Publié le 9 Apr 2024 - 23:23
FIN DU CUMUL DES MANDATS POUR LES MINISTRES

Engagement politique ou volonté de rupture ?

 

Le 5 avril dernier, le Premier ministre, Ousmane Sonko, sur instruction du président de la République Bassirou Diomaye Faye, a exigé la fin du cumul des mandats pour les ministres nouvellement élus. Ces derniers doivent se départir de tout mandat électif dans un délai d’un mois. Alors que cette mesure est présentée comme un pas en avant vers une gouvernance plus transparente et responsable, elle soulève également des questions sur les risques politiques potentiels pour le parti au pouvoir.

 

Après l’installation du nouveau gouvernement, le Premier ministre Ousmane Sonko a rappelé à ses ministres un engagement ancien de Pastef concernant le cumul des fonctions et des mandats. Il a profité de l'occasion pour demander de ‘’renoncer à toute responsabilité élective’’.

‘’Le président de la République a également ordonné à tous ceux qui ont été retenus dans cette équipe gouvernementale et qui, par ailleurs, occupent un mandat électif, de démissionner de toutes responsabilités électives, que ce soit au niveau des collectivités locales ou à l’Assemblée nationale, afin de se consacrer exclusivement à cette lourde responsabilité gouvernementale, étant conscients des attentes et des enjeux’’, a entonné Ousmane Sonko. Un délai d’un mois est accordé aux personnes concernées.

Ainsi, le ton est donné. Le gouvernement se compose de 25 ministres et de cinq secrétaires d’État, sous la direction du Premier ministre du président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye.

La mesure a suscité un large éventail de réactions dans des partis politiques et chez des citoyens. Certains applaudissent cette initiative, la considérant comme un pas en avant vers une gouvernance plus équilibrée et transparente. "C'est une victoire pour la démocratie sénégalaise", affirme un militant du Pastef, Djiby Guissé, habitant à la cité Ainoumady. Il souligne l'importance de cette mesure pour la moralisation de la vie politique.

À l’heure actuelle, cette mesure ne concerne que les membres du Pastef : Birame Soulèye Diop, Maimouna Dièye, Alioune Sall, Yancoba Diémé, président du Conseil départemental de Bignona,  et le maire de Sandiara, Serigne Guèye Diop.

Pour Hélène Tine, c’est une décision à saluer dans son ensemble. ‘’J’ai été toujours pour l’arrêt du cumul des mandats. C’est une question qui a été longtemps agitée. Les défis à relever et les attentes des populations sont énormes. Il faudrait que les hommes et les femmes qui sont investis d’une charge publique ne puissent plus continuer à porter des mandats qui vont constituer des écueils pour eux afin d’atteindre les résultats escomptés dans ce contexte d’attente très forte des populations’’.

Cependant, d’autres craignent que les conséquences imprévues fragilisent le tissu politique sénégalais, notamment au sein du parti au pouvoir.

Amadou Moctar Ann : ‘’L'interdiction du cumul des mandats pourrait entraîner des remaniements significatifs au sein du parti au pouvoir.’’

Un membre éminent du parti a exprimé ses inquiétudes en privé, suggérant que "cette loi pourrait bien être une épée à double tranchant, avec des bénéfices à court terme en matière d'image publique, mais des conséquences à long terme sur notre capacité à gouverner efficacement".

‘’L'interdiction du cumul des mandats pourrait entraîner des remaniements significatifs au sein du parti au pouvoir ainsi qu'une reconfiguration des alliances politiques locales et nationales. Les ministres ou députés influents, qui occupent également des postes électifs clés, devront démissionner de l'une de leurs fonctions, ce qui pourrait affaiblir le contrôle politique du parti dans certaines régions stratégiques’’, avertit Amadou Moctar Ann, chercheur en sciences politiques.

Toutefois, il nuance : ‘’La mise en œuvre de cette loi pourrait nécessiter un rééquilibrage des nominations et des candidatures pour les prochaines échéances électorales, mettant à l'épreuve la cohésion et l'unité du parti. Seul l'avenir dira si cette mesure atteindra ses objectifs. Mais une chose est certaine : le paysage politique sénégalais est en train de changer, ouvrant la voie à de nouvelles dynamiques de pouvoir et à un engagement renforcé en faveur de la bonne gouvernance et de la responsabilité politique.’’  

Hélène Tine : ‘’Il était inimaginable que la Direction des impôts et des domaines ou de la Lonase soit des tremplins pour des hommes politiques.’’

Cependant, des voix critiques se font également entendre, notamment parmi les élus locaux et certains membres de l'opposition, qui voient dans cette loi une stratégie pour affaiblir politiquement certaines figures clés. "Cette loi pourrait limiter la capacité des collectivités locales à bénéficier de l'expertise et de l'influence de leaders nationaux", a déclaré Marième Dieng, conseillère municipale à Keur Massar.

Pour l’ancienne vice-présidente du Conseil départemental de Thiès, la question de gain politique ne doit pas prévaloir sur l’efficacité gouvernementale. ‘’Le Pastef devrait chercher à gagner des réponses efficientes et efficaces, mais une personne à plusieurs niveaux de responsabilité, sans qu’elles puissent apporter des résultats attendus. Après cette décision, il faut que l’Assemblée nationale légifère. Il nous faut un leadership pluriel pour que nous puissions faire avancer le Sénégal.’’ Elle reste optimiste, attendant les nouvelles concertations souhaitées par le nouveau pouvoir en ce qui concerne une législation. ‘’Il faut qu’on revienne à l’orthodoxie républicaine. Il y a quelques années, il était inimaginable que la Direction des impôts et des domaines ou de la Lonase soit des tremplins pour des hommes politiques. Ces postes stratégiques étaient occupés par des technocrates.’’

L’annonce a déjà fait ses effets. Le tout nouveau ministre de l'Industrie et du Commerce, Serigne Guèye Diop, vient de démissionner de son poste de maire de Sandiara. Il était élu lors des élections locales de 2022.

Birame Soulèye Diop, député-maire de Thiès-Nord et président du groupe parlementaire Yewwi, qui est concerné par ce cumul, devrait être remplacé à l’Assemblée nationale par Amadou Bâ, le mandataire de la coalition DiomayePrésident, selon ‘’Les Échos’’.

Quant à l’ingénieur en informatique Alioune Sall, porté à la tête du ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, député Yaw de la diaspora et responsable de Pastef en France, il sera remplacé à l’Assemblée nationale par le commerçant Samba Diouf.

Alors que le Sénégal se dirige dans cette nouvelle ère législative probablement en septembre ou octobre 2024, les implications politiques de l'interdiction du cumul des mandats restent incertaines. La capacité du parti au pouvoir à naviguer à travers ces eaux inexplorées déterminera non seulement son avenir politique, mais aussi la stabilité et la qualité de la gouvernance dans le pays. Les mois à venir seront cruciaux pour observer comment cette dynamique se déroulera sur l'échiquier politique sénégalais.

Amadou Camara Gueye

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