Publié le 24 Jan 2020 - 23:36
ENTREPRENEURIAT FEMININ AU SENEGAL

We-Fi pour faciliter l’accès des femmes à la commande publique

 

Afin de faciliter l’accès des femmes à la commande publique, la Banque mondiale a lancé, hier à Dakar, le projet We-Fi.

 

Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), 33 % des femmes sont dans l’entrepreneuriat, au Sénégal. Toutefois, elles sont souvent confrontées à des contraintes qui freinent la croissance de leurs entreprises, y compris leur accès aux marchés. ‘’Pour ce qui est des marchés publics, ceux-ci représentaient 17 % du PIB du Sénégal en 2017. Une opportunité considérable pour stimuler l’entrepreneuriat féminin. Entre 2009 et 2017, la part des PME dans les contrats publics représentait, en moyenne, 73 % des marchés exécutés (contre 20 % en termes de la valeur des contrats publics). Il est temps que les PMEF (NDLR : Petites et moyennes entreprises des femmes) profitent aussi de ces opportunités conséquentes’’, affirme la chargée de programme du développement humain au Sénégal de la Banque mondiale. Sophie Naudeau s’exprimait hier, lors d’un atelier de lancement du projet We-Fi.

Aujourd’hui, bien que les données manquent, Mme Naudeau soutient que l’expérience montre que les PMEF, souvent, n’ont même pas connaissance des marchés publics. ‘’L’objectif du projet We-Fi est donc de développer les capacités des PMEF à répondre aux opportunités conséquentes sur le marché public. Cela demande, à la fois, une règlementation adéquate au niveau national et des PMEF outillées à répondre fructueusement à la commande publique’’, explique-t-elle. La chargée de programme du développement humain de la BM souligne qu’il existe encore de nombreuses lois et réglementations au Sénégal qui ‘’empêchent’’ les femmes d’entrer dans la vie active ou de créer une entreprise. Elle pense que ces obstacles peuvent avoir des ‘’effets durables’’ sur leur inclusion économique.

Sur ce, Sophie Naudeau indique que le projet We-Fi fait partie d’un ensemble d’initiatives que la BM veut imprimer avec le gouvernement sénégalais, pour faciliter les activités économiques des femmes et des PME en général. Il met l’accent sur la demande et l’offre de biens et services pour un meilleur accès aux marchés publics.

Du côté de la demande de biens et services par le gouvernement, le projet travaillera étroitement avec l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP). Ceci, pour mettre en place un cadre règlementaire préférentiel pour les PMEF, accompagné d’un programme de sensibilisation. Et aussi d’une formation au profit des cadres du gouvernement impliqués dans la passation des marchés pour opérationnaliser le nouveau cadre règlementaire.

La commande publique estimée à 2 500 milliards de F CFA en 2018

Dans tous les pays du monde, le directeur général de l’ARMP reconnait que la commande publique représente une somme extrêmement importante. Et aucune entreprise ne peut se développer de manière ‘’harmonieuse’’ en se détournant de la commande publique.

‘’Au Sénégal, en 2008, au moment où on entrait dans l’ère des grandes réformes des marchés publics, le budget de la commande publique tournait autour de 500 à 600 milliards de francs CFA. En 2018, on a franchi la barre des 2 500 milliards de francs CFA. Si, aujourd’hui, nous avons une catégorie, à savoir les femmes qui s’investissent dans la commande publique et qu’elles n’y représentent que 1 %, cela veut dire qu’elles ne sont pas du tout dans les marchés publics. Elles sont exclues’’, signale Saër Niang.

En réalité, le DG de l’ARMP précise qu’au Sénégal, ce ne sont pas les textes qui excluent les femmes. D’après lui, au plan technique, elles ‘’ne sont pas peut-être assez outillées’’ pour compétir de manière ‘’effective’’ dans la commande publique. ‘’Nous avons les recettes et nous pouvons les accompagner de manière utile, en organisant régulièrement des formations, des ateliers de renforcement de capacités. Mais, également, en mettant en place un groupe d’experts d’accompagnement’’, renchérit M. Niang. Pour lui, dans la commande publique, l’élément essentiel est de pouvoir présenter un dossier d’appel d’offres compétitif. ‘’Là, nous pourrions avoir un bureau dédié, pour accompagner les femmes dans l’élaboration de leurs soumissions’’, propose le DG de l’ARMP.

En fait, M. Niang fait savoir que 80 % des structures qui gagnent les marchés publics préparent bien leurs dossiers d’appel d’offres. Souvent, les entreprises qui sont exclues ne le sont pas parce qu’elles ne savent pas faire. Elles ont la technicité et la connaissance, mais elles sont exclues tout simplement, parce qu’elles n’ont pas la compétence marché public. Elles ne maitrisent pas bien la règlementation et n’arrivent pas à organiser leurs soumissions. ‘’Il arrive souvent que des entreprises qui ont cette technicité, cette capacité à soumissionner, arrivent à gagner des marchés et peinent à les exécuter correctement. La formation est un élément fondamental, essentiel et incontournable pour pouvoir se positionner et avoir un poids dans la commande publique’’, poursuit M. Niang.

Dès lors, le DG de l’ARMP préconise le système de quotas ou un taux préférentiel pour permettre aux femmes d’avoir accès aux commandes publiques. ‘’Dans les deux cas, nous pouvons réfléchir et voir quelle est la meilleure formule et l’inscrire dans le Code des marchés publics. Mais le problème, ce n’est pas de l’inscrire, de l’annoncer ou d’avoir une loi ; c’est plutôt d’avoir un mécanisme opérationnel. Le mode opératoire doit être accessible et codifié. Ainsi, les gens sauront comment procéder. Sinon, ce sera un vœu pieux que les gens n’exécuteront pas, surtout quand il s’agit des quotas’’, dit-il.

Dans la dynamique de toilettage du Code des marchés publics, Saër Niang a annoncé que, de ce qui sera convenu avec l’Etat, ils sauront s’il faut aller vers les systèmes de quotas ou la préférence.

Pour sa part, le conseiller technique du ministre de la Femme estime que la logique des quotas ‘’n’est pas économique’’. ‘’Faire le plaidoyer de l’accès des femmes aux commandes publiques c’est bon, très tactique. Mais nous devons agir sur les prérequis. Les femmes entrepreneures ont du mal à accéder aux services financiers, aux compétences techniques, sophistiquées pour leur permettre de faire clore convenablement leurs entreprises, à se mettre à niveau tant sur les questions d’innovations que le grand mouvement qui est en train d’organiser l’économie mondiale’’, préconise Mouhamed Ndiaye. Ceci, dit-il, pour permettre aux femmes de se positionner sur l’ensemble des secteurs productifs et à forte valeur ajoutée. Le CT du ministre de la Femme pense que ce projet doit servir de catalyseur pour redresser tous les problèmes. ‘’Les femmes ont quatre fois moins accès au système bancaire que les hommes, au Sénégal. La cartographie de l’écosystème également montre une diversité d’acteurs, malheureusement avec un manque de concertation et de synergie. Or, la loi économique nous contraint à un certain nombre de considérations. Il faut qu’on ait une vue systémique du problème avec une forte concertation et synergie des acteurs, tant du secteur privé, public que du côté des organisations de la société civile’’, relève-t-il.

199 milliards de F CFA pour l’autonomisation économique des femmes et des filles

Dans l’agriculture, M. Ndiaye indique aussi que les femmes sont souvent employées comme aides familiales et ont un accès limité aux terres et aux facteurs de production. Et elles représentent 16 % des exploitations familiales, contre 84 % pour les hommes. Elles ont 6 % des proportions cultivables. ‘’Or, nous sommes dans une économie agricole au Sénégal. Et cette problématique doit être prise en compte. Les femmes travaillent généralement dans des activités à faible valeur ajoutée avec des emplois plus précaires et moins qualifiés. Le pourcentage des femmes qui ne sont pas rémunérées pour leur travail est de 17 % contre 13 % pour les familles. Il faut aussi libérer le potentiel des femmes’’, plaide le conseiller technique de Ndèye Saly Diop Dieng.

Avant d’ajouter que dans l’économie sénégalaise, 4 secteurs ont une forte présence des femmes. Il s’agit de l’agriculture, de l’élevage, du commerce et de l’artisanat. ‘’Cependant, nous devons positionner les femmes dans les métiers du futur tels que le transport, les mines et la géologie. Et toutes ces problématiques ont été prises en compte dans une nouvelle stratégie que l’Etat du Sénégal vient de mettre en place et qui est en cours de validation. C’est la Stratégie nationale pour l’autonomisation économique des femmes et des filles. Ceci avec un programme d’action prioritaire 2020-2024 qui embarque environ 20 projets et budgétisé à hauteur de 199 milliards de francs CFA’’, conclut-t-il.

MARIAMA DIEME

 

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