Publié le 29 Dec 2020 - 04:18
GESTION DES CATASTROPHES NATURELLES OU SANITAIRES

Macky Sall renforce ses prérogatives 

 

La modification de la loi relative à l’état d’urgence et à l’état de siège alimente encore la polémique. Pour l’opposant Thierno Bocoum, le projet de loi ouvre à Macky Sall les portes d’un pouvoir absolu.

 

Le président Macky Sall a émis, il y a quelques jours, la volonté d’une meilleure prise en charge des catastrophes naturelles ou sanitaires. Un projet qui passe, selon lui, par la modification de la loi sénégalaise en vue de l’adapter à certains contextes tels que la pandémie de Covid-19. Partant du fait que ces catastrophes ‘’ne constituent pas à proprement parler des atteintes à la sécurité ou à l’ordre public’’, Macky Sall opte pour la modification de la loi 69-29 du 29 avril 1969 relative à l’état d’urgence et à l’état de siège.

Le président de la République estime que parler d’état d’urgence, en cas de pandémie ou d’épidémie, dans un pays réputé pour sa stabilité politique, parait plutôt excessif. Le nouvel instrument devrait prendre en charge la gestion de catastrophes naturelles ou sanitaires.

Toutefois, en attendant la validation de ce projet de loi par l’hémicycle, les réactions et commentaires vont bon train.

Dans ce sillage, l’ancien parlementaire Thierno Bocoum décèle, pour sa part, plusieurs erreurs et violations. Selon son analyse, le président Macky Sall bénéficiera d’un pouvoir absolu, si le document est approuvé par l’Assemblée nationale.

En effet, l’article 24 du projet de loi confère à ce dernier ‘’le pouvoir de prendre des mesures visant à assurer le fonctionnement normal des services publics et la protection des populations’’, en cas de catastrophes naturelles ou sanitaires. Un fourre-tout, selon l’ancien député du Rewmi, qui s’appliquerait même en dehors de l’état de l’urgence. ‘’L’énumération dans l’alinéa suivant de quelques prérogatives avec l’utilisation de l’adverbe ‘notamment’ cache des pouvoirs qui pourront bien être justifiés par l’obligation ‘de prendre des mesures visant à assurer le fonctionnement normal des services publics et la protection des populations’ que lui confère l’article 24 nouveau dudit projet de loi. Le président de la République dispose ainsi, dans une logique interprétative de ses prérogatives sus indiquées, des pouvoirs non limitatifs, y compris ceux alloués à l’occasion d’un état d’urgence, contrairement à ce qui est présenté dans l’exposé des motifs’’, explique-t-il.

Le ‘’out’’ du pouvoir Législatif

Par conséquent, la nouvelle loi écarte l’Assemblée nationale dans le processus d’exécution d’un régime d’exception. En cas de catastrophe naturelle ou sanitaire, elle ne sera plus saisie. Ni pour en juger la pertinence ou statuer sur son renouvellement.

En outre, le pouvoir législatif ne pourra plus intervenir dans le principe de précaution (adoption, par un gouvernement de mesures pour prévenir des risques liés à un événement dont les conséquences ne sont pas maîtrisées). C’est le cas de la pandémie de Covid-19. ’’Le délai d’un mois renouvelable une fois, prévu dans la loi, ne peut pas répondre à une situation de catastrophe non maîtrisée. Avec une durée totale de deux mois maximum, les mesures ne peuvent prendre en compte des situations comme celle d’une pandémie. D’ailleurs, l’exemple de la Covid-19 est révélateur : l’Assemblée nationale avait prorogé le délai de trois mois. Ce qui ne serait pas possible avec le vote dudit projet de loi’’, fait remarquer le président du mouvement Agir (Alliance générationnelle pour les intérêts de la République). Thierno Bocoum soutient que ‘’dans ce projet de loi, la volonté d’écarter l’Assemblée nationale du processus de décision pour l’installation d’un régime d’exception est clairement affichée sans que sa pertinence ne soit explicitée. Il s’agit, par conséquent, d’une réforme qui consacre un recul démocratique dans la logique d’une démocratie représentative et le renforcement des prérogatives d’un président de la République dont les pouvoirs sont déjà assez exorbitants’’.

Outre les manquements portant sur le fond, les erreurs de forme n’ont pas échappé à son analyse. Le projet de loi n’a pas modifié l’article premier de la loi 69-29 relative à l’état d’urgence et à l’état de siège. Or, cet article stipule que ladite loi est adossée à l’article 58 de la Constitution déclarant que ‘’l’état de siège, comme l’état d’urgence, est décrété par le président de République. L’Assemblée nationale se réunit alors de plein droit, si elle n’est pas en session. Le décret proclamant l’état de siège ou l’état d’urgence cesse d’être en vigueur après 12 jours, à moins que l’Assemblée nationale, saisie par le président de la République, n’en ait autorisé la prorogation’’. Il va de soi que l’article 58, sous-bassement de la loi 69-29, ne comporte pas les nouvelles prérogatives octroyées au président dans sa modification. Il en est de même pour les nouvelles situations à l’ordre du jour que sont les catastrophes naturelles et sanitaires. Et l’opposant d’ajouter que ‘’la modification de la loi objet de l’article de la Constitution doit nécessiter, au préalable, la modification de la Constitution en y adjoignant les nouveaux éléments à insérer dans la loi dont il est l’objet’’. 

EMMANUELLA MARAME FAYE

Section: