Publié le 3 Aug 2018 - 00:22
FOOT - NDEYE FATOU SEYE (INSPECTRICE D'ARBITRE)

‘’On peut sortir d'autres Malang Diédhiou’’

 

Inspectrice d'arbitre depuis 6 ans, Ndèye Fatou Sèye raconte sa passion à EnQuête. Cette mère de famille, par ailleurs secrétaire générale adjointe de la Fédération sénégalaise d'escrime, parle également de la prestation du trio arbitral sénégalais (Malang Diédhiou, Djibril Camara et El hadji Malick Samba) à la Coupe du monde de Russie.

 

La Coupe du monde Russie-2018 est terminée depuis le 15 juillet. En tant qu’inspectrice d’arbitre, comment vous appréciez la prestation du trio sénégalais ?

Je suis très satisfaite de leur prestation. Franchement, ils ont été à la hauteur. Il faut savoir que c'est un travail de longue haleine. Ils ont travaillé, ils ont constitué une équipe très dynamique. J'ai eu une satisfaction énorme à les regarder car ils ont été au top. Ils ont répondu présent et ont vraiment tiré leur épingle du jeu.

Après avoir montré ce que vaut l'arbitrage sénégalais, vous pensez que d'autres arbitres peuvent reprendre le flambeau ?

C'est possible. Mais vous savez, il y a une manière de désigner les arbitres. C'est un long processus. Les arbitres sont fichés. Leurs prestations y jouent. Et je sais qu'avec le potentiel qu'il y a au Sénégal, c'est sûr qu'on peut sortir d'autres Malang Diédhiou. Le potentiel y est, il suffit de s'y mettre. Comme il a su s'y mettre avec Djibril Camara et El Hadji Malick Samba. C'est sûr qu'on peut avoir d'autres trios sénégalais.

A son retour de Russie, Malang Diédhiou a annoncé sa retraite...

Un regret, quelque part ! Mais aussi une grandeur de sa part parce qu’il y a des jeunes qui sont derrière. De jeunes arbitres très talentueux. Et il a su sortir au bon moment pour leur permettre de briller. J'aurais aimé qu'il fasse la Coupe d'Afrique d'abord pour boucler sa carrière. C'est dommage, je respecte sa décision mais c'est un regret de ma part. Il a pensé aux jeunes qui doivent émerger.

Cette retraite ne va-t-elle pas l'éloigner du monde arbitral ?

Pas du tout ! C'est tout à fait le contraire. Il sera toujours là pour les arbitres. L'arbitrage, c'est un vécu et il a eu la chance. Au moment où le football a eu des amendements, il a su être au diapason. Et c'est pour nous l'occasion de tirer profit de son vécu. C'est vrai qu'il a arrêté sa carrière sur le plan international, c'est négatif pour eux et c'est regrettable pour nous. Mais c'est très avantageux pour les jeunes. Là, il aura beaucoup plus de temps pour les aider à aller de l'avant. Il aura la possibilité de leur transmettre son vécu, son savoir, son expertise. Il va faire progresser l'arbitrage sénégalais.

Comment se porte l'arbitrage au Sénégal, précisément à Mbour ?

Vous parlez de l'arbitrage au Sénégal ? Malang est là. Je ne parle pas seulement de lui, mais du trio. Il y a d'autres aussi. L'avantage des arbitres mbourois, c'est qu'ils ont la chance de faire beaucoup de matches avec les jeunes. On a l'Institut Diambars, Aspire, le mouvement ‘navétane’ (championnat populaire). Ça se porte très bien. On a des arbitres qui sortent sur le plan international, en Ligue pro. On est en train de travailler à la base.

Mais il y a quand même des difficultés...

On n’a toujours pas de siège mais on s'adapte. Le manque de l'arbitrage mbourois est qu'on n’a pas de siège. Franchement, ça fait défaut. Néanmoins, on se débrouille. On tient nos réunions au stade Caroline Faye. Pour les cours, on fait des demandes dans les écoles pour emprunter des salles de classe. Pour les entraînements aussi, on vient au stade Caroline Faye. Ça se passe bien jusque-là mais j'aurais aimé qu'on ait un siège. Là, on pourra faire nos cours, formations, nos entraînements et tout ce qu'il y aura lieu de faire. Aujourd’hui, on tourne aux environs de 80 arbitres à Mbour.

Entre l'arbitre et les supporters, ce n'est pas toujours le grand amour. Même sur la pelouse, la tension est forte. Comment vous arrivez à gérer cela ?

C'est normal. Vous savez, l'arbitrage, ce n'est pas facile. Tout le monde n'est pas arbitre. Vous savez, c'est trop technique. S'il ne s'agissait que d'arbitrer un match, tous les sportifs allaient pouvoir le faire. Mais tel n'est pas le cas. C'est très technique. Il faut avoir un esprit de dépassement. On est des techniciens. C'est très difficile. Ce qu'on apprend dans l'arbitrage, on ne peut pas l'enseigner d'un seul coup. En arbitrage, il y a une chose : que l'on soit élève, arbitre de district, arbitre pré fédéral, fédéral ou inspecteur d'arbitre, on a qu'un seul livre : c'est les lois du jeu. Donc, il y a le vécu, l'apprentissage, il y a des cours en théorie et pratique qui font que l'arbitre devient ce que l'on veut de lui. Les gens peuvent regarder, lire des trucs sur le net sur les lois du jeu, mais tu ne seras jamais un arbitre. L'arbitrage, on l'apprend. C'est tout un processus et on ne finit jamais d'en apprendre. Jusqu'à la fin de la carrière, on ne finit jamais de l'apprendre. Un match de foot, on peut le vivre mais il n'y a aucun match qui ressemble à un autre. Depuis que le football existe ! Tu ne peux pas savoir à quel moment le joueur va tacler, dribbler. Si c'était le contraire, ça n'allait pas être du jeu, ni de l'arbitrage. Il n'y a que le vécu qui peut permettre d'exceller.

Quels sont les critères pour devenir arbitre ?

Il faut être jeune, être en bonne santé, avoir une capacité intellectuelle, pouvoir lire les lois et les interpréter. Il faut avoir la passion parce que ce n'est pas facile d'être arbitre. Il faut avoir l'amour et l'envie du métier pour devenir arbitre. L'arbitre n'est pas rancunier. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut expliquer mais l'arbitre, c'est un grand Monsieur, qui a un esprit de dépassement. Si on a ça, on peut aller très loin dans l'arbitrage.

‘’Je suis devenue arbitre grâce à Abdoulaye Sarr de Génération Foot’’

Vous évoluez dans l'arbitrage depuis quand ?

Je suis entrée dans le milieu de l'arbitrage très tôt et très jeune. J'avais dix-sept ans. J'ai démarré dans le mouvement ‘navétane’ à Mbour. J'y ai passé des années avant d'aller à Dakar, précisément à la Sous/Cra (Sous Commission régionale des arbitres) de Rufisque. C'est là-bas que j'ai eu mon badge d'arbitre international. J'ai fini ma carrière internationale, maintenant je suis inspectrice d'arbitre depuis six ans.

Où avez-vous piqué cette passion pour l'arbitrage ?

Je suis née dans une famille de sportifs. Mon papa fut basketteur, ma maman une handballeuse, mes frères jouaient tous au foot. C'est le cadre familial. Mais je profite de l'occasion pour remercier une personne grâce à qui je suis devenue aujourd'hui ce que je suis dans le milieu de l'arbitrage. Il s'agit d’Abdoulaye Sarr de Génération Foot (le Directeur technique). Un jour, il m'a trouvée au lycée en train de jouer un match interclasses.

Le lendemain, il me convoque à son bureau et me dit : ‘Fatou, personne ne nie tes capacités à jouer au foot. Tu es excellente mais le foot féminin sénégalais se trouve à un niveau où tu ne peux régler le problème. Tu as l'aptitude sur le plan physique et intellectuel, essaie de te reconvertir en autre chose’. Je lui demande en quoi et me il dit : ‘l'arbitrage’. J'ai tiqué et je me suis dit : ‘ces gâteurs de match’. Il m'a dit : ‘non, essaie de t'y mettre’. Un jour, il est venu me prendre alors que j’étais en train de jouer un match avec les garçons. C'est lui qui avait amené le cahier et le stylo. Pendant les cours, j'étais curieuse, je voulais toujours creuser, discuter, avoir raison.

En tant que femme au foyer, comment vous alliez votre passion au ménage ?

J'ai la chance d'avoir un mari très compréhensif. Quand il est venu, il a trouvé la famille sportive dans laquelle je vis. On vit tous de ça et il s'est adapté. Ma maman a 80 ans, elle regarde encore le mercato, elle peut vous raconter le championnat du début à la fin. Elle ne regarde que les chaînes de sports. Quand je ne sors pas, mes enfants s’étonnent et me disent : ‘Maman, tu ne vas pas au stade aujourd'hui ?’. Donc, vous voyez, je n'ai aucun problème.

KHADY NDOYE (MBOUR)

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