Publié le 21 May 2020 - 00:52
FEMMES ENCEINTES EN PERIODE DE COVID-19

Un double périple pour donner la vie

 
La pandémie à coronavirus retient toutes les attentions, alors que la situation des femmes enceintes au Sénégal est souvent oubliée. Ces dernières sont exposées à des accouchements à risques, surtout en cette période de couvre-feu. 
 
 
Le coronavirus a ôté la vie à 28 personnes au Sénégal. Mais, au regard de ce contexte assez particulier et des restrictions en vigueur, c’est la mortalité maternelle qui risque d’emporter plusieurs centaines de femmes enceintes. Cela sans compter l’impact sur le nouveau-né. 
 
Toutefois, la peur de se faire contaminer prime souvent sur l’assiduité aux consultations prénatales. ‘’Actuellement, on reçoit moins de patientes par rapport aux effectifs qu’on attendait. Par exemple, au mois de mai, on en recevait beaucoup en consultations prénatales, tout comme en consultations postnatales et même celles dans le cadre de la planification familiale. Mais, en ce moment, la maternité est déserte. Les consultations prénatales vont de 9 h à 16 h. Des fois, on allait même jusqu’à 17 h, parce qu’il y avait beaucoup de patientes. Actuellement, à partir de 13 h, on n’en voit plus. A 9 h, il n’y a personne à la maternité ; les femmes viennent au compte-gouttes et quand elles arrivent, elles ne veulent même pas rester à la maternité trop longtemps’’, détaille Ndèye Amy Ndao, sage-femme à l’hôpital régional de Thiès. 
 
De son point de vue, ces femmes enceintes, qui doivent bénéficier d’un accompagnement adéquat, ne sont pas rassurées. ‘’Les patients positifs au coronavirus sont internés à l’hôpital régional. Donc, plusieurs femmes pensent que vu qu’ils sont hospitalisés là et que la contamination est très rapide, le risque est grand. Elles préfèrent rester chez elles jusqu’à l’accouchement ou bien téléphoner pour demander des renseignements, quand elles ont des problèmes avec la grossesse, mais elles ne viennent pas ; elles ne viennent pas du tout. Et qu’est-ce qu’on peut faire, puisque nous-mêmes qui travaillons à l’hôpital avons peur ? Les moyens de protection qu’on utilise à l’hôpital ne suffisent pas. Des fois, on est confronté à des coupures d’eau et on fait 24 heures avec les mêmes masques. On ne peut donc pas obliger les femmes à venir’’, poursuit-elle. 
 
L’équation du transport
 
Depuis l’apparition du virus sous nos cieux, la presse a bien souvent relaté des cas d’urgence de femmes en travail secourues par les forces de défense et de sécurité à travers le pays, en plein couvre-feu. Et les médias ont également recensé 14 accouchements qui se sont déroulés dans une ambulance. 
 
En effet, les restrictions dans le transport, en plus du couvre-feu, ne facilitent pas les choses. En fin avril, par exemple, des éléments du GMI (Groupement mobile d’intervention) ont dû réquisitionner un véhicule du journal ‘’le Témoin’’, aux environs de 4 h du matin, pour secourir une parturiente à Grand-Dakar. Dans la région de Thiès, les femmes des zones enclavées rencontrent, de ce point de vue, pas mal de difficultés. 
Selon Ndèye Amy, ‘’les femmes qui viennent à l’hôpital régional habitent la ville de Thiès et elles viennent au compte-gouttes. 
 
Par contre, celles qui sont en dehors de Thiès, dans des zones reculées, ne viennent pas, pour des problèmes de transport et avec le couvre-feu elles n’arrivent pas à accéder à l’hôpital. Elles n’ont pas les moyens de venir ou s’il y a un véhicule, il n’a pas de permis pour circuler’’. 
 
Ainsi, la salle d’accouchement ne reçoit en ce moment que des urgences et là encore, très peu de femmes sont enregistrées. ‘’On ne voit plus personne et pour l’accouchement, c’est pire. Durant ma garde passée, de 22 h à 5 h, je n’ai eu aucune patiente. Les femmes qu’on reçoit à la salle d’accouchement viennent des postes de santé très reculés. On les réfère à l’hôpital. Si elles ont les moyens de payer pour l’ambulance, elles le font, sinon, il y en a qui marchent jusqu’à tomber sur une voiture de police qui les évacue à l’hôpital régional. Beaucoup affirment être venues grâce aux policiers. C’est très difficile, tant pour les femmes enceintes que pour celles qui viennent pour accoucher’’, explique notre interlocutrice. 
 
‘’Beaucoup de complications s’en suivent’’
 
A l’en croire, l’hôpital enregistrait, avant la Covid-19, plus de 20 accouchements en 24 heures. Mais, en ce moment, il n’y en a que cinq ou six. A ce tableau, s’ajoute le problème financier. En effet, plusieurs maris accompagnent leur femme sans aucun sou en poche. Ils évoquent un chômage lié à la pandémie. Il va de soi qu’en l’absence de consultations prénatales (CPN), la femme enceinte s’expose à plusieurs risques.
 
‘’Il y a beaucoup de complications qui s’ensuivent. Le problème, c’est qu’on ne les voit même pas pour pouvoir les sensibiliser. On essaie d’appeler celles dont on a le numéro, mais les autres, on n’a aucune nouvelle. On ne sait pas comment elles vont. Si ces femmes ratent leur CPN, c’est au moment de l’accouchement que cela va se ressentir, parce qu’elles auront un carnet vide, sans bilan, sans rien du tout. Donc, les soignantes du poste de santé ne prennent pas de risque et les envoient au niveau de l’hôpital régional. Sur place, on essaie de faire le bilan d’urgence et les soins d’urgence. Si tout va bien, tant mieux ; sinon, on va au bloc opératoire. Mais il y a beaucoup de complications, parce que des femmes viennent accoucher, alors qu’elles n’ont pas assez de sang ou n’ont pas pris assez de fer durant leur grossesse. (Ce qui fait qu’) après l’accouchement, elles perdent beaucoup de sang’’, ajoute-t-elle. 
 
Le Sénégal a pourtant consenti beaucoup d’efforts pour faire baisser le taux de mortalité maternelle. De 492 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2009, il est passé à 315 en 2015 puis à 200 en 2019. Cependant, ce chiffre risque de grimper, si la situation perdure. Les statistiques montrent que tous les jours, quatre femmes pourraient mourir en donnant la vie. Ainsi, 600 femmes peuvent décéder, si on fait des projections à partir du début de la pandémie et cela permet de dire quelles stratégies mener pour ne pas arriver à ce stade. La mortalité maternelle peut tuer plus que le coronavirus. Autant on doit se battre contre la Covid-19, autant on doit faire en sorte que la mortalité maternelle n’explose pas à la fin de la pandémie’’, soutient, pour sa part, la présidente de l’Association nationale des sages-femmes d’Etat du Sénégal, Bigué Ba Mbodj. 
 
EMMANUELLA MARAME FAYE

 

 

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