Publié le 9 Dec 2019 - 20:39
FILM - ‘’SAMA RAK, MON PETIT FRÈRE’’

Un ‘’Toubab’’ dans la peau d’un talibé

 

‘’Sama rak’’ (Mon petit frère), un film qui évoque le quotidien difficile des enfants talibés, est projeté en avant-première mondiale samedi soir à Toubab Dialaw. Lionel Croes, belge d'origine, mais sénégalais d'adoption, en est le réalisateur et il touche du doigt un vrai problème de société et un sujet plus qu’actuel.

 

La place publique de Toubab Dialaw, située à quelques encablures de la plage, a refusé du monde, samedi soir. L’évènement valait le détour. Le lieu recevait l’avant-première "exceptionnelle" de "Sama rak", un film écrit et réalisé par Lionel Croes. Dans les faits, c’est un film ‘’fraternel, solidaire, antiraciste, culturel et engagé’’ dans lequel parfois on rit, parfois on pleure et qui a été projeté en ‘’toute intimité’’. Toubab Dialaw est le village adoptif du jeune Belge.

‘’Sama rak, mon petit-frère’’ est un long-métrage racontant l’amitié entre un petit enfant blanc, David, et un Sénégalais talibé, Daouda. La magie aidant, avec l’aide d’un sorcier, ces deux amis vont se retrouver l’un dans le corps de l’autre. Un ‘’body swap’’ qui pouvait s’intituler aisément ‘’Dans la peau d’un enfant talibé’’. Mais ce talibé est particulier. Il est très futé, pour ne pas dire espiègle. Dans le corps de Daouda, David va se venger du méchant marabout, en lui tendant des pièges et n’a rien à envier à Kévin, héros de ‘’Maman, j’ai raté l’avion’’.

User de l’humour pour faire passer un message fort et dénoncer un phénomène, c’est ce qu’a réussi Lionel Croes. Cette humour a aidé, samedi soir, à maintenir le public sur la place publique, parce qu’il y faisait un froid de canard. Hommes, femmes et enfants tenaient à voir la fin, tout comme la forte communauté belge qui s’est mobilisée pour venir soutenir un compatriote. Les spectateurs debout, plus nombreux que ceux assis, témoignent de l'engouement sans précédent qui a prévalu pour cette toute première projection de ce film de sensibilisation.

Coumba, élève en classe de 4e, s’est sentie privilégiée d'assister à cette cérémonie. "En tant qu'habitante de Toubab Dialaw, c'est tout un honneur pour nous de recevoir cette belle manifestation, ce beau film. Il est surtout plein de sens, dans la mesure où il traite une thématique qui fait partie de notre quotidien. La situation des mendiants nous interpelle tous. Donc, ce film est une sensibilisation de plus", a-t-elle partagé. Très enthousiaste, elle a ajouté : ‘’D'habitude, je ne veille pas si tard, mais je n’ai pas regretté de l’avoir fait aujourd’hui, parce que ce film en valait la peine."

Moussa, lui, s'active dans la pêche ; une activité très courante dans ce village. À l'instar de sa concitoyenne, il apprécie le moment à sa juste valeur. "Nous souhaitons une très bonne carrière cinématographique à Lionel qui, aujourd'hui, peut être un ambassadeur de notre village. Il aurait pu faire cette projection dans une grande salle, dans des endroits plus huppés, mais il a choisi ici et c’est plus accessible pour nous", s’est-il réjoui.

Éparpillées tout à fait à l'arrière du dispositif de projection, ces voitures, visiblement onéreuses et imposantes dans ce décor simple, ont renseigné sur la présence d’autorités à cette avant-première. L'épouse de l'ambassadeur de la Belgique au Sénégal, le conseiller en communication à la présidence Ousmane Thiongane, ainsi que le médiateur de la République Alioune Badara Cissé ont assisté à la projection. "Je t’ai vu plus ancré au Sénégal que le Sénégalais. Je t’ai vu laisser derrière toi tout ce qu’un homme ordinaire peut rechercher dans sa vie : le calme, la sérénité, la sécurité et le confort", a témoigné le médiateur à l’endroit de M. Croes.

Il n’est pas le seul à admirer le jeune Belge. "Ce soir, je veux faire des compliments sincères à Lionel Croes pour son abnégation et son courage, car ce n'était pas du tout facile, il faut le reconnaître. Il a eu droit à beaucoup de promesses, mais peu se sont réellement concrétisées", a déclaré Michel, qui est l’un des acteurs du film.

Mais quelle reconnaissance peut faire plus plaisir à un fils que celle d’un père, même adoptif ? Celui de Lionel Croes ou Abdoulaye Ciss (le nom musulman de Lionel) n’a pas tari d’éloges à son égard. Imam Ciss a étalé toute sa fierté : "Je ne pouvais rater ce moment, car Abdoulaye, c'est comme un fils pour moi. Je suis très fier de lui."

Sur un autre registre, ‘’Sama rak, mon petit frère’’, a pu être réalisé grâce au soutien de la Wallonie-Bruxelles internationale, du fonds Claire et Michel Lemay et de l’association Action Sénégal. Le représentant de la structure belge Yan Gaal parle "d'efforts constants", tout en comptant réitérer leur soutien pour ‘’Sama rak 2’’. Une aubaine pour le réalisateur belge qui peine à trouver du soutien financier au Sénégal. "Peut-être que le sujet était trop sensible", dit-il pour dédouaner tous ceux qui lui avaient promis un financement, en vain. Il ne s’est pas découragé, malgré les écueils rencontrés. Il est en pleine écriture de ‘’Sama Rak 2. En outre, ‘’Sama rak’’ a pour ambition d’aller au-delà des frontières sénégalaises. Son réalisateur souhaite le faire tourner dans les festivals. Le premier sera le Ramdam festival de Tournai (Belgique) qui aura lieu à la mi-janvier prochaine. Plusieurs diffuseurs sont intéressés.

3 QUESTIONS A LIONEL CROES, REALISATEUR

"Le manque de financement a été un frein à la production du film"

De façon concrète, qu’entendez-vous par le titre de votre film ‘’Sama rak’’ ?

‘’Sama rak’’ revêt plusieurs significations. Et cela se sent dans le film. On y rencontre plusieurs histoires de frères. Nous avons les jumeaux (Ousseynou et Assane), les frères Daouda et Khadim, sans oublier la fraternité d'amitié entre le Belge David et le talibé Daouda. Mais autre sens de ce titre, c'est une invite pour que l'on considéré les enfants talibés comme nos propres petits frères, ce qui pourrait faire bouger les choses.

Sur le plan financier, quelles ont été les contraintes ?

C'est un film dont le budget s'élève à près de 60 millions de francs. On n’a rien eu cependant du Sénégal, malgré la rencontre que j'ai eue avec l'ancien ministre de la Culture, M. Mbagnick Ndiaye, sans oublier les nombreuses démarches effectuées auprès de divers services qui, finalement, ont été vaines. J’ai eu beaucoup de promesses, mais peu d’entre elles ont été tenues. Peut-être que cette sourde oreille s'explique par le caractère sensible du sujet de notre film… 

On espère cependant le financement d’Orange, car ‘’Sama rak’’ a été le coup de cœur du jury du pitch de l'année dernière. On a fait avec les moyens du bord, avec notamment la Wallonie-Bruxelles International, le fonds Claire et Michel Lemay et Action Sénégal. Cette situation financière délicate à un peu retarder la sortie du film. Malheureusement, au Sénégal, on n’aide pas assez les projets de film. Même pour le sponsoring, les difficultés ont été nombreuses.

Qu'est-ce qui a motivé la réalisation de ce film ? La barrière linguistique n'était pas une entrave ?

Ce qui m’a motivé à faire ce film est mon vécu, c’est-à-dire toutes ces années passées au Sénégal, les anecdotes, les stéréotypes. Le tout a été rendu sur un ton humoristique. Ce film, c'est aussi l'exposé de ce désir profond de devenir sénégalais à part entière. J'espère même bientôt obtenir la nationalité sénégalaise. Mes 12 ans au Sénégal m'ont permis de me familiariser avec le wolof, ce qui m'a quelque part mis à l'abri des probables arnaques. Car, il faut le dire, je n’ai pas été victime de ce genre de pratique.  Quant au tournage, les distances parcourues étaient certes longues, mais retenons l'expérience accumulée.

MAMADOU DIOP (STAGIAIRE)

 

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