Publié le 14 Jul 2015 - 01:04
FIN DE LA DEROGATION A TOBAGO

‘‘Entre les mains du Bon Dieu et de Macky Sall’’

 

Tobago déroule toujours les pages d’un mélodrame dont l’épilogue est fixé pour jeudi prochain. Les résidents bénéficiant d’une dérogation sont dans l’expectative ; inquiets, déboussolés, sans perspectives, fatalistes. Ecartelés entre inquiétude et espoir, ils laissent tout entre  les ‘‘mains du Bon Dieu et de Macky Sall’’.

 

Vous connaissez certainement l’expression ‘‘l’épée de Damoclès’’ ? Une menace qui plane en permanence sur la tête quelqu’un. C’est l’expression imagée qu’a trouvée M. Diagne pour qualifier l’immense affliction que vivent les résidents des 6 maisons restantes à la cité derrière Tobago. Plus inspiré encore, malgré une angoisse qu’il arrive à maîtriser au point de rire au lieu de pleurer, il compare sa situation à ‘‘un condamné qui attend dans le couloir de la mort que la sentence soit exécutée’’, déclare-t-il d’une voix calme. Ensemble sportif ‘Adidas’ sombre, il accueille dans l’ambiance feutrée de son salon aux canapés verts, flanqués de coussins aux motifs compliqués. Sur le sol, un tapis soyeux adoucit le contact avec les chaussures. Au fond de la pièce, un vaisselier occupe une bonne partie. Déjà à l’entrée, le contact est visuel en dépit d’un interphone logé en haut d’un portail en métal. La villa de ce fonctionnaire, enseignant pendant 30 ans, trône au milieu d’un tas de gravats, les deux grosses œuvres mitoyennes ayant été rasées.

Quatre petits palmiers ajoutent une touche de convivialité à une façade magnifique.  Avec ‘‘plus d’une centaine de millions investis’’, il ne comprend pas qu’après trois décennies de loyaux services, son logis, son ‘‘patrimoine pour ses enfants’’, soit démoli.

Bénéficiant d’une dérogation lors de la série de démolition enclenchée le 4 juin passé, lui et d’autres résidents sont dans une incertitude encore plus épouvantable à l’approche de la date fatidique du 16 juillet prochain. Ils sont encore sur les lieux, pas par défiance envers les autorités, mais parce qu’aucune perspective ne s’offrent à eux. Malgré la volonté inflexible affichée par le chef du gouvernement sénégalais, l’on s’accroche au moindre atome d’espoir que l’autorité revienne sur sa décision. ‘‘ Nous ne défions pas la puissance publique. Il y a des moments où la personne peut se ressaisir.

Si nous n’avons pas où  aller, nous ne pourrons pas respecter cette sommation’’, déclare d’une voix désolée une dame en lunette qui se fait appeler Mme Diouf N°1 (elles sont trois). Plus conciliante que son voisin, mais pas moins préoccupée, elle formule le vœu définitif qu’on les laisse une bonne fois pour toutes là-bas. ‘‘Ce n’est pas que nous ne voulons pas plier bagages, mais nous n’avons pas où aller’’, déclare-t-elle. Dans son salon, des chaises en plastique sont superposées dans un coin, la bibliothèque en bois vide et les fauteuils recouverts d’un drap. Simple précaution contre la poussière des démolitions ou préparatifs pour quitter ? Résidente de la cité depuis septembre dernier, elle estime que ‘‘si les bulldozers revenaient ici, ce serait une deuxième humiliation’’, soupire-t-elle de guerre lasse alors que  les enfants, dispensés de jeûne, s’affairaient pour le repas.

Le contexte de ces démolitions complique davantage la donne pour cette poignée des derniers mohicans. D’abord un éprouvant mois de Ramadan où ‘‘ l’on oublie même de rompre le jeûne à cause du stress’’,  déclare Mme Diouf. Ensuite la concomitance du deadline avec la fête de la Korité. Ce qui est  diversement apprécié.

 ‘‘ Nous la préparons car il y a des enfants et il faut préserver cette ambiance festive même si l’euphorie n’y est pas’’, poursuit-elle. Son voisin qui tient à garder l’anonymat est beaucoup moins optimiste. ‘‘Korité ? Nous ne pouvons pas préparer de fête !’’ lance Diagne qui se désole que l’on crée de nouveaux pauvres alors que l’on parle de PSE, de bourses familiales. Conséquence ? ‘‘Certains sont comme devenus fous. Ils se parlent à eux-mêmes. Il y a mon voisin qui vient une ou deux fois par semaine pour trôner sur le tas de gravats qui jadis fut sa maison en finition et qui y reste des heures’’, fait savoir cet ancien professeur au Lycée Blaise Diagne. Mme Diouf quant à elle déclare que malgré ‘‘l’apparence normale qui transparaît, les gens ont comme une case en moins’’.

Offensive de charme envers Macky

Si le ministre de la Gouvernance locale, Abdoulaye Diouf Sarr, ci-devant ministre du Tourisme et des Transports aériens a été sévèrement critiqué pour sa décision, et le Premier ministre, dont ils espèrent sa visite pour la korité, égratigné pour son manque de clairvoyance ; les résidents ont ménagé leur dernier espoir qui se trouve être le président de la République. ‘‘Nous tendons notre main à Macky Sall, nous faisons appel à la magnanimité de l’homme qui a baissé le prix du loyer pour que Dakar devienne vivable’’, confie l’autre Mme Diouf, la N°3. C’est à lui qu’on lance notre appel car personne ne peut rien faire à part lui. Il ne peut pas nous faire ça car il est doué d’une bonté sans limite’’, poursuit-elle.

Les résidents se bercent d’espérance avec la certitude que ces bâtiments restants ne constituent aucunement une menace pour la navigation aérienne. En attendant jeudi, M. Diagne, étalant sa jambe gauche sur un repose-pied de son salon, clôt la discussion avec un irrésistible ‘‘tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir’’.

OUSMANE LAYE DIOP

 

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