Publié le 28 Jun 2013 - 05:24
ENTRETIEN AVEC…ALBAN CORBIER-LABASSE, DIRECTEUR DE L’INSTITUT FRANÇAIS DE DAKAR

“Notre principale réussite ? Faire en sorte que les Sénégalais se réapproprient l’Institut.”

 

EnQuête  : Quel serait le bilan de vos 4 années à la tête de l’ex-CCF ?

Aban Corbier-Labasse : Exercice difficile ! J’estime ne pas avoir la distance suffisante par rapport à l’établissement et pour éviter de verser dans l’affectif.

Le plus sage, ce serait encore de rester dans le factuel et, donc, la chose la plus factuelle qu’on va laisser, si je puis dire, est en termes d’immobilier. C’est-à-dire qu’on va rendre l’institut dans un état bien meilleur que celui dans lequel on l’a trouvé. C’est notamment vrai pour la Galerie du Manège qui était assez étriquée : il y avait un mur qui la fermait et qu’on a fait tomber pour ouvrir la cour. Hier soir, on a même inauguré un nouvel aménagement, par le designer Ousmane Mbaye, qui va complètement transformer cet espace-là avec du mobilier urbain.

On a également créé ici, sur le site de la rue Joseph Gomis, un pavillon qui sert de sale d’exposition et de loge pour les artistes. C’est un très beau travail architectural réalisé par un couple franco-sénégalais, Abdou et Marlène Sène. Bref, il y a eu pas mal de travaux d’amélioration, comme notre laboratoire de langues multimédia… Et donc, en guise de bilan, notre responsabilité était d’amener une petite pierre à l’édifice, ce qu’on a réussi à faire puisqu’aujourd’hui, on a à Dakar un très très bel outil, pour ne pas dire l’un des plus beaux instituts francophones d’Afrique subsaharienne. C’est personnellement un endroit que j’adore et que je vais quitter avec beaucoup de regrets.

Et par rapport à la programmation ?

Quand je suis arrivé, il y a 4 ans, le Centre Culturel Français était connu pour être un lieu d’excellence dans la musique, maintenant on fait aussi d’autres choses, même si toujours autant de musique. On a réussi à s’ouvrir sur les autres disciplines artistiques alors sous-représentées pour ne pas dire absente de la programmation de l’institut. Malheureusement, à Dakar, quand on dit “absentes de la programmation de l’institut”, ça veut souvent dire absente de la programmation de la ville ou du pays.” Et là, je pense notamment à la danse contemporaine : si l’institut ne s’était pas remis à programmer de façon beaucoup plus régulière de la danse contemporaine, où sont les endroits où vous verrez aujourd’hui de la danse contemporaine ? Où sont les endroits aujourd’hui où vous voyez les comédiens sénégalais créer des pièces de théâtre, s’exprimer sur scène? Donc c’était important pour moi, en arrivant, de mettre en valeur la vitalité artistique de Dakar car on ne la voit pas tant que ça sur les scènes puisque tout est dominé par la musique, en quelque sorte.

Il fallait rééquilibrer ?

Le travail a ainsi été de rééquilibrer un petit peu, tout en faisant la part belle à la musique qui reste la discipline la plus, je dirais, populaire au Sénégal. Mais le but a été de redonner de la place aux autres langages artistiques, au nombre desquels je compte évidemment les arts plastiques puisque notre politique au Manège a été, pour moi, un des axes forts de ces 4 dernières années. Il y a aussi le cinéma : pour l’instant, quelqu’un qui veut voir un film en salle, un film récent ou un film africain, l’une des options principales, pour ne pas dire l’option essentielle, c’est l’Institut français. Nous sommes les seuls à avoir une programmation régulière de 4 à 6 films par semaine, avec des tarifs tout à fait accessibles, une qualité de projection, une salle climatisée, etc. On voudrait bien qu’il y ait d’autres salles, mais ce n’est pas le cas pour le moment. L’idée, c’était vraiment cette question de donner de la place à ces artistes qui n’ont pas forcément les moyens de se produire ailleurs.

L’image du centre a-t-elle changé ?

Le retour que j’ai eu de plein de gens là, quand j’ai annoncé mon départ de l’institut, c’est qu’ils m’ont dit avoir trouvé que le centre était redevenu un espace de passage, un lieu de croisement et que les artistes y revenaient volontiers, pas seulement pour s’y produire mais pour discuter, se croiser... Du coup, je pense qu’il y a eu toute une partie des Dakarois qui se sont réapproprié, d’une certaine manière, le centre. Et c’est une véritable satisfaction.

Les moments de votre passage à Dakar dont vous vous rappellerez le plus?

Le premier, ça a été le 50e anniversaire de l’institut quand je suis arrivé en 2009 et à l’occasion duquel Ismael Lô nous avait donné un concert magnifique. Le Théâtre de Verdure était plein à craquer  et, moi, je venais d’arriver... C’était ma première rencontre avec le public de l’institut : un moment assez fort.

Un autre moment important aura été le vernissage de l’exposition de Barthélémy Toguo et Soly Cissé à la biennale de Dakar 2010.  Ça a été un véritable événement aussi bien pour le Manège que la biennale et les artistes : il y avait plus de 1000 personnes dans la cour du Manège, l’ambassadeur de France avait décoré Soly Cissé à ce moment-là, donc, ça a été un des moments forts de cette année.

Et enfin, pour conclure, en 2013, le concert de Grand Corps malade à la Biscuiterie. Ça fait 3 ans que Vendredi Slam (NDLR: un collectifs d’artistes de la cène Hip-Hop sénégalaise) me demandait de faire venir Grand Corps malade et un mois avant mon départ, on est arrivé à le faire venir! Il a donné un concert généreux, magnifique, devant 3000 personnes et c’était vraiment formidable… Donc ça fait 3 souvenirs, mais j’aurais voulu tous les garder parce qu’il n’y en a pas un plus fort que l’autre.
 

PAR SOPHIANE BENGELOUN

 

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