Publié le 12 Jun 2019 - 21:29
EXPLOITATION DES ENFANTS TALIBES

Un énième rapport accablant

 

Human Rights Watch a publié, hier, un rapport démontrant que la situation des enfants talibés mendiants ne cesse de se détériorer. Intitulé ‘’Il y a une souffrance énorme : Graves abus contre les enfants talibés au Sénégal, 2017-2018’’, le document relate, preuves à l’appui, les multiples formes de violence et de maltraitance dont souffrent ces enfants censés apprendre le Coran.

 

 ‘’De nombreux ‘daaras’ hébergeaient des dizaines, voire des centaines de talibés dans une saleté et une misère abjectes, souvent dans des bâtiments inachevés, sans murs, sans sols ou sans fenêtres. Le sol était jonché de détritus et d’eaux souillées, l’air grouillait de mouches et les enfants dormaient entassés, plusieurs dizaines par pièce, ou dehors, souvent sans moustiquaire. Des dizaines de talibés visiblement malades ou atteints d’une infection n’avaient pas reçu de traitement médical et 13 des ‘daaras’ visités ne donnaient que peu, voire pas de nourriture aux enfants’’.

Tel est le tableau décrit dans le rapport 2017-2018 de Human Rights Watch publié hier. L’Ong dénombre 100 000 enfants talibés mendiants à travers le pays. En effet, l’organisation, en partenariat avec la Plateforme pour la promotion des Droits de l’homme (Ppdh) a, pendant dix semaines (juin 2018-janvier 2019), fait un travail de terrain dans quatre des huit régions touchées par la mendicité des enfants talibés. Ce sont, au total, 22 écoles coraniques de Dakar, Diourbel, Louga et Saint-Louis qui ont fait office d’échantillon, 88 talibés interrogés ainsi que des dizaines de travailleurs sociaux, d’experts de la protection de l’enfant, d’activistes et des représentants du gouvernement.

Ainsi, relevant des ‘’abus graves’’ perpétrés sur ces enfants âgés de 5 à 15 ans, le rapport a  documenté ‘’61 cas de passages à tabac ou d’abus physiques perpétrés à l’encontre de talibés en 2017 et 2018, 15 cas de viol, tentatives de viol ou d’abus sexuels et 14 cas d’enfants emprisonnés, attachés ou enchaînés dans un ‘daara’’’.

Toujours selon le document, ces abus auraient tous été commis par des maîtres coraniques ou leurs assistants. A cela s’ajoute la migration de ces enfants engendrée, d’une part, par des parents qui emmènent leurs progénitures dans des ‘’daaras’’ se trouvant dans d’autres régions et, d’autre part, par la fuite de ces derniers en raison des violences subies. Sans oublier le fait que certains parents retournent leurs enfants dans ces ‘’daaras’’ tout en ayant connaissance des sévices qu’ils subissent.

16 enfants talibés ont perdu la vie en 2017 et 2018, du fait d’abus…

Soixante-trois des 88 talibés interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que leur maître coranique exigeait d’eux qu’ils rassemblent chaque jour une somme d’argent fixe, ou ‘’versement’’, allant de 100 à 1 250 F Cfa. Pis, 16 enfants talibés ont perdu la vie en 2017 et 2018, du fait d’abus, d’actes de négligence ou de mise en danger de la part de maîtres coraniques ou de leurs assistants. Parmi ces enfants, trois sont morts des suites de coups violents, quatre dans deux incendies de ‘’daaras’’, cinq dans des accidents de la route, alors qu’ils mendiaient ou évitaient de rentrer au ‘’daara’’, et quatre de maladies non traitées. En d’autres termes, la majeure partie des enfants talibés souffrent encore d’abus, malgré les alertes des Ong sénégalaises et de Human Rights Watch qui en est à son sixième rapport depuis 2009.

Des mesures gouvernementales limitées

L’organisation conclut, à cet effet, que bien que le Sénégal soit doté de lois interdisant la maltraitance des enfants, la mise en danger d’autrui, la traite des personnes, l’application de ces dernières à l’encontre des maîtres coraniques responsables de pratiques abusives ‘’a été inégale en 2017 et 2018’’. Les enquêtes sur ces pratiques et les condamnations ont été peu nombreuses et, dans un certain nombre de cas, les chefs d’accusation ont été abandonnés ou revus à la baisse par les juges ou les procureurs.

En outre, le programme visant le retrait des enfants de la rue en deux phases, centré sur Dakar en juin 2016 et mars 2018, a montré ses limites. L’impact s’est avéré limité et l’initiative n’a pas atteint les autres régions du pays. Le rapport dénonce, tantôt, le fait que l’Assemblée nationale n’avait toujours pas, en début 2019, adopté le projet de loi portant sur le statut du ‘’daara’’. Une loi pourtant approuvée par le Conseil des ministres en juin 2018. ‘’Il était rare que les autorités fassent fermer les ‘daaras’ qui exposaient les enfants à des risques sanitaires et sécuritaires’’, lit-on dans le document.

Human Rights Watch a, par ailleurs, souligné le fossé entre le discours du chef de l’Etat, affirmant vouloir mettre fin à cette exploitation, et les mesures prises qui sont loin d’être ‘’cohérentes, résolues et ambitieuses’’.

Pour pallier ce problème, l’Ong estime que l’Etat ‘’devrait, de toute urgence, s’engager à prendre des mesures exhaustives pour mettre fin aux abus, traduire en justice les auteurs de ces actes, renforcer les services de protection de l’enfance, inspecter et réglementer les ‘daaras’ existants à l’échelle nationale. Les programmes gouvernementaux de réduction de la mendicité des enfants devraient être déployés au-delà de Dakar, afin d’atteindre les milliers de talibés’’.

Aussi, selon elle, tous les ‘’daaras’’ du pays doivent être soumis à une règlementation. Et dans ce travail de vigilance, la police nationale doit être totalement impliquée. Par ailleurs, les travailleurs sociaux et les membres de comités départementaux sont invités à dénoncer les cas de maltraitance dont ils sont témoins.

Emmanuella Marame FAYE

 

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