Publié le 22 Aug 2019 - 17:02
GREVE ANNONCEE DANS LE SECTEUR DE LA BOULANGERIE

Le Regroupement des boulangers du Sénégal seul au front contre tous 

 

La grève de trois jours annoncée dans le secteur de la boulangerie les 27, 28 et 29 août prochains, sera uniquement observée par le Regroupement des boulangers du Sénégal (Rbs). Selon le président de la Fédération nationale des boulangers du Sénégal (Fnbs) Amadou Gaye, contacté hier par ‘’EnQuête’’, ils ne sont pas concernés par ce mouvement d’humeur. De leurs côtés, le directeur du Commerce intérieur, Ousmane Mbaye, et le président de l’Ascosen, Momar Ndao, rassurent les consommateurs sur la disponibilité du pain, pendant cette période.

 

Les travailleurs de la boulangerie, notamment ceux du Regroupement des boulangers du Sénégal (Rbs) se sont fait entendre à nouveau à travers la presse. Ceci après deux mois de négociations entre le gouvernement, les acteurs de la boulangerie et les associations de consommateurs, pour trouver une solution ‘’définitive’’ aux maux qui gangrènent leur secteur.

Ainsi, le Rbs a décidé d’observer un arrêt de production de pain, entre le 27 et 29 août prochains. Mais ils semblent être seuls dans ce combat. Contacté hier par ‘’EnQuête’’, le président de la Fédération nationale des boulangers du Sénégal (Fnbs) a fait savoir qu’ils ne sont pas concernés par ce mouvement. ‘’On est loin de ça. Nous, nous continuons nos négociations avec l’Etat. Nous ne faisons pas partie de cette grève. Ça ne nous concerne pas. On est actuellement en train de finaliser les négociations. On a validé la réglementation ; on va valider l’introduction du format supplémentaire avec le grammage que nous voulons. Mais, pour le moment, on n’est pas dans ça’’, précise Amadou Gaye, à l’autre bout du fil. Avant d’ajouter qu’ils ont informé leurs membres qui sont dans les régions qu’ils ne sont pas concernés par cette grève.

‘’Tous les responsables régionaux sont effectivement au courant que le mot d’ordre ne nous concerne pas. Mais ils sont libres d’avoir une autre lecture des négociations. Il y a des boulangers qui réclament la hausse des prix et vendent leur pain à 100 F, là où l’Etat leur a demandé de le vendre à 150 F. C’est une incohérence. Beaucoup de boulangers ne respectent pas le prix homologué. Il faut que la pagaille s’arrête et l’Etat est d’accord sur ce point. Nous avons les 90 points de la négociation, il ne reste que 10 points à régler encore’’, insiste-t-il.  

Au fait, selon le leader de la Fnbs, une association qui est ‘’seulement à Pikine ne peut pas parler au nom des boulangers du Sénégal’’. ‘’Ce n’est pas possible. De toute façon, attendons de voir les 27, 28 et 29 août prochains ce qui va se passer. On saura si les gens vont suivre le mot d’ordre ou pas. On va jauger les membres de chaque groupe. Nous ne les considérons pas et c’est inélégant que des boulangers décrètent un mot d’ordre sans nous aviser. S’ils l’avaient fait, on pourrait trouver un compromis, même pour les dates’’, ajoute-t-il.

En effet, M. Gaye trouve inopportun de déclencher une grève en pleines négociations. Pour lui, il faut au moins attendre que celles-ci échouent, pour ‘’aller en grève ensemble’’. ‘’Quand on décide quelque chose, il faut penser aussi à la population. C’est la dernière arme qu’on va utiliser. On peut faire un service minimum, par exemple, pour que les gens se déplacent au niveau des boulangeries pour acheter du pain. Là, c’est un premier pas avant d’aller en grève, si l’Etat ne veut pas appliquer la vérité des prix’’, préconise-t-il.

D’ailleurs, il fait savoir que la tutelle est ‘’ouverte’’ à la poursuite des négociations. En plus, ils ont envoyé une lettre au ministre du Commerce pour lui faire part de leurs propositions. ‘’Dans cette lettre, nous avons dit à l’autorité de valider le projet de décrets et d’arrêtés au niveau du Conseil national de la consommation. Nous lui avons dit aussi que, dès l’instant qu’il y a un problème avec un grammage, eux, ils parlent de 1,083 g et nous 1,18 g, et nous avons trouvé un compromis avec l’Etat pour aller à 1,086 pour les formats supplémentaires. Et là, c’est un acquis. Ils ont baissé de même que nous. On s’est retrouvé pour proposer un format supplémentaire de 200 g à 175 F. C’est une proposition’’, informe-t-il. Cependant, il indique que chaque région a sa spécificité. Pour chacune d’elles, il y a des formats supplémentaires. ‘’On peut avoir 1,086 g pour une région, alors que si on va dans une autre, on peut avoir 1,090 g. Mais les autres grammages seront conservés. Notre intérêt, c’est que les boulangers gagnent de l’argent. Le consommateur cherche un pain avec du poids et c’est ce que nous voulons aussi’’, dit-il.

Bada Gassama (Rbs) : ‘’Les membres du Fnbs vont suivre leurs intérêts.’’

En réalité, c’est ce poids du pain, en particulier celui du 4e format, qui divise les autorités et les responsables du Rbs. ‘’Nous avons décidé d’aller en grève, parce que nous n’en pouvons plus. Nous avons proposé à l’Etat d’appliquer le poids de 0,90 g aux autres formats qui existaient. Par exemple, la baguette de 190 g doit revenir à 175 g et coûtera 150 F. Nous n’avons pas de problème avec les trois formats standards. Mais ce que nous ne pouvons pas accepter, c’est le 4e format. C’est impossible qu’on accepte les conditions posées sur cette question. Nous voulons que la baguette de référence soit celle de 200 F. Ce que la tutelle n’accepte pas. Donc, nous nous sommes dit que les autorités étatiques ne voulaient pas de climat apaisé dans le secteur’’, souligne le trésorier du Rbs, Bada Gassama.

Et même sans le soutien de leurs pairs, il espère que leur mot d’ordre aura un impact sur l’étendue du territoire national. ‘’La Fnbs a, certes, un leader qui, de son côté, peut décider de ne pas suivre le mouvement, mais les membres vont suivre leurs intérêts. Parce que si on fait le tour des boulangeries des 14 régions du pays, on se rendra compte qu’elles ont des difficultés. Leurs responsables n’attendent qu’un signal pour arrêter les travaux. C’est ce genre de comportement qui a fait que nous avons quitté la fédération en 2017 pour créer notre regroupement’’, signale le trésorier du Rbs. Parce que, selon lui, ils ont constaté qu’ils avaient un leader qui ‘’n’est ni prêt pour aller en grève ni pour défendre l’intérêt des boulangers’’.

‘’Actuellement, nous sommes en train de discuter avec beaucoup de membres de la fédération qui sont même des dirigeants pour respecter le mot d’ordre. Car c’est la seule solution. Il peut ne pas s’impliquer, mais il n’empêchera pas les gens d’aller en grève. Avant de la décréter, nous avons mesuré les impacts et nous avons coordonné avec tous les responsables des régions. Donc, si l’Etat ne respecte pas ses engagements, nous allons le faire et il sera surpris par l’impact du mouvement’’, affirme M. Gassama.   

Momar Ndao (Ascosen) : ‘’Les boulangers ne respectent pas les Sénégalais.’’

Le président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) lui, pense que ‘’les boulangers ne respectent pas les Sénégalais’’. D’après lui, quand on avait fixé le prix du pain, il y a quelques années, c’est parce que les consuméristes avaient demandé que le prix de la farine soit baissé. Ce que l’Etat avait fait en diminuant 2 000 F sur chaque sac. Il est passé de 20 000 à 18 000 F Cfa. ‘’Quand il y a eu cette baisse-là, on a calculé la répercussion sur le coût du pain. C’est ainsi qu’on avait un pain de 150 F pour 90 g. Depuis cette période, il y a eu beaucoup de baisses. Les boulangers gagnaient bien leur vie, avec des marges et tout marchait très bien. Il y a eu, à un moment donné, la baisse du prix du gasoil ; il n’y a pas eu de baisse du prix du pain’’, évalue Momar Ndao.

En plus, il rappelle qu’il y a eu une deuxième baisse du prix du gasoil ; il n’y a pas eu de baisse. Il y a eu une diminution du prix de la farine qui, du fait de la concurrence entre les meuniers, est passé de 18 000 à 13 500 F Cfa. Malgré cela, il n’y a pas eu de répercussions sur le coût du pain. Ceci même avec la baisse de 10 % de l’électricité.

‘’Donc, les boulangers, pendant très longtemps, ont gagné beaucoup d’argent. Aujourd’hui, il n’y a presque aucun changement, sauf le prix de la farine qui est entre 17 500 et 18 000 F. Ce qui avait permis de fixer le prix du pain à 150 F. La dernière modification qu’il y a eu sur le prix du gasoil est de loin inférieure à celle qu’il y avait, quand on fixait le prix du pain. Alors, qu’est-ce que veulent, ces gens-là ? Il n’y a pas d’augmentation !’’, s’insurge le défenseur des consommateurs. Avant d’indiquer qu’ils refusent ‘’totalement cette velléité’’ d’augmentation des prix annoncée par le Rbs.

‘’En plus, ce n’est pas tous les boulangers. Le Rbs, ce n’est pas la Fnbs. C’est plutôt une partie des boulangers qui veulent aller en grève. Ils n’ont qu’à aller en grève 100 ans, nous ne sommes pas d’accord sur cette hausse’’, conclut M. Ndao.

L’état actuel des négociations

Après des années de guéguerre entre l’ancien ministre de tutelle Alioune Sarr et les acteurs du secteur de la boulangerie, son successeur, l’actuelle ministre du Commerce Aminata Assome Diatta, a organisé, juste après sa nomination, une rencontre avec toutes les parties. Une réunion qui avait débouché sur la signature d’un protocole d’accord, le 18 avril 2019. Ainsi, informe le directeur du Commerce intérieur, il était retenu de mettre en place 3 sous-comités qui devaient travailler sur le prix de la farine, le coût du pain et la réglementation de la boulangerie.

‘’Ils ont eu à travailler pendant deux mois et chaque comité regroupait les représentants des meuniers, des boulangers, de l’Etat et des associations de consommateurs. Sur le secteur de la farine, nous n’avons pas eu trop de difficultés. La structure du prix était déjà connue. La seule nouveauté, à ce niveau-là, c’est l’homologation qui existait en 2014, concernant la farine ordinaire. Entre-temps, il y a eu la farine améliorée’’, renseigne Ousmane Mbaye.

Sur la réglementation aussi, ils ont considéré qu’il fallait assainir le secteur et revenir à l’orthodoxie sur un certain nombre d’éléments. D’où le sens, d’après le Dci, d’un projet de texte qu’ils ont élaboré ensemble. ‘’Pour le troisième élément, on avait aussi abouti sur un projet de décret et d’arrêté. Qui, aujourd’hui, est finalisé par le comité et nous attendons que le Conseil national de la consommation puisse le valider, avant qu’on ne l’introduise dans le circuit. Le seul point de divergence était le prix du pain’’, dit-il.

Au fait, Ousmane Mbaye reconnait que, lorsqu’ils travaillaient sur la structure du prix de la farine améliorée, ils se sont heurtés à deux divergences de vue. ‘’Les boulangers voulaient qu’on change la base de travail sur ce prix, en passant à une production journalière de 10 sacs. Nous leur avons dit, plutôt que d’aller vers un blocage sur le prix de la farine, nous proposons une solution intermédiaire’’, relève le Dci. C’est-à-dire d’aller vers un 4e format, qui devait se vendre à 200 F et dont la distribution être faite ‘’exclusivement’’ dans la boulangerie. M. Mbaye estime que s’ils libéralisent sa vente, il y a des risques de substitution. Les gens peuvent arrêter la production du format social qui existait et ne faire que celui de 200 F.

‘’Les gens étaient d’accord avec cela, jusqu’à la dernière réunion de validation, le mercredi 7 août dernier. Et les gars du Rbs sont revenus pour remettre en cause tout ce qu’on avait fait jusque-là. Ceci pour dire qu’ils veulent qu’on augmente le prix du pain. Nous leur avons dit que ce n’est pas envisageable. Je dois aussi rassurer les consommateurs qu’il y aura du pain. Nous prendrons toutes les dispositions pour qu’ils puissent en disposer. Parce que nous savons, aujourd’hui, qui représente quoi’’, souligne-t-il.

Toutefois, le Dci confirme que leur porte leur est toujours ‘’ouverte’’, pour la poursuite des négociations. ‘’Le prix du pain fait l’objet d’une administration et quiconque veut procéder à sa révision doit passer par l’homologation. Si on ne le fait pas, on enfreint à la loi et nous, nous ferons tout pour que force reste à la loi’’, poursuit M. Mbaye.

Sur ce, il demande aux boulangers de travailler avec la Délégation rapide à l’entreprenariat des jeunes et des femmes (Der), pour mettre à leur disposition des produits financiers. Ceci pour leur permettre de se mettre à niveau, aussi bien dans la partie production que dans la distribution. En même temps, des instructions sont données au Bureau de mise à niveau, dans le cadre du Programme de mise à niveau, pour qu’on y intègre le ‘’programme boulangerie’’.

MARIAMA DIEME

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