Publié le 23 Apr 2020 - 05:34
FACE AUX EFFETS DE LA COVID-19

De la nécessité d’organiser la résilience du secteur de la microfinance

 

Depuis le début du mois de mars 2020, le Sénégal fait face aux durs effets de la pandémie du COVID 19 dont les conséquences sur la santé publique et l’économie du pays seront sans précédent. Les SFD seront particulièrement touchés du fait de la vulnérabilité de leurs clients et de leur faible capacité de résistance et de résilience face au choc. Si des appuis importants des partenaires et des autorités ne sont pas mobilisés à temps, les SFD qui ont pour vocation de financer l’économie réelle, composée essentiellement de micro petites et moyennes entreprises informelles, subiront avec de grands dommages, les effets redoutables du covid 19.

Les impacts pourraient être sans s’y limiter :

-       Une baisse drastique de l’offre de biens et services du fait de la fermeture des frontières et des marchés, espaces de prédilection par excellence de nos clients

-       Des difficultés d’approvisionnement de nos clients TPE et PME pour renouveler leurs stocks

-       Une baisse des revenus des ménages du fait de l’état d’urgence et du chômage des migrants. Il convient de rappeler que les transferts de migrants représentent 10% du PIB

-       Baisse de la demande de biens et services consécutive à la baisse des revenus des ménages et du chômage

-       Baisse des prix des biens et services

-       Une baisse de productivité des MPME

-       Une baisse d’activité et de chiffres d’affaires de nos clients micro-entrepreneurs

-       Des difficultés de remboursement de nos clients

-       Apparition de problèmes de liquidité et de trésorerie au niveau des SFD

-       Une dégradation généralisée de la qualité du portefeuille des SFD

-       Une hausse des taux de portefeuille à risque

-       Une augmentation des provisions et des pertes

-       Une baisse de la rentabilité des SFD

-       Une baisse du niveau des fonds propres

-       Une dégradation des ratios prudentiels et des indicateurs de performance

-       Une augmentation du risque de fraude en raison de la réduction des effectifs et des contrôle

-       Démotivation des agents

-       Risque de discontinuité des services

-       Etc.

Ces effets sont d’autant plus plausibles que les secteurs économiques qui composent le portefeuille des SFD, sont les plus impactés négativement par ce COVID 19. Il s’agit du secteur hôtel-commerce- restaurant 61% du portefeuille des SFD et du transport 10% du portefeuille.

En effet, sur un encours de crédit de 445 milliards comptant pour près de 500 000 prêts actifs détenu par les SFD au 31/12/2019, 312.4 milliards FCFA seront impactés et risquent d’être compromis si des mesures vigoureuses ne sont pas prises de façon concertée par toutes les parties prenantes.

Déjà, à l’échéance du mois d’avril, les SFD ont vu leurs impayés grimper de façon vertigineuse reflétant du coup les prévisions établies à mi-mars.

Dans ces conditions, les taux de remboursement en fin avril dépasseraient difficilement les 50% au niveau du secteur. Ce qui installe dès lors une crise de liquidité qui va s’exacerber avec la mesure de report d’échéance qui s’annonce et qui est déjà appliquée par certains SFD pour limiter de façon précoce les dégâts qu’engendreraient un défaut massif de remboursement sur les indicateurs prudentiels et de performance.

L’ampleur du gap de liquidités et de trésorerie, sera à la hauteur de la part du portefeuille qui est impacté (70.1%)

Pour étayer le niveau de déficit de trésorerie attendu, prenons l’exemple d’un SFD de la place faisant partie des 3 majors visée à l’article 44. En effet, cette IMF reçoit de ses clients en moyenne 7 milliards FCFA de remboursement par mois. Si un report d’échéance de 3 mois est accordé aux emprunteurs sains, l’IMF aura un manque à gagner de 21 milliards dans son plan de trésorerie. Si la crise perdure, un renouvellement de 3 mois supplémentaires de report est possible. Ce qui porterait le gap à 42 milliards FCFA qui est l’équivalent des fonds propres de cette institution qui existe depuis 25 ans. Cet exemple peut être élargi à tout le secteur.

Par conséquent, avec un tel gap de trésorerie, les épargnants ne pourraient plus disposer de leurs fonds, les créanciers de l’institution ne seront plus remboursés, les dépenses sensibles comme les salaires risques de ne plus être payées.

S’il est établi qu’au 31/12/2019 le secteur a collecté des dépôts de 365 milliards f cfa pour 3 434 000 déposants dont 35% de femmes soit 127 milliards FCFA, le coût social de l’indisponibilité des dépôts de cette couche vulnérable de la société, est incommensurable. Sans compter tous les entrepreneurs hommes qui ont beaucoup travaillé pour épargner.

Les SFD membres de l’APSFD, fidèles à leur mission sociale et à leur valeur d’humanité qui fondent les principes coopératifs et mutualistes, ont consenti d’accorder des reports d’échéances à leurs client/membres. Mais, au vu de ce qui précède, les gaps résultant de ces reports doivent être absolument financés sinon le secteur de la microfinance qui a été bâti de façon ardue par toutes les parties prenantes risque de s’effondrer.

C’est pourquoi, nous estimons qu’il existe plusieurs façons de financer le gap de trésorerie résultant du report des échéances des clients :

-       Demander un report d’échéances aux créanciers des SFD

-       Demander l’allocation d’une ligne de refinancement dédiée aux SFD dans le cadre du fonds force covid 19

-       Introduire des requêtes de refinancement sous forme de rallonge ou de crédit relais aux bailleurs traditionnels des SFD

-       Suspendre le budget d’investissement du SFD

-       Opérer des coupes sur le budget de fonctionnement

Ces actions nécessitent au préalable l’élaboration de stress tests sur la liquidité avec un scénario standard avant covid et un scénario pessimiste basé sur une baisse des remboursements au titre des reports.

L’autre défi lié au report d’échéances réside dans le fait que si les créanciers des SFD ne renoncent pas aux intérêts sur les trois mois supplémentaires au titre des ressources qui ont été mises à leur disposition d’une part et d’autre part si les compagnies d’assurance émettrices des polices décès des emprunteurs ne renoncent pas à la facturation de ce différé additionnel, les SFD ne pourront pas supporter ces couts. A moins que l’Etat leur viennent en aide.

Au demeurant, il est clair que les remboursements constituent le principal poste du plan de trésorerie d’un SFD. Il permet de reconstituer la trésorerie et de procéder au financement des emprunteurs.

Ce faisant, malgré la volonté des SFD réunis au sein de l’APSFD de participer à la Composante 3 : stabilité macroéconomique et financière pour soutenir le secteur privé et maintenir les emplois du plan de résilience économique et sociale, il leur serait difficile d’apporter leur contribution dans leur domaine de prédilection ; le financement des MPME. En effet, pour permettre aux SFD de maintenir leurs concours aux secteurs qui profitent de la crise afin de maintenir les capacités productives des MPME, il faudrait un appui substantiel de l’Etat dans le cadre du fonds force covid 19 sous forme de prêt remboursable.

Les SFD mobilisent environ 20 milliards chaque année dans le financement de la campagne agricole. L’agriculture étant retenue comme un secteur qui pourrait profiter de la crise car générant des produits substituts à l’importation au moment où les frontières sont fermés et les pays fournisseurs du Sénégal sont en confinement, les SFD ne pourraient pas s’engager dans cette campagne sans l’appui des partenaires financiers et du fonds force covid 19 dans un contexte de déficit de liquidité dû aux reports d’échéances.

A cette même période de l’année dernière, les SFD avaient déjà commencé à préparer le financement de la campagne. Or, les agents de crédit éprouvent toutes les difficultés pour trouver les autorisations spéciales de circuler afin d’instruire les demandes de crédit des producteurs pour financement avant les premières pluies utiles.

Au-delà de l’agriculture, les autres secteurs peu impactés ou indemnes devront continuer à bénéficier de financements de la part des SFD afin d’atténuer les effets de la crise sur la pauvreté.

Au surplus, seuls les secteurs assez résilients sortiront de cette crise sans grand dommage. Ce qui n’est pas le cas du secteur de la microfinance à cause de multiples contraintes et restrictions réglementaires liées :

-       Aux dispositions de l’article 4 de la loi portant réglementation des SFD qui limite les activités des IMF à la collecte de l’épargne, l’octroi de crédit et les engagements par signature. L’offre de tout autre service financier est soumise au respect du ratio de limitation des activités autre que l’épargne et le crédit fixé à 5% des risques. La limitation de ses activités engendre un risque de diversification qui se réalise en cas crise de cette ampleur.

-       Cette disposition fait que 90% du total bilan des IMF est constitué du portefeuille de crédit. Si ce portefeuille est impacté comme dans le cadre de cette crise les pertes peuvent être irréversibles et saper la pérennité de l’institution.

-       L’absence de mécanisme de refinancement à l’image de celui prévu par la BCEAO pour les établissements de crédit à un taux de 2,5%. En effet, la microfinance est le seul secteur régulé relevant de l’intermédiation financière à ne pas disposer d’une source de refinancement de l’institution monétaire.

Ce mécanisme permettrait aux SFD d’être plus résilients et pouvoir ainsi assurer l’accompagnement continu de leurs clients même en cas de crise de cette envergure.

Souleymane SARR

Spécialiste en microfinance

Formateur certifié CGAP

Sarrjules2002@yahoo.fr

Section: