Publié le 9 Jan 2021 - 22:35
FRANCE - JUSTICE

Pourquoi l’affaire Benzema- Valbuena dure-t-elle aussi longtemps ?

 

Le Parquet de Versailles a annoncé le renvoi de Karim Benzema et quatre autres personnes devant le tribunal correctionnel dans le cadre de l'affaire du chantage à la sextape de Mathieu Valbuena. L'attaquant du Real Madrid est soupçonné de complicité de tentative de chantage et risque une peine de prison. Ouverte il y a cinq ans, l'affaire est encore loin de son épilogue.

 

L'annonce a fait l'effet d'un coup de tonnerre, quand bien même elle n'avait rien d'une surprise. Le 1er juillet, le procureur en charge du dossier avait requis dans son réquisitoire définitif le renvoi devant le tribunal correctionnel. Le parquet a donc suivi et cinq personnes suspectées de tentative de chantage à la sextape à l'encontre de Mathieu Valbuena devront s'expliquer : Axel Angot, Mustapha Zouaoui et Younès Houass, les maîtres chanteurs présumés, ainsi que Karim Zenati et Karim Benzema, ce dernier étant suspecté de complicité. Sa principale « erreur » dans l'affaire consiste à avoir accepté de parler de la vidéo compromettante à son coéquipier en équipe de France lors d'un rassemblement des Bleus le 6 octobre 2015. Cette intervention de l'international français avait été évoquée par Zenati avec les trois initiateurs de la manipulation, afin d'établir un contact avec leur victime.

Chantage, jusqu'à 5 ans d'emprisonnement

Si l'on se réfère aux textes de loi, Karim Benzema risque gros, jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Dans la pratique en revanche, difficile de savoir quand se tiendra l'audience d'un dossier qui traîne depuis déjà cinq ans - le temps judiciaire est connu pour sa longueur - et l'ampleur d'éventuelles condamnations, le joueur du Real Madrid n'étant pas a priori l'instigateur. À ce stade, la bataille a été tout autant médiatique que judiciaire : sur Instagram, le joueur a parlé de mascarade, comme son ancien agent Karim Djaziri qui a pointé du doigt un autre footballeur, Djibril Cissé, mis en cause au début de l'enquête, mais aujourd'hui totalement disculpé par la justice et par Mathieu Valbuena lui-même. Et du côté des avocats ? « Pas surpris » a indiqué Me Sylvain Cormier, qui assiste Benzema et voit une « décision aussi absurde que prévisible » , et surtout un « acharnement » contre son client. Quand son futur adversaire à la barre, Me Paul-Albert Iweins, boit du petit lait : ce renvoi en correctionnelle serait « la suite logique de l'instruction qui a parfaitement établi la participation des différentes personnes ».

Autour de Benzema, la fracture médiatique

Chacun défend sa cause, et pour le moment, c'est l'équipe de l'ancien Marseillais qui a le mieux placé ses pions dans une lutte déplacée très rapidement sur le terrain médiatique. En janvier 2016, dans nos colonnes, Isabelle Horlans, co-auteure du livre Les Grands Fauves du barreau, se montrait intriguée par les fuites autour de ce dossier, et notamment la une du Monde sur cette affaire, interview de Valbuena en prime : « Quand on a enquêté pour notre livre, plusieurs avocats nous ont expliqué qu'il y a des stratégies lorsque l'on veut porter une affaire à la connaissance du public sous un angle spécifique qui peut servir son client. » La manœuvre - si elle est bien partie du camp Valbuena, chose non avérée formellement - a fait son office : depuis cinq ans, KB9 a dit adieu à l'équipe de France - sa propre communication ayant achevé la relation de confiance entre lui et le sélectionneur Didier Deschamps après l'Euro 2016 -, et sur les réseaux sociaux comme les plateaux TV, cela s'écharpe soit pour condamner Benzema avant même qu'il n'ait été jugé, soit pour dénoncer un acharnement judiciaire indigne.

Passements de jambes entre avocats

Un beau sac de nœuds juridico-médiatique, car à ce stade, même les observateurs les plus aguerris ne peuvent savoir si l'affaire se finira par une relaxe ou une vraie voie de condamnation. En amont de ce renvoi en correctionnelle, les deux camps, par le biais de leurs avocats, se sont livrés à une joute juridique très technique pour le maintien de la procédure : en juillet 2017, le camp Benzema obtient de la cour de cassation une remise en question de la validité de l'enquête, et donc de toute la procédure, pour « déloyauté » . En cause, les méthodes d'un policier sous couverture qui aurait incité les présumés maîtres chanteurs à demander de l'argent à Mathieu Valbuena.

Une « provocation à l'infraction » potentielle qui pousse la cour de cassation à demander à la cour d'appel de Paris de statuer à nouveau sur la validité de la procédure. Le 8 novembre 2018, cette dernière met un coup d'arrêt à la stratégie de la défense, en estimant conformes les agissements du policier concerné, une décision confirmée en cassation en décembre 2019, ce qui met fin à toutes les voies de recours pour éviter un procès... Celui-ci se tiendra au mieux dans plusieurs mois, si le contexte sanitaire le permet. Dans le dossier, principalement six enregistrements, qui resteront sujets à interprétation, quand les éléments écrits restent les pièces les plus solides pour convaincre les juges. Condamné, Karim Benzema pourrait faire appel et remettre une pièce dans la machine. S'il est blanchi, les cinq années qui viennent de s'écouler n'en seront pas effacées pour autant. Une seule certitude dans ce procès à venir : Mathieu Valbuena comme Karim Benzema n'auront rien gagné et beaucoup perdu.

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