Publié le 26 Nov 2020 - 01:24
GOUVERNEMENT FACE A LA PRESSE

Entre assurance et impuissance

 

L’exercice s’annonçait périlleux. Mais, à l’arrivée, ça s’est bien passé dans l’ensemble. Très à l’aise sur certains dossiers, le gouvernement se cherche et tergiverse sur d’autres.

 

Plus d’une semaine après la découverte de la maladie dite ‘’mystérieuse’’, l’Etat ne connait toujours pas les causes de cette maladie. Mais selon le ministre de la Santé et de l’Action sociale Abdoulaye Diouf Sarr, il n’y a rien d’anormal qui justifierait la remise en cause de la qualité des chercheurs sénégalais. A la question de savoir si c’est à cause d’une recherche mal menée ou de manque de moyens, il rétorque : ‘’Toute recherche obéit à un processus. Et qui dit processus, dit des étapes et hypothèses successives. C’est dans ce cadre que nous sommes en train de traiter le processus d’investigation et de recherche. Le Sénégal n’a pas à rougir par rapport à la pertinence de ses recherches et de la qualité de ses scientifiques.’’

D’ores et déjà, Diouf Sarr écarte l’hypothèse d’une maladie contagieuse. ‘’Les résultats des examens biologiques, dit-il, n’ont pas révélé de cause infectieuse. Mais d’autres investigations sont en cours. Comme je l’ai dit, la recherche obéit à un processus sur la base d’hypothèses successives. Il n’y a donc pas, à ce niveau, de limites par rapport à notre dispositif. Il faudrait plutôt saluer la réactivité de notre service d’alerte et l’approche multisectorielle pour une prise en charge efficace de la maladie’’.

L’autre motif de soulagement, si l’on en croit toujours le ministre de la Santé et de l’Action sociale, c’est qu’il n’existe pas de cas secondaires. Tous sont des hommes ; des pêcheurs. ‘’On peut noter, à ce jour, qu’il n’y a aucun cas secondaire. Ce qui veut dire que la maladie n’est pas contagieuse. Je peux aussi dire qu’il n’y a pas de risque par rapport à la consommation du poisson. Je vous invite d’ailleurs à venir me rejoindre sur la plage de Yoff, samedi, pour des grillades de poisson, au besoin’’, sourit le ministre, non sans rassurer que tous les cas ont évolué favorablement, sans complication, ni aggravation de lésions.

Sur l’étendue du territoire, l’Etat a dénombré 1 004 cas, dont un seul hospitalisé, à la date du 23 novembre. Ces cas sont répartis comme suit : région de Dakar 567 patients, dont un hospitalisé. Thiès 431 cas identifiés et Kolda un cas. D’après le ministre, ce dernier cas trouve aussi sa source à Dakar.  

Toujours sur le même sujet, le ministre en charge de l’Environnement informe que ses services ont été mobilisés, dès que les examens biologiques ont montré que l’origine n’est pas virale. ‘’A partir de ce moment, les équipes d’investigation se sont déplacées, accompagnées des pêcheurs, au niveau des endroits supposés être à l’origine du contact avec les pêcheurs. Ainsi, les équipes de la Direction de l’environnement et des établissements classés, accompagnés de la brigade de l’environnement, se sont rendues précisément à 8 km de Ngaparou pour faire des prélèvements’’.

Au total, 10 prélèvements ont été faits : deux concernant les poissons, quatre concernant l’eau de mer et quatre autres sur les algues. ‘’A la suite de ces prélèvements, des analyses ont été faites par le laboratoire… et les résultats sont connus. Aucune infection chimique ou toxique sur l’eau qui a été analysée, qui pourrait justifier l’apparition de cette maladie ; aucune infection chimique ou toxique sur les poissons. Il reste alors l’analyse des prélèvements effectués au niveau des algues. Malheureusement, le laboratoire privé avec lequel nous travaillions n’était pas suffisamment outillé pour effectuer ces types d’analyses’’.

Dès lors, le département s’est orienté vers le centre anti poison. Lequel n’a pu effectuer l’analyse, car la quantité prélevée n’était pas suffisante. ‘’Une mission est alors retournée hier (lundi) sur le site pour faire d’autres prélèvements. Aucune piste ne sera épargnée. Nous allons continuer les investigations sur les algues, parce que selon les informations reçues des pêcheurs, l’apparition de la maladie coïncide avec l’apparition massive d’algues dans les lieux indiqués. Cela dit, nous n’écarterons pas le carburant ou même les filets. Nous sommes en train de faire le nécessaire pour élucider les causes de cette maladie’’.

Un mystère continu

A propos de la pandémie, le ministère de la Santé et de l’Action sociale ne veut surtout pas entendre parler de triomphe de l’immunité, donc des lois naturelles. Il préfère plutôt chanter sa stratégie qu’il juge ‘’excellente’’, en voulant pour preuve le classement de la revue américaine ‘’Foreign Policy’’ le mettant au 2e rang des meilleures stratégies de riposte à travers le monde. Un classement, faut-il le rappeler, qui ne concerne que 36 Etats dans le monde, dont deux seuls en Afrique de l’Ouest (Sénégal et Ghana).

Dans tous les cas, Diouf Sarr s’est déjà fait une religion : ‘’Nous pouvons dire sans risque de se tromper que le recul est dû à l’efficacité de la riposte. L’immunité collective ne peut pas être une stratégie de riposte. Si c’était le cas, le corollaire serait un nombre de morts très importants. Aujourd’hui, nous avons le meilleur taux de létalité en Afrique. Il faut donc mettre de côté l’hypothèse de l’immunité collective. C’est la riposte qui a été très efficace et qui a permis d’avoir ce résultat.’’

Toutefois, a-t-il reconnu, selon les recherches jusque-là disponibles, rien ne présage d’une seconde vague. Il n’empêche. L’Etat travaille sur les hypothèses les plus pessimistes possibles. Il dit : ‘’Nous travaillons toujours dans des perspectives pessimistes. En matière de pandémie, il faut toujours être prudent. C’est pourquoi nous demandons que les mesures soient respectées.’’  

Le grand crash sur la CSS

D’habitude si calme, la ministre du Commerce, Aminata Assome Diatta, est passée, hier, à l’offensive. A propos des Dipa (déclarations d’importation de produits alimentaires) qui défraient la chronique depuis quelque temps, la bonne dame a tenu à remettre les points sur les i. A la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) et ses travailleurs qui dénonçaient 150 000 tonnes de sucre importé qui empêcheraient ce fleuron de l’industrie d’écouler son stock, elle précise : ‘’Les quantités importées au titre de la Dipa tournent autour de 173 000 tonnes. Sur cette quantité, il faut savoir qu’il y a 107 000 tonnes qui sont importées par les industriels. Comme vous le devinez, quand une industrie fait par exemple du chocolat ou un produit du genre, elle a besoin d’importer du sucre. Elle n’achète pas sur le marché local. Et il y a une procédure particulière pour qu’elle puisse bénéficier de la Dipa. Elle doit, en effet, passer par la Direction du redéploiement industriel du ministère en charge de l’Industrie. Celle-ci évalue les besoins de l’entreprise, lui fait une attestation. Et sur cette base, les services techniques du ministère du Commerce lui délivrent la Dipa…’’

Mais alors où va le reste ? Selon Assome, 66 000 tonnes sont mises à la consommation directe. Et contrairement à ce que certains pourraient penser, le plus grand importateur de sucre reste la CSS. ‘’Sur ces 66 000 tonnes, il faut enlever le quota distribué lors de la pandémie. Il faut aussi savoir que les 20 000 reviennent à la CSS. Ce dont on parle, ce sont ces 20 000 tonnes importées par la CSS qui n’ont pas pu être écoulées sur le marché’’. Ce qui tranche d’avec les affirmations de Louis Lamotte, à l’occasion de la marche des travailleurs de la boite. Il disait : ‘’La CSS dispose d’un stock invendu de 30 000 tonnes à cause de l’inondation du marché sénégalais par le sucre importé de manière illégale.’’

Assome enfonce : ‘’Je rappelle que la CSS n’est pas en mesure de satisfaire les besoins du marché local en sucre, cela depuis très longtemps. Face à cette situation récurrente, plusieurs actions sont mises en œuvre par l’Etat pour pallier les insuffisances. Je peux en citer trois…’’ Chaque année, estime-t-elle, son département, en collaboration avec la CSS, vérifie les stocks dont dispose l’entreprise. Ce qui lui permet d’anticiper sur le gap, en donnant des quotas à un certain nombre d’importateurs, suivant des conditions strictes, y compris la CSS. ‘’D’ailleurs, insiste Mme Diatta, celle-ci a toujours le quota le plus important’’.

Toutefois, elle se dit disposée à mener de larges concertations avec tous les acteurs pour des solutions justes, appropriées et transparentes. ‘’Il faut savoir que le ministère est chargé certes de l’approvisionnement correct du marché. Mais c’est aussi et surtout le médecin de famille des entreprises sénégalaises. Comment peut-il donc se permettre de détruire un des fleurons de notre industrie ? Je réaffirme aux travailleurs la disponibilité du ministère à travailler étroitement avec la CSS pour trouver des solutions’’, affirme la patronne du Commerce.

Mieux, elle tente de donner des gages : ‘’Pour éviter, à l’avenir, cette situation, le ministère a décidé de dématérialiser la Dipa. Ce qui permettra de mieux contrôler et de rendre plus facile et plus transparente leur attribution. Cela permettrait également d’éviter toute contestation. Dans le même ordre d’idées, j’invite la CSS et tous les acteurs à de larges concertations sur le secteur, pour trouver des solutions définitives aux difficultés.’’

A propos des huiliers qui agonisent

Pendant que la CSS pleure, les huiliers du Sénégal, eux, agonisent. Cette fois, ce n’est pas le ministère du Commerce qui est accusé, mais bien son homologue en charge de l’Agriculture.

Interpellé sur cette question due à la signature d’un protocole d’accord avec la Chine depuis 2014, ce dernier, à l’instar de son homologue du Commerce, balaie d’un revers de main. ‘’Il faut savoir que l’année dernière, c’était une campagne de rupture. Il ne faut pas oublier qu’avant (l’accord avec la Chine), la commercialisation créait beaucoup de difficultés, parce que les huiliers n’arrivaient pas à absorber toute la production. Voilà pourquoi le gouvernement avait signé un protocole avec la Chine’’.

Aussi, fait-il remarquer, dans la même veine, il y avait un protocole avec les huiliers qui prévoyait que l’Etat doit supporter la différence entre le prix réel de l’arachide et le prix fixé pour la commercialisation. ‘’En 2018, cela devait nous coûter 12 milliards F CFA. En 2019, nous avons dénoncé cet accord. Cela a permis aux producteurs de vendre à un prix très profitable. Mais les huiliers, qui avaient l’habitude de cette couverture, n’ont pu collecter beaucoup de graines. Ainsi, l’année dernière, la campagne a coûté zéro franc au gouvernement’’.

Arrivé à terme, l’accord signé en 2014 et qui permet l’exportation de l’arachide en Chine a été renouvelé jusqu’en 2024, rappelle le ministre. Qui s’engage toutefois à trouver des solutions pour permettre aux huiliers de travailler. ‘’Cette année, souligne le ministre koldois, nous avons décidé de taxer l’exportation des graines décortiquées. Et la taxe s’élève à 30 F CFA le kilo décortiqué. Si, comme l’année dernière, on arrive à exporter 400 000 tonnes de graines, cela veut dire que l’Etat va engranger 12 milliards. Mais le président de la République a dit qu’il faut que ça retourne aux producteurs, en renforçant le capital semencier du Sénégal’’.

Des productions record

Revenant sur le ‘’prix exceptionnel’’ de l’arachide qui a été fixé à 250 F CFA, soit une hausse de 40 F CFA, il déclare : ‘’Jamais on a eu une telle augmentation. La conséquence est que si on valorise 1 800 000 tonnes, c’est 450 milliards F CFA dans le monde rural. Donc, le monde rural est assis sur 450 milliards. Pour la paille, c’est au minimum 150 milliards. Globalement donc, la campagne peut générer au moins 600 milliards.’’

Par ailleurs, il informe que cette année, des surfaces record ont été emblavées, ‘’grâce au retour des émigrés’’ (sic). Moussa Baldé : ‘’Le niveau de surfaces emblavées a été amené à plus de 3 750 000 ha. En termes de production, cela fait 1 800 000 tonnes pour l’arachide qui a le plus intéressé les journalistes, contre 1 400 000 tonnes l’année dernière.

En ce qui concerne les céréales, l’objectif était de 3 millions de tonnes. Je peux vous dire que la production céréalière est estimée à 3 800 000 tonnes. Pour le riz, nous attendons une production de 1 450 000 tonnes, contre 1 100 000 l’année dernière. Cela veut dire que la production céréalière a augmenté de 38 % cette année et la production des cultures industrielles de 36 % au moins’’.

MINISTERE DE L’INTERIEUR

Antoine cherche encore ses marques 

Pour sa première grande sortie médiatique, le nouveau ministre de l'Intérieur a fait long feu. Le successeur d'Aly Ngouille Ndiaye cherche ses marques dans les labyrinthes du très politique ministère de l'Intérieur. 

La politique, ce n’est pas le droit. A Antoine Félix Diom (ministre de l’Intérieur), il faudra encore du temps pour apprendre à se mouvoir dans le terrain bien marécageux de la politique. Sur une question portant sur le dialogue national et la supposée bouderie de son président Famara Ibrahima Sagna, il répond en ramenant tout à la politique. ‘’… Cela me permet de répondre à la question sur l’état actuel du dialogue. Le dialogue est en cours. Il y a des travaux qui se poursuivent, pas de façon interactive entre les acteurs, mais c’est le processus de sélection des auditeurs qui permettra, à terme, d’avoir des résultats. Lesquels devront, avec le rapport final, déboucher sur des conclusions permettant de fixer la date (des Locales)’’.

Ce qui ne renseigne nullement sur le sort du dialogue national, qui continue d’inquiéter les différentes parties prenantes. Durant toute sa communication, aucun mot n’a ainsi été prononcé relativement aux autres composantes du dialogue qui, en sus de la politique, concernait sept autres commissions.

Sur la tenue des élections locales, par contre, l’Etat ne connait toujours pas la date. Selon Antoine Diom, il faudra attendre les conclusions des experts en charge de l’audit du fichier électoral. ‘’Les experts chargés d’auditer le fichier, souligne-t-il, sont en train d’être sélectionnés et les conclusions issues de ce travail permettront aux acteurs du dialogue de fixer d’un commun accord la date des élections locales qui, il faut le rappeler, ont été reportées par un consensus acté par la loi. Lequel consensus découlait de la nécessité d’évaluer le processus électoral. Voilà les préalables sans lesquels il n’est pas possible de fixer une date fixe. Mais le processus est en cours’’.

A propos de l’émigration irrégulière avec son lot de morts, il ne faut pas compter sur le successeur d’Aly Ngouille Ndiaye pour déterminer le nombre de personnes décédées. A une question portant sur le nombre de Sénégalais décédés, il rétorque : ‘’Je note que dans la formulation même de sa question, il (le journaliste) a parlé d’émigration clandestine. Cela signifie que lorsque c’est clandestin, on n’a jamais suffisamment d’éléments pour se prononcer. Je dois aussi relever que l’objectif du gouvernement est de trouver des solutions aux problèmes qui se posent aux Sénégalais. C’est également de veiller à ce que nos jeunes ne prennent plus les chemins des océans’’.

Sur les incendies dans les marchés, le nouveau ministre de l’Intérieur invite les acteurs à un respect strict des règles et a rappelé la volonté de l’Etat de construire des marchés modernes.

MOR AMAR