Publié le 24 Jul 2020 - 21:08
FORMATION D’UN GOUVERNEMENT D’UNION NATIONALE

Une éventualité discutée

 

Un gouvernement d’union nationale est une éventualité qui se dessine. Déjà, des hommes politiques se positionnent pour faire partie de cette future équipe gouvernementale. Le contexte actuel est-il favorable à une telle reconfiguration politique ? Qu’est-ce que la Président Macky Sall a à gagner à un gouvernement d’union ? Est-ce la panacée pour lui de sortir de la crise actuelle. Autant de questions que politologues et acteurs politiques abordent avec EnQuête.  

 

La pandémie du coronavirus n’a pas que des conséquences économiques. Elle a également accentué les revendications sociales. Les Sénégalais sont devenus plus exigeants sur les questions relatives au foncier, au littoral, à l’environnement, à la gestion des deniers publics... Dans ce contexte de bouillonnement social, le remaniement ministériel, qui était dans les tuyaux avant la survenue de la Covid-19, est de plus en plus annoncé. Mieux, on agite l’idée d’un gouvernement élargi aux membres de l’opposition, pour corriger les ‘’failles’’ de l’équipe en place.

Seulement, d’après certains observateurs, la situation actuelle du Sénégal ne nécessite pas forcément la mise en place de ce type de gouvernement. C’est le cas de l’enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw, qui estime que le contexte n’est pas opportun à la formation d’un gouvernement d’union nationale. L’universitaire estime que le pays ne vit pas une crise, encore moins une remise en question de la situation politique. ‘’Rien n’oblige la création d’un gouvernement d’union nationale. Ce qu’il convient de faire est que le gouvernement actuel fasse une introspection. Il y a énormément d’affaires qui sont soulevées et qui impliqueraient certains responsables politiques. Il faut en tirer des leçons et repenser à s’ouvrir à un autre gouvernement, si c’est nécessaire’’, analyse M. Diaw.

Le spécialiste pense qu’un gouvernement d’union nationale ne respecterait pas les règles de la démocratie. Celles-ci, rappelle-t-il, voudraient que la majorité gouverne et que l’opposition s’oppose, pour critiquer et formuler des remarques à la gestion gouvernementale. Il pense, par conséquent, que ce type de gouvernement ressemblerait plutôt à une redistribution des postes pour une satisfaction d’une clientèle politique. 

Ibrahima Sylla, Professeur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, est du même avis. Il déclare qu’il serait surpris, si la décision venait à être matérialisée. A ses yeux, le pays n’est pas dans une situation de désunion nationale ou de crise majeure. ‘’Nous vivons une crise sanitaire et il y a un gouvernement qui a une totale légitimité. Je vois mal comment on peut morceler la légitimité d’un gouvernement qui doit gouverner, alors que l’opposition doit s’opposer et être vigilante. Je ne vois pas la pertinence de procéder à une répartition des postes’’, déclare le professeur qui est aussi membre du Congrès pour la renaissance démocratique (CRD). D’ailleurs, il précise que la question n’a pas encore fait l’objet d’un débat ou d’une discussion au sein de leur entité.

Il est d’avis que le Sénégal ne devrait pas être dans une logique d’union nationale ou de gouvernement élargi qui renvoie à une entrée de ministres ou de personnalités politiques issues de l’opposition. 

A la question de savoir si l’union notée au début de la pandémie, avec les consultations des différentes formations politiques, ne peut pas aboutir à un gouvernement élargi, M. Sylla rétorque : ‘’Un gouvernement d’union nationale ou élargie voudrait dire qu’il faudrait faire taire toute idée d’opposition pour ne faire prévaloir qu’une pensée unique et ce serait dramatique. Tout le monde est conscient qu’il faut se réconcilier autour d’une idée ou de l’essentiel ; ce qui ne veut pas forcément dire se réunir autour d’une manière de conduire la société ou réduire les orientations politiques à une pensée unique.’’

Membre de la coalition Taxawu Senegaal de Khalifa Sall, Babacar Aba Mbaye souligne que les options stratégiques relèvent du président de la République. ‘’Il a décidé, après sa réélection, à la surprise générale, de supprimer le poste de Premier ministre et tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaitre que ce n’était pas un bon choix. Ce que l’on attend, ce n’est pas un gouvernement d’union nationale, mais de sentir qu’on est dans une logique de corriger ce qui ne va pas, afin que le pays se relève et qu’ensemble, on consolide nos acquis’’, laisse entendre l’opposant. Notre interlocuteur renseigne que son leader n’a pas encore consulté la base sur cette question.

Rendre d’abord compte de la gestion de la pandémie

Pour l’instant, l’idée de la formation de ce gouvernement d’union nationale reste officieuse. Sur l’idée, par contre, certains pensent qu’il faut éviter de brûler les étapes, suite à l’union sacrée de la nation autour du chef de l’Etat dans la lutte contre la Covid-19. A leurs yeux, le président Macky Sall a d’abord l’obligation de rendre compte de sa gestion de la pandémie et de faire l’évaluation de la loi d’habilitation et l’état des cotisations, dans le cadre de la résilience économique, avant d’élargir éventuellement son gouvernement.

Si aucun parti n’assume pour le moment sa volonté de faire partie de ce type de formation politique, des appels explicites bruissent déjà chez certains dissidents à la recherche d’un point de chute. L’on est ainsi tenté de se demander si, après les alliés, Macky Sall cherche à davantage fragiliser les rangs de l’opposition, avec cette éventualité.

‘’On ne peut pas faire du neuf avec du vieux’’

A ce propos, le Pr. Moussa Diaw espère que le président de la République ne tombera pas dans l’erreur de recycler d’anciens responsables politiques qui, pense-t-il, ont échoué ailleurs. ‘’On ne peut pas faire du neuf avec du vieux. Ce gouvernement a géré très mal ses affaires ; des ministres sont impliqués dans des histoires. C’est au président de tirer des leçons, de choisir d’autres compétences’’, analyse l’enseignant-chercheur.

Le professeur Moussa Diaw pense ainsi que le choix ne doit pas se faire à la mesure des calculs politiques qui conduisent, d’après lui, à des erreurs. ‘’Il faut rompre avec cette logique et s’inscrire dans celle qui vise à satisfaire les besoins des citoyens. Le président a une marge de manœuvre, parce qu’il est dans son dernier mandat. C’est le moment de travailler pour les Sénégalais, de faire l’évaluation de sa politique et de choisir des gens compétents pour travailler pour le pays’’.

Le Pr. Diaw est, en outre, persuadé que l’opposition ne doit pas se mêler de cela. Elle doit plutôt répondre par la négative, si elle se définit comme une opposition responsable qui a pour but de formuler des propositions alternatives à la politique menée.

Pendant ce temps, son collègue Ibrahima Sylla pense qu’au Sénégal, ‘’il n’y a pas qu’une opposition, mais des oppositions et des semblants d’opposants. Des gens qui ont perdu le pouvoir, mais ne sont pas dans l’opposition, mais plutôt dans une logique de cohabitation, parce que ça les arrange. Ils ne sont pas dans la posture que l’on attend de l’opposition qui est forcément de militer contre l’action gouvernementale’’.

Aux yeux de l’enseignant en sciences politiques, on n’a pas nécessairement besoin de trouver dans l’opposition des gens pour renforcer ou renflouer les rangs de la majorité. ‘’Que l’opposition s’oppose et que le gouvernement gouverne. L’efficacité n’est pas forcément chez ces gens qu’on va chercher et qui n’auraient pas forcément la solution au problème’’.

‘’Khalifa Sall a dépassé la logique de postes’’

Babacar Aba Mbaye précise, pour sa part, qu’une éventuelle entrée de Khalifa Sall au gouvernement n’a pas été partagée avec la coalition Taxawu Senegaal. Cependant, dit-il, l’ancien maire de Dakar a dépassé la logique de postes. Il a montré, dit-il, que c’est un homme de principe qui a pour but de conquérir le pouvoir. ‘’Ce qui est important, c’est ce qu’il faut faire et cela revient entièrement au président de la République qui conduit le Sénégal. Dans la gestion de la Covid-19, nous lui avons donné carte blanche et la situation est ce qu’elle est. C’est à lui d’agir et de chercher les hommes qu’il faut. La question, pour nous, n’est pas une question de poste ou d’union nationale, mais plutôt de sauver le pays et c’est l’option de Khalifa Sall’’. 

HABIBATOU TRAORE

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