Publié le 17 Oct 2020 - 21:44
GESTION DE LA DETTE ET COVID-19

En quête de la formule magique 

 

Trouver les meilleures stratégies pour aider les pays africains, notamment le Sénégal, à mieux gérer sa dette, en cette période de crise sanitaire de Covid-19. C’est ce que veulent les responsables du Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem) de Dakar, en collaboration avec leurs collègues de l’ONG African Forum et Network Debt and Development’’ (Afrodad). A ce propos, ils ont tenu, hier, un atelier de partage à Dakar.

 

Qu’elle soit annulée partiellement ou totalement ou suspendus pour une période face à la pandémie, l’équation de la gestion de la dette reste encore à multiples inconnues pour les pays africains qui ont souvent bénéficié de ces allégements de la part des créanciers internationaux.

Aujourd’hui, dans un contexte de crise sanitaire qui a impacté toutes les économies du monde, le chef des programmes et analyste politique de l’ONG African Forum et Network Debt and Development (Afrodad), a fait savoir qu’il ne s’agit plus de savoir qu’un pays africain comme le Sénégal aurait besoin d’un allégement de la dette ou pas. Il urge, d’après lui, de voir comment ces pays peuvent gérer leurs dettes.

‘’Au Sénégal, il est important de relever qu’il y a une augmentation de la dette publique, ces dernières années. D’où la nécessité de surveiller les risques de surendettement et d’élaborer des stratégies. Le montant moyen pour réaliser les objectifs durables de développement (ODD) au niveau mondial nécessitera des investissements de 400,5 milliards de dollars. Ce qui constitue des ressources nécessaires pour financer toutes les zones de développement qui ne sont pas directement liées aux ODD’’, explique Théophilus Jong Yungong.

Le représentant de l’ONG Afrodas s’exprimait hier, lors atelier sur les interrogations sur les stratégies de gestion de la dette en Afrique dans le contexte de Covid-19, particulièrement le cas du Sénégal. D’après M. Yungong, les pays africains doivent également ‘’assumer leurs responsabilités’’ et leur destin en particulier, en faisant des efforts et des investissements prudents. Ceci pour pouvoir être pris au sérieux lorsqu’ils se retrouveront autour d’une table pour discuter avec leurs partenaires internationaux.

Concernant la dette sénégalaise, en cette période de Covid-19, le représentant du Comité de suivi de la mise en œuvre des opérations du Force-Covid-19, Momar Ndao, a relevé qu’en effet, sur les 1 000 milliards annoncés, les ressources mobilisées pour la mise en œuvre du programme de résilience s’élèvent à 635,662 milliards de francs CFA, soit plus de 63,6 % du budget initial. Et ce montant est composé principalement de prêts programmes, dons budgétaires et ressources internes pour un montant de 595,162 milliards de francs CFA. Les prêts projets et dons en capital sont d’une valeur de 40,5 milliards de francs CFA. L’aide d’urgence rapide du Fonds monétaire international (FMI) est de 264 milliards de francs CFA. Les prêts concessionnels sont constitués de 138 milliards de francs CFA de la Banque mondiale, 60 milliards de la Banque africaine de développement (Bad), 98 milliards de la Banque islamique de développement (Bid) et 15 milliards de francs CFA de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).

Par rapport aux financements additionnels, M. Ndao confie qu’ils sont de 15 milliards venant du secteur privé et autres donateurs ; 11 milliards de report de principal de la dette de la BOAD et d’un surplus de 4 milliards sur les dividendes et commissions de transferts de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).  L’Initiative G20 de suspension de paiements du service de la dette est estimée à environ 90 milliards de francs CFA dont 30 milliards au titre de paiement des intérêts.

Il faut noter que seuls 628,4 milliards sont décaissables sur les 1 000 milliards et 371,6 milliards, sous forme de facilités fiscales et autres. ‘’Les dépenses décaissables sont composées de dépenses budgétaires pour 558,4 milliards et des opérations de trésorerie pour 70 milliards de francs CFA.

Cependant, cet endettement pour faire face à la Covid a été très bien organisé par l’Etat. Il ne s’est pas agi de destiner la totalité des 1 000 milliards à des opérations non-rentables à court et moyen terme. L’Etat, dans le souci de résilience, a dédié plus de 98,97 % de son budget à la relance et seulement 1,03 % à l’aide d’urgence. Notre endettement pour le financement du Force-Covid-19 est aussi un socle de relance et de résilience économique’’, précise M. Ndao, par ailleurs Président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen).

D’après lui, tous ces décaissements se sont faits sur fonds de transparence dans la mise en œuvre assurée par le Comité de suivi des opérations du Force-Covid-19. ‘’Cette démarche de transparence par l’implication de toutes les parties prenantes, fait que nous pouvons saluer les orientations économiques de notre pays et justifier valablement nos engagements vis-à-vis de nos partenaires techniques et financiers’’, dit-il.

Restaurer la croissance économique et accélérer la modernisation fiscale

Pour sa part, le coordinateur de la Direction générale de la planification a indiqué que même si la structure de la dette sénégalaise reste complexe, avec les dettes bilatérales que l’Etat doit aux créanciers turques, chinois ou indiens, le Sénégal la gère avec ‘’prudence’’.

Concernant les perspectives budgétaires, Serigne Moustapha Sène note qu’il est préconisé de faire un plaidoyer auprès des grands pays émergents tels que la Chine, l’Inde et la Turquie pour leur adhésion à l’Initiative pour la suspension du service de la dette (DSSI). Pour l’amélioration de la mobilisation des ressources domestiques, M. Sène estime qu’il urge de restaurer la croissance économique et accélérer la modernisation fiscale. Concernant le rendement de la dépense, il suggère un cadre de dépenses à moyen terme, le passage au budget-programme dès la loi de finances 2021.

En ce qui regarde le renforcement des capacités institutionnelles, la perspective reste basée sur le renouveau du Comité national de la dette publique avec la production d’un manuel de procédure, la tenue de réunions trimestrielles présidées par le ministre des Finances, la création d’un logiciel de gestion de la dette. Ceci avec la poursuite de l’intégration des entreprises du secteur parapublic dans la base de données pour un meilleur suivi des risques budgétaires.

Ainsi, M. Sène recommande la continuité du respect des normes de transparence, l’élargissement du marché financier qui reste un marché pour les Etats, afin de réduire le risque de charge sur les dettes souveraines. ‘’Il faut restructurer et reprofiler au besoin la dette pour ne pas affecter la notation souveraine, innover davantage pour financer les investissements structurants avec les partenariats public-privé (PPP) dont l’adoption est espérée très bientôt. Le tiers du financement du PAP2A (2019-2023) est attendu du secteur privé. Donc, il est nécessaire de créer un cadre propice à l’investissement productif’’, préconise le coordinateur de la DGP.

Le ‘’vrai problème’’ du Sénégal est, selon l’ancien ministre et président de la Commission de suivi et d’évaluation des programmes et politiques publiques, El Hadj Ibrahima Sall, celui de la culture d’information. ‘’C’est l’Administration qui doit fournir les informations. Aujourd’hui, le droit à l’information doit être voté. Les statistiques sur la dette doivent être disponibles, sur la pandémie aussi. L’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) doit être sur cette perspective, afin que nous soyons sûrs que les chiffres que nous manipulons sont tous des statistiques. Il nous faut également une évaluation des politiques publiques au Sénégal. On ne l’a jamais fait depuis l’indépendance’’, soutient-il.

Monsieur Sall a signalé qu’il n’y a que l’université qui a commencé à le faire sur les thèses ou sur les formations. Et par rapport à la dette, aujourd’hui, il souligne qu’on ne peut pas juger la dette et l’endettement en isolant l’utilisation qui en était faite. ‘’Sur ce point, il y a un effort énorme à faire sur les procédures de sélection et des outils de sélection des investissements. Nous devons veiller tout le temps sur la qualité de nos investissements et la structure de nos dépenses. Dans les trois prochaines années, la priorité, en matière de développement sur la dette, sera un travail de reprofilage pour améliorer le profil de notre dette. Il faut également tenir en compte le problème de la monnaie’’, renchérit M. Sall.

Mamadou Mignane Diouf : ‘’Le remboursement de la dette serait un obstacle réel à…’’

Membre du Comité d’initiatives pour l’annulation de la dette africaine, Mamadou Mignane Diouf a soutenu que celles et ceux qui parlent d’annulation de la dette ‘’ne demandent ni l’aumône ni de la générosité’’ auprès des créanciers. ‘’C’est bien le contexte qui l’impose et l’exige. Surtout que cette dette est en grande. Exiger l’annulation de la dette dans le contexte actuel, vise à donner toute priorité à la lutte contre la Covid-19 dans le but de réorienter toutes les dépenses destinées au paiement de la dette afin de contribuer à sauver des vies dans les pays du Tiers-monde qui ont déjà fait les frais des politiques d’ajustement structurel dans le passé’’, affirme-t-il.

Mamadou Mignane Diouf estime que les mécanismes d’endettement ont souvent soumis les pays africains et ceux du Tiers-monde à des exigences et conditionnalités des institutions financières internationales et des pays créanciers qui utilisent la dette pour ‘’exercer des pouvoirs exorbitants’’ sur les pays endettés.

Il pense également que ces pays en développement que l’on désignait comme pays pauvres très endettés, étaient soumis à des conditions économiques, politiques et sociales telles qu’ils étaient contraints d’abandonner une partie de leur souveraineté. Ceci, au moment où la demande sociale des populations devenait de plus en plus forte et variée. ‘’Il s’y ajoute qu’après 5 siècles de pillage, d’esclavage, de colonialisme, pour ensuite en arriver à 20 années de politiques d’ajustement structurel, les populations du Sud et des pays africains sont dans le droit d’exiger des réparations pour tous les tords et pour toutes les souffrances subies et causées par un mécanisme hideux et invisible par les grandes puissances des pays du Nord’’, ajoute-t-il.

Sous cet angle, M. Diouf trouve que l’annulation totale de la dette est le premier acte de réparation dû à l’Afrique. ‘’Dans le contexte actuel de crise sanitaire où tous les systèmes sanitaires ont été dépassés, le remboursement de la dette serait un obstacle réel à la satisfaction des besoins moraux fondamentaux, comme l’accès à des soins de santé pour tous, à l’eau potable et une alimentation riche et variée ou encore une éducation primaire pour tous’’, défend-il.

MARIAMA DIEME

 

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