Publié le 22 Jan 2015 - 20:17
ENTRETIEN AVEC…ALAIN GIRESSE, SELECTIONNEUR DU SENEGAL

‘’Je démarre toujours un match en ayant un plan B…’’

 

Juste avant le début de la CAN, Alain Giresse avait accepté d’échanger avec EnQuête sur les systèmes qu’il utilise avec les Lions. Un entretien très riche qui permet de mieux connaître la philosophie de jeu du technicien français et, rétrospectivement, comment il a retourné la situation face au Ghana.

 

Alain, vous avez joué avec plusieurs systèmes de jeu depuis votre arrivée au Sénégal…

Pour tout dire, j’en ai utilisé trois, mais il y a eu plusieurs variantes avec ces systèmes. Disons que la base, c’est le 4-3-3. Après, cela dépend de comment on le décline, cela peut être en 4-3-3 avec pointe haute ou basse, ou 4-2-1-3, ou 3-4-1-2.

Le fait de changer d’un match à l’autre parfois, ne pousse-t-elle pas l’équipe à ne pas s’habituer à un système ?

On n’a pas d’obligations à s’habituer à un système. Le système est une organisation, un positionnement ; mais après, c’est l’animation, et elle reste la même. Je suis d’accord avec vous sur la perturbation que cela peut avoir si on passait du jeu en zone à un jeu en individuel, car ce sont des situations qui peuvent chambouler l’expression de l’équipe. Mais par contre, quand vous êtes toujours en zone, c’est simplement le positionnement qui n’est pas la même mais qui fait que dans l’animation, tous les mouvements de joueurs sont dans les mêmes principes.

Aujourd’hui, le potentiel de l’équipe le permet et cela nous donne de la variété. En même temps pour toujours imprimer ce même système, il faut être très fort dans le sens où vous allez jouer toujours de la même façon et en face, ils savent que vous jouez ainsi. Si vous n’avez pas sur le plan individuel des joueurs capables de vous faire la différence, votre système va être étouffé par celui d’en face. Prenons l’exemple de Barcelone, malgré les talents qu’ils ont, les gens commencent à connaître leur système et quelquefois, ils ont du mal à trouver la faille. C’est le problème d’un système qui peut se retrouver tout d’un coup coincé parce qu’en face, on l’a bien décrypté.

Changer de système pour vous, c’est d’abord une volonté de surprendre l’adversaire ?

C’est une possibilité pour nous. Et si cela doit perturber l’expression du joueur, on fera alors en sorte qu’on ait les joueurs qui conviennent au poste. Si on est à 4 ou 5 derrière, ce n’est pas le même système, et ce sont les joueurs qui peuvent répondre à ce système dans le cadre de l’animation de jeu qui reste inchangé par rapport à la façon dont nous voulons jouer. Car faire le jeu, rechercher du jeu dans les situations offensives, cela reste toujours.

Est-ce que le profil polyvalent de vos joueurs vous permet de mieux passer d’un système à l’autre ?

Il y en a quelques-uns qui peuvent passer de défenseurs centraux à milieux axiaux ; donc oui, cela l’autorise aussi. Il y a une partie qui est polyvalente et on peut jouer sur cette polyvalence qui nous permet donc de pouvoir répondre dans certains cas aux exigences des systèmes.

C’est quoi votre système préféré ou de référence ?

Alors cela serait un 4-4-2 avec un milieu en losange. Au Sénégal, je ne l’ai pas utilisé parce qu’il faut des joueurs qui y correspondent.

Vous avez été tenté de le faire avec les Lions?

Oui bien sûr, mais la connaissance des joueurs, la connaissance de leur jeu à travers les entraînements, et tout cela, donnent des indications. Il faut avoir un numéro 10 avec un milieu qui coulisse sur les côtés. Donc il faut avoir cette articulation avec le joueur devant et puis vous avez ce numéro 6 qui est important car c’est un joueur qui a, à la fois, la capacité de freiner et de relancer le jeu. Les latéraux doivent avoir la capacité de faire la différence sur les côtés, et les milieux relayeurs capables de glisser sur les côtés également.

Quel est le système qui vous a le plus donné satisfaction ou rassuré ?

Je n’ai pas eu de système qui m’a posé problème. Le match le plus délicat qu’on a eu à faire, c’était en Côte d’Ivoire (1-3), une très mauvaise performance. Le système ne résout pas tout dans un match parce qu’il y a l’expression individuelle, la capacité du joueur à créer une action, à faire un geste. Un système où il a fallu démarrer et modifier en cours de route, cela n’est pas évident. Il a fallu faire des aménagements en tenant compte des circonstances du match. Je démarre toujours un match en ayant un plan B, et c’est en fonction de comment nous, on va démarrer ce système.

‘’Sadio, Dame et Pape Kouly peuvent jouer ensemble…’’

Pour beaucoup, les matches contre la Côte d’Ivoire au retour (1-1 en 3-4-3) et la Tunisie à Monastir (0-1, en 4-2-3-1) ont été les plus aboutis. Partagez-vous cela ?

Oui bien sûr, mais contre la Côte d’Ivoire, il y avait plus d’intensité car on a eu plus de répondant, donc il fallait toujours maintenir en permanence le niveau d’engagement, le niveau de détermination, de réflexion et de qualité technique. Il a fallu les maintenir jusqu’au bout. On ne peut pas se permettre des faiblesses. En Tunisie, la maîtrise a été totale, surtout en deuxième mi-temps, on n’a pas été contestés. La seule chose qui manquait, c’est qu’on n’a pas concrétisé avec la victoire.

Dans vos systèmes, on sent une volonté d’avoir un organisateur, un numéro 10. L’idéal, c’est qui ? Dame Ndoye, Sadio Mané, Pape Kouly ?

Ni Dame Ndoye, ni Sadio Mané. Ce n’est pas parce que Dame Ndoye a fait deux passes décisives qu’on va le propulser meneur de jeu. Il s’est retrouvé dans des situations où il ne pouvait faire que des passes décisives, mais ce n’est pas son registre. C’est un attaquant qui bouge, qui est capable d’avoir de la percussion et de délivrer des passes décisives, mais il n’est pas dans le registre type de celui qui est capable d’organiser le jeu. Pape Kouly est plus dans le registre de celui qui fait jouer l’équipe et donne du rythme à sa formation. Sadio n’est pas dans ce registre. Il est plus dans le registre de perforateur, de déstabilisateur.

Les trois peuvent-ils être alignés ensemble ?

Oui bien sûr. Ils ne jouent pas forcément au même poste.

‘’Le Milan de Sacchi et sa philosophie de jeu m’ont marqué’’

Quels sont les postes clés dans votre système ?

C’est surtout d’avoir une base solide reposant sur un système qui répond aux exigences défensives dont on a besoin. C’est le premier rôle et cela permet derrière l’expression collective de toute l’équipe. Chaque système aussi a besoin des hommes qui peuvent remplir les postes correspondants au système.

Dans chaque ligne, il vous faut un leader

Pas spécialement. Ce qui est important, c’est qu’à partir du moment où on met des joueurs à ces postes-là, ils répondent à ce poste par rapport à leurs qualités ; que ce poste convienne à l’expression des qualités du joueur. Fabio Capello, qui était adepte à Milan du 4-4-2 d’Arrigo Sacchi, s’est retrouvé à la Roma avec Cafu et Candela qui étaient des arrières hyper offensifs. Là, qu’est-ce qu’il a fait ? Il est passé en 3-5-2 pour donner cette liberté à ces deux joueurs.

Capello a gardé l’âme de ce système cher à Arrigo Sacchi, mais lorsqu’il a vu qu’il n’a pas les joueurs types pour ce système, il a modifié. Soit vous vous dites : ‘’J’ai les joueurs et je fais ce système’’ ou alors vous vous dites : ‘’Moi, j’ai mon système et les joueurs s’adaptent’’. Vous allez à Lorient, Gourcuff jouait en 4-4-2. Mais il ne joue pas pareil avec l’Algérie parce qu’il a un joueur qui s’appelle Yacine Brahimi. Donc, il fait une variante en 4-4-1-1, avec Brahimi comme meneur.

Y a-t-il des entraîneurs ou des équipes de référence qui vous ont marqué ?

Je parlerai d’abord d’Arrigo Sacchi comme entraîneur. Son Milan et sa philosophie de jeu m’ont marqué. L’équipe de l’Ajax des années 1970 des Cruyff, également. On était plus dans un état d’esprit de bloc d’attaque,  bloc défense. Il y a également le Barça de Guardiola qui était dans un système adapté à une philosophie qui consiste à conserver le ballon et trouver l’ouverture.

Recueillis par Pape Saër Guèye

 

Section: