j’ai décidé de me déplacer pour le rencontrer. En partant, j’ai pris mon véhicule qui a des problèmes techniques.

Arrivé à la station d’essence de Dieuppeul, je me suis arrêté pour recharger du gasoil. Quand j’ai avancé, j’ai constaté que mon moteur chauffait. Ce qui naturellement m’obligeait de m’arrêter pour qu’il se refroidisse. C’est en ce moment que j’ai constaté qu’un groupe de jeunes, trois personnes, étaient en train de bastonner un autre. Je suis intervenu pour leur demander d’arrêter. L’un d’eux m’a rétorqué qu’ils le frappaient parce qu’il avait leurs mille francs. C’est en ce moment qu’un autre jeune est venu participer à la bastonnade. Lorsque je l’ai interrogé, il m’a répondu qu’il ne les connaissait pas alors je lui ai demandé pourquoi il  s’en mêlait et pourquoi il trainait jusqu’à 22h 30. Quand il m’a dit qu’il habite Niarry Tally, je lui ai proposé de le déposer jusqu’au Commissariat pour qu’il fasse le reste du chemin à pied. Arrivé à la mosquée, j’ai demandé au garçon de descendre du véhicule. C’est ainsi que je me suis rendu compte que l’autre groupe qui le frappait, poursuivait ma voiture qui roulait doucement à cause du moteur qui chauffait.

Ils m’ont encerclé et le jeune homme que j’avais transporté m’a demandé d’avancer, car mes poursuivants étaient des agresseurs. Ainsi, j’ai roulé à vive allure et arrivé à un certain niveau, j’ai vu un autre groupe de jeunes qui n’était pas concerné. Je lui ai demandé de descendre mais, il a refusé et je ne me rendais pas compte que celui que je voulais aider était un voleur. Je l’ai poussé et il s’est mis à crier : « Au voleur ! ». C’est ainsi qu’un autre groupe de jeunes parmi lesquels un qui, qui doit avoir 40 ans, m’a reconnu a prononcé mon nom en disant : « C’est le chroniqueur, le journaliste Tamsir Jupiter. C’est un imb… cette personne je la déteste ». Et c’est ainsi qu’ils m’ont pourchassé avec un véhicule 4X4. Je me suis faufilé dans les quartiers pour m’échapper d’eux. Ne sachant que faire, je me suis dirigé directement vers le commissariat de Dieuppeul.

Mais comment vous vous êtes retrouvé dans le violon, alors que vous cherchiez un refuge ?

A la police, j’ai remarqué que l’un de mes poursuivants a demandé le nom d’un agent et on lui a dit qu’il était absent. Alors, il s’est isolé avec le chef de poste pour lui parler. J’ai entendu une phrase : « C’est Tamsir Jupiter c’est un beau parleur. Il est intelligent, il ne faut pas l’écouter, sinon le coup ne vas pas marcher ». Et jusqu’au moment où je vous parle, l’agent de police ne m’a pas permis de m’exprimer. De guerre lasse, lorsque je me suis battu pour qu’on me donne mon téléphone portable, ne serait-ce que pour appeler ma femme et mon avocat, c’est en ce moment-là qu’ils ont fouillé le jeune homme et ont découvert mon portable. Immédiatement un agent lui a dit : « toi je te reconnais. Tu es un voleur ». C’est comme ça que nous avons été gardés à vue. Le lendemain, après l’échec des tractations de mes amis, le Commissaire m’a fait savoir que quelqu’un l’a appelé et qu’il ne pouvait pas me laisser partir. C’est ainsi que j’ai été déféré et accusé de détention d’arme à feu, de détournement de mineur, d’acte contre-nature, de conduite en état d’ébriété.

Quand nous étions à Rebeuss, ils ont attendu un peu tard dans la nuit pour extirper le jeune homme et l’amener au Fort B pour attester la thèse de la minorité. Il s’est trouvé en même temps, qu’il était un habitué de la prison. Mes avocats, que je remercie au passage, se sont rendu compte de sa majorité, mais aussi de la forfaiture articulée autour d’un acte de vol et d’agression. Ce qui a été choquant, le jour du procès, le juge m’a systématiquement interdit de m’exprimer en français, dans une République où la langue officielle est le français. Je lui ai expliqué que je suis beaucoup plus à l’aise avec le français. Il a refusé catégoriquement, en me disant : «le wolof ou je renvoie ». J’ai accepté sur invite de mon avocat, mais c’était extrêmement difficile, car il y a des concepts, des explications que je ne saurais faire qu’en français. Après verdict, j’ai été condamné à six mois ferme. Je m’attendais à plus, parce que si j’étais détenteur d’arme, si j’avais conduit en état d’ébriété et si j’avais commis des actes contre-nature, je ne serai pas retenu pour six mois. Mais ils l’ont fait et j’ai compris pourquoi.

Pourquoi alors six mois ?

Parce que ce qui s’est passé après. Un, les juges n’ayant pas pu prouver que j’ai commis un acte contre-nature mais que j’ai voulu sauver un jeune homme et que cela s’est retourné contre moi. Ils n’ont pas attesté que j’étais en état d’ébriété, car nous étions au mois de ramadan et il est inexplicable qu’entre un nafila et la préparation du jeûne du lendemain, que je me retrouve dans cette situation. Ensuite, je leur ai expliqué que j’ai vécu une expérience qui m’a détruit moralement, physiquement et perturbé. Le temps de reconstruire ma vie, il est inimaginable, impensable que j’ose commettre des mêmes faits. C’était une forfaiture et j’ai accepté le sort du destin, mais je ne me reproche absolument rien.

Mais ce n’est pas la première fois qu’on vous reproche des faits d’homosexualité : est-ce que ce n’est pas une coïncidence malheureuse ?

Mon drame, c’est d’avoir été une fois accusé. Naturellement avec ce jugement, on se dit, puisqu’on n’a pas une preuve contre telle accusation, on reconduit l’autre accusation qu’on avait formulée contre lui. Mais pour quelqu’un qui doit reconstruire sa vie, retrouver les rails de l’existence sociale, c’est inimaginable, impensable que je me permette certains actes. Encore que nous étions au mois de ramadan qui est un mois de repentir, de prières et de dévotion. C’est une forfaiture orchestrée et d’ailleurs, c’est par la suite que je me suis retrouvé avec des avocats qui, volontairement sont venus me défendre sans bourse déliée. Je les remercie du fond du cœur, car ils ont compris l’injustice qui s’accommodait de cette accusation.

Lors de votre première arrestation vous aviez également parlé de complot. Pourquoi cela retombe sur vous tout le temps ?

Comme je l’ai dit, peut-être que c’est le drame de mon nom. La première fois, c’était un chantage. Pour quelqu’un qui n’a jamais été dans cette situation, c’était une sorte de conte des fées. La seconde fois, je me suis laissé emporter par ma générosité, mon humanisme de vouloir intercéder dans une torture qu’on infligeait à une personne et cela s’est retourné contre moi, mais en aucune façon, je n’ose imaginer, pour des questions morales, sociales, éthiques et religieuses et pour des questions d’option et de choix, faire certaines choses.

Lors de votre seconde arrestation, votre avocat attitré, Me Khassimou Touré n’a pas voulu vous défendre…

Il n’est mon avocat attitré. Quand j’ai lu la presse, j’ai été très surpris car ce fut une réaction spontanée, mais il ne savait pas ce qui s’est passé. Pour un avocat, il aurait dû attendre d’avoir la teneur du contenu de l’accusation. Mais je comprends sa colère et quel que soit ce qu’il a pu dire, je ne lui en veux pas. J’ai une admiration pour lui. La première raison, c’est que son père fut mon marabout, lorsque j’ai été à Guinguinéo. Grâce à lui, j’ai obtenu beaucoup de choses. La seconde raison, nous partageons des amis communs. Je comprends tous ceux qui, à la suite de cette accusation grotesque et grossière, ont eu une réaction négative contre ma personne. Parce que quand une personne traverse une épreuve similaire et qu’en moins de trois ans, on cite son nom dans des faits pareils, il est normal que les gens aient des réactions négatives. Ceux qui se disent que « mom la, mom la », (il est coupable), je les comprends parfaitement, car ils n’ont pas été informés.

A l’époque, certains ont même soutenu que vous avez besoin d’une thérapie.

Je ne suis ni psychologiquement ni mentalement malade. Je rends grâce à Dieu. Ceux qui le disent, je les comprends. Je ne peux pas vivre ce que j’ai vécu avec autant d’épreuves et de peines en bénéficiant du soutien moral de beaucoup de personnalités et me permettre de me retrouver dans des situations pareilles. C’est impensable.

Votre femme vous a-t-elle quitté et comment elle et votre famille ont vécu ces affaires ?

J’ai été très surpris par cette rumeur. Au Sénégal, nous sommes dans un pays de civilisation orale. La société concocte. On ragote. On procède à des commérages. On invente des forfaitures. Nous sommes dans une société où la parole fait des dégâts, où les gens éprouvent une sorte de délectation et de plaisir à inventer des monstruosités sur des personnes pour vouloir les détruire. Mon épouse est une grande dame. Elle n’est pas seulement mon épouse, mais mon amie et ma confidente. Le soutien qu’elle m’a apporté, personne ne me l’apporté, ni même ma mère. C’est un couple privé. Nous menons une vie privée et soudée. Tout le reste ce sont des ragots.

Cette affaire, elle l’a vécu avec une grande dignité. Je l’ai connue depuis plus d’une dizaine d’années et elle sait ce dont je suis capable ou non. Elle me connaît dans son intimité et elle avait immédiatement compris. Je me souviens, la première chose qu’elle a eu à me dire en wolof : «sa xol bou woyaf dinala dougal thi louné » c’est-à-dire, tu es tellement généreux que cela se retourne contre toi. Ma famille également est une famille qui me connaît qui m’a beaucoup soutenu.

Qu’en est-il de vos relations avec votre ancien employeur car vous n’êtes plus chroniqueur à Nouvel Horizon ?

Il n’y a eu aucun problème entre nous. C’est moi qui, personnellement, ai décidé d’arrêter pour prendre du recul, car je me suis rendu compte que comme le dit un dicton wolof : « siw dou djami borom » que la célébrité peut parfois charrier en elle des catastrophes. Mais au contraire, ils m’ont soutenu et j’ai gardé des relations amicales et sincères. C’est de façon personnelle que j’ai arrêté, mais je continuais à écrire ailleurs.

Mais avec un pseudo ?

Tout dépendait du genre de chroniques que je produisais.

Que répondez-vous à ceux qui disent que Jupiter doit casser sa plume disparaître de la scène publique ?

Je ne réponds pas, parce que je considère que je suis un citoyen sénégalais né et qui a grandi au Sénégal. J’ai été victime de toute sorte de commérage, mais j’ai réussi à avoir une peau de carapace. J’ai toujours subi et j’ai tenu et je compte tenir toujours.

Etes-vous radié de l’enseignement ?

Il y a quelque chose qui relève des normes. Lorsque quelqu’un a des problèmes avec la justice et subit une condamnation supérieure à trois mois ferme, naturellement, il se retrouve en contradiction avec ce pour quoi il était recruté par la fonction publique. Mais même lorsque j’ai été fonctionnaire, ce n’est pas mon salaire qui me nourrissait.

Comment avez-vous vécu votre incarcération ?

Je l’ai vécu avec beaucoup de foi, parce que quand on perd la foi, on perd la voie. Cela a, au contraire, renforcé ma foi en Dieu. Cela a attisé mes croyances. Je suis quelqu’un qui moralement, psychologiquement est préparé à tous les bonheurs et à tous les malheurs et les bonheurs.

Votre foi est certes restée intacte, mais la prison n’est pas l’hôtel, car il y a les rigueurs carcérales…

Aucune prison au monde n’est pas un hôtel encore que la prison de Rebeuss est une prison très particulière. Parce que, d’abord, c’est une prison qui ne répond pas aux normes ni pour les gardes encore moins pour les détenus. C’est une prison qui n’a pas été construite en 1929 pour accueillir des êtres humains, mais des animaux, selon certaines informations que j’ai obtenues. En réalité, c’est un espace extrêmement douloureux. Il faut avoir la foi pour tenir. Quand on n’en a pas, on peut perdre la raison. Donc, je l’ai vécu de façon tout à fait normal, avec une dignité absolue, car j’y ai trouvé des êtres humains. L’écrasante majorité, ce sont des citoyens sénégalais, qui suivent l’actualité. C’est un autre espace de la société où tout ce qui se pratique dans le cours normal de la vie s’y pratique. Ils fêtent la Tabaski et toutes les autres fêtes. C’est en prison que j’ai découvert des gens qui se sont approfondis dans la foi qui est leur seul refuge, leur abri ultime. C’est là où j’ai découvert des gens qui prient jusqu’à ce que leur âme atteigne une certaine spiritualité. Il n’y a que cela en prison : la foi et le courage.

Est-ce que vous pouvez nous décrire les mauvaises conditions à Rebeuss racontées souvent?

J’ai la certitude absolue que l’autorité d’Etat ignore ce qui se passe réellement dans les prisons au Sénégal, plus particulièrement à Rebeuss. J’ai la certitude que le ministère de la Justice, le directeur de l’administration pénitentiaire ne sont pas informés de façon capillaire et dans les moindres détails de la réalité. Premièrement, c’est une prison pléthorique. Ce qui explique la pléthore, c’est d’abord une conglomération de détenus qui, pendant des années, attendent d’être jugés. J’ai découvert des gens qui, dans l’attente de leur jugement, ont perdu la vie. Quand j’étais à Rebeuss, trois personnes y ont perdu la vie. L’un est un jeune qui s’appelle Yandé Diop et aurait des problèmes d’asthme. Le second Ndiambé Dione et le troisième Gassama. Ils sont tous morts dans l’attente de leur jugement. Certains attendent 5 ans, 10 ans avant d’être jugés. Dans cette attente de jugement, certains perdent la vie ou la raison. En prison, j’ai découvert des gens fous. A défaut d’être en contact avec la société, la marche du temps, ils finissent par être assombris dans leur esprit et perdre la raison. Ce qui se passe à Reubess est une tragédie. C’est ce qui explique les volontés d’évasion.

Justement comment les gens arrivent à s’évader à Rebeuss qui apparemment est une prison bien sécurisée ?

A mon avis, il y a trois raisons. La première, dans les prisons et particulièrement à Rebeuss, il y a des gardes qui mènent autorité et humanisme. Il y en a qui pensent que l’autorité ne s’accommode pas avec humanisme. Ces gardes-là finissent par créer un désarroi et pousser les détenus à la révolte. C’est ce qui explique que certains ont envie de s’évader non pas pour quitter l’espace carcéral, mais pour s’éloigner de ces gardes. L’autre raison est que les conditions de détention sont tellement inimaginables. Il y a une pléthore dans les cellules où on n’arrive même pas à poser un pot à cause du nombre de détenus qui y sont entassés. L’autre raison, ce sont les longues détentions. Quand vous prenez plusieurs personnes, vous leur demandez d’attendre d’être jugées.

Elles attendent pendant des années et vous en rajoutez d’autres. Au fur et à mesure que le rythme continue, la prison va être remplie de détenus et on se retrouve dans une sorte de pléthore qui fait que pour les détenus, sortir prendre de l’air, c’est une renaissance, c’est une résurrection. Rester à l’intérieur, c’est accepter une mort. Rebeuss, ce n’est pas une prison où on vit ou même on survit. C’est une prison où on affronte le destin, le supplice, le mal. D’abord, il y a des gardes qui sont d’une générosité humanitaire, c’est le cas du chef du service social. C’est un peu l’Abbé Pierre de la prison de Rebeuss, mais à côté, il y a en pour qui, c’est torturer. Il y a des gardes qui considèrent que la prison de Rebeuss, c’est une maison d’arrêt, de correction et d’humanisation alors que pour d’autres, c’est une maison d’arrêt et de torture. Cela crée des frustrations internes et des révoltes.

Que pensez-vous de la politique pénale du Sénégal : est-ce que la prison est la solution ?

On doit revoir la politique pénale. Je constate qu’au Sénégal, les détentions préventives sont extrêmement longues et qu’on éprouve une certaine fierté à donner des peines lourdes. Il y a beaucoup de récidivistes et cela s’explique par le fait que quand on garde une personne longtemps dans un univers carcéral, celle-ci éprouve des difficultés à réintégrer la société. Si une fois, elle retourne en prison, c’est comme si elle retrouve son monde naturel. Donc, la politique pénale est à revoir, car pour moi, il y a des actes qui ne méritent pas certaines peines. Vous voyez une personne accusée à tort et acquittée au bout de cinq ans de détention préventive, cette personne quitte la prison pour aller reconstruire une nouvelle vie, car qu’elle en avait déjà. Au Sénégal, nous n’avons pas un problème de justice, car nous avons l’un des meilleurs arsenaux juridiques d’Afrique.

Mais, nous avons plutôt un problème de juge. Parce qu’un juge a beau porter une toge, c’est un être humain qui n’est pas soumis à l’infaillibilité. Le juge est un être humain qui a des sentiments, des convictions secrètes. C’est quelqu’un qui peut subir une corruption. La corruption dont parlait Me Mame Adama Guèye, elle n’est pas que financière, mais elle est aussi morale, parce que le juge, autant même qu’il est juge, il peut donner un verdict, selon ses convictions intimes, sa vision silencieuse de la société. Et c’est à partir de ce moment, qu’il peut asséner une peine. Le juge n’est un Dieu ou un messie, mais un être qui vit et qui meurt. Qu’est-ce qu’on voit au Sénégal ? Deux personnes qui sont dans deux endroits différents peuvent commettre la même infraction et écoper des peines différentes. Pour moi, n’est pas Kéba Mbaye, Andrésia Vaz ou Abdoulaye Mathurin Diop, qui veut. Il y a des juges qui ont posé le socle de l’institution judiciaire du Sénégal.

Quelle est la part de la famille, si l’on sait que certains détenus ne reçoivent pas de visite ?

J’ai vu des détenus abandonnés, oubliés par leurs propres familles. Ce n’est pas un choix volontaire, mais les familles, de guerre lasse, finissent par lâcher du lest. Ou bien, elles ne peuvent plus continuer à faire la navette pour apporter à manger en prison. Il y a énormément de condamnés qui se sentent oubliés, à cause des longues détentions et ils sont obligés de ne s’accommoder des nourritures qui leur sont servies en prison et qui ne sont pas de qualité. Ce qui fait que moralement, physiquement, la prison détruit une personne. Elle peut subir une métamorphose, à cause des rigueurs carcérales

Est-ce à cause de ces rigueurs que vous avez été hospitalisé, au point qu’on ait parlé de votre état comateux?

Oui, parce que le stress, la solitude, le fait de se retrouver dans un état de névrotique provoque des crises épileptiques. Contrairement à ce qui a été dit, je n’étais pas dans le coma, mais il m’arrivait d’avoir des crises épileptiques. C’est pourquoi, j’ai été hospitalisé. L’hôpital Principal s’est montré professionnel et humanitaire à mon endroit. En revanche, je me suis rendu compte que l’infirmerie de la prison a un grand problème. C’est une infirmerie d’une étroitesse inouïe, qui ne peut pas prendre en charge l’ensemble des détenus de la prison. Elle ne dispose même pas d’ambulance, en cas d’urgence. Le médecin et les infirmiers sont en train de mener toutes les batailles du monde afin de faire leur travail convenablement. On a l’impression que, pour l’autorité d’Etat, on n’a pas besoin de faire certains efforts or des personnes tombent malades.

Comment votre ex-codétenu Karim Wade vit-il son emprisonnement ?

En ce qui concerne Karim, j’ai été extrêmement impressionné par sa force et sa solidité. J’ai trouvé un Karim vivant, dynamique et plein de foi. J’engage mon honneur en le disant : j’ai trouvé un Karim plein d’humanisme qui a eu à aider beaucoup de détenus qu’il a croisé ; qui passe tout son temps à prier, à jouer au scrabble, à faire du sport ou à discuter avec les gardes ou des détenus. Ce sont ses activités, s’il n’a pas de visite. J’ai trouvé un homme avec une foi et souhaite à quiconque qui arrivait en prison, un séjour de paix et une bonne reconversion sociale à ceux qui partaient. J’ai eu à discuter avec lui sur beaucoup de questions.

Comment vit-il son investiture comme candidat du PDS à la prochaine présidentielle ?

Je sens quelqu’un qui sent qu’il est un candidat à la Présidentielle. Je sens quelqu’un qui, politiquement est prêt. C’est quelqu’un de très intéressé par l’actualité. Je ne sais pas s’il est candidat ou pas, car on n’en a pas discuté, mais je sens quelqu’un d’extrêmement combatif. Paradoxalement, il a un bel esprit de dépassement. Durant nos discussions, je ne l’ai jamais entendu tenir de propos déplacés sur le Président Sall ni malveillants à l’endroit des membres de l’APR. Même avec l’histoire de Modou Diagne Fada et Aïda Mbodj, j’ai voulu le provoquer, mais j’ai vu qu’il prenait du recul pour l’aborder avec une certaine sagesse.

Je crois que malgré l’adversité, il constate et considère que Macky Sall incarne une institution. L’autre preuve de dépassement, c’est quand je lui ai donné le livre d’Alioune Fall « Contre vents et marrées». Il a pris le temps de le lire et me l’a rendu sans commentaire. Et paradoxalement, il m’a dit : « Alioune Fall a une belle plume ». Je m’attendais à toute sorte de réaction de sa part, à ce qu’il s’en prenne à Alioune Fall ou au Président Macky Sall. Quand je lui ai dit : dans le livre, il y a des informations, des masques qui sont tombés avec des gens qui ont été avec vous, mais qu’on découvre qu’ils étaient contre vous, il m’a répondu : «On savait tout, mais, on est au Sénégal, en politique et en démocratie ». Au-delà de ces discussions furtives, nous n’en avions pas beaucoup, car les gardes ne nous permettaient pas de rester longtemps et de discuter.   

Fatou Sy

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