Publié le 15 Jan 2020 - 21:14
GREVE DES ENSEIGNANTS DU MOYEN SECONDAIRE

Les syndicats corsent la lutte

 

Le protocole d’accord signé entre les syndicats d’enseignants et le gouvernement tarde à être appliqué. Plusieurs grèves vont meubler le mois de janvier. Selon les syndicalistes, l’heure n’est plus aux discussions, mais au respect des engagements.

 

L’éducation nationale est une fois de plus en eaux troubles. D’ailleurs, la riposte des enseignants, après la conférence de presse du 31 décembre du président Macky Sall, avait annoncé la couleur. Ils ne demandent, ni plus ni moins, que le respect du protocole d’accord signé avec l’Etat du Sénégal le 17 février 2014, et non une augmentation de salaires, comme l’a souligné le chef de l’Etat.

Hier, le G20 (comprenant 27 associations syndicales) a observé un débrayage sur toute l’étendue du territoire, du préscolaire au moyen secondaire, en passant par l’élémentaire. En effet, à part la mise en solde et la formation des enseignants - deux points du protocole d’accord - l’organisation syndicale estime que le gouvernement ‘’refuse’’ d’avancer quant aux autres revendications. A ce sujet, la liste est longue. Le secteur est miné de lenteurs administratives dans la production d’actes d’avancement, d’intégration, de validation et de reclassement. Le gouvernement s’était pourtant engagé à changer la donne, avec une proposition de dématérialisation des procédures au travers de signatures électroniques qui, en une journée, aurait permis de signer des milliers d’actes.

Par ailleurs, l’apurement de la totalité de la dette due aux enseignants (un autre point de l’accord) qui s’élève aujourd’hui à plus de 100 milliards de francs CFA,  peine à se concrétiser. A cela s’ajoute le paiement de rappel au tiers au lieu des deux tiers, comme prévu dans le protocole d’accord. Aujourd’hui, seuls les enseignants décisionnaires bénéficient d’un rappel au deux tiers ; une mesure discriminatoire, selon les syndicalistes.

‘’Vol organisé’’

Néanmoins, la validation au deux tiers de l’ancienneté est actée. ‘’Un système d’imposition a été paramétré pour prendre de l’argent aux enseignants. Ce système n’est pas juste. L’Etat bloque les salaires de ceux-ci et revient quelques années après leur verser un rappel. De ce fait, en nous payant, il nous fait entrer dans une autre grille d’imposition. Le rappel est surimposé. Moi, je dis que c’est du vol organisé, ce n’est pas de l’imposition. Seuls les enseignants sont victimes de cela et l’Etat se justifie en disant que c’est parce que nous sommes les plus nombreux’’, fustige le secrétaire général du Cusems/Authentique et coordonnateur du G20. 

De son point de vue, le point qui dérange le plus le président Macky Sall et son gouvernement n’est autre que la révision du système de rémunération. Pourtant, le chef de l’Etat s’était engagé à corriger toutes les injustices décelées par le cabinet NGP Afrique concernant ledit système, puisqu’il avait lui-même commandité cette étude en 2014. ‘’NGP Afrique a révélé qu’il y a des injustices dans le système de paiement des fonctionnaires du Sénégal. Elles sont très nettes et claires dans le rapport qui a été déposé sur la table du président Macky Sall et il devait donner des instructions pour l’ouverture de négociations inclusives, afin de réparer ces injustices. Mais ce n’est pas le cas. Depuis décembre 2015, il refuse de corriger le dérèglement dans le système de rémunération’’, ajoute-t-il.

A ce jour, même les acquis du secteur se trouvent menacés, à en croire le syndicaliste. C’est le cas du rapprochement de deux conjoints exerçant dans des régions différentes et éloignées. Selon M. Mbodj, tous les précédents régimes ont respecté la vie de famille de ces enseignants, en autorisant l’affectation de l’un des conjoints dans la localité de l’autre. Sauf le ministre de l’Education nationale actuel qui refuse d’approuver cette prérogative, chose qui serait aujourd’hui à la base de bon nombre de divorces. En outre, les affectations arbitraires continuent de fâcher.

‘’Nous avions des acquis au niveau de l’affectation ; elle est arbitraire dans tout le pays. Par exemple, au prytanée militaire de Saint-Louis, 16 enseignants en sont victimes, 27 autres des deux écoles élémentaires de Fann et Dial Diop’’, détaille Dame Mbodj avant de poursuivre : ‘’Nous considérons que le ministère de l’Education est mal géré à cause d’un mauvais casting. Le ministre Mamadou Salla n’a pas une vision claire. Il ne comprend pas le système et cherche juste à sécuriser son poste. L’homme fait dans le pilotage à vue, au lieu de faire bouger les choses’’.

Samedi prochain, se tiendra la plénière des secrétaires généraux du G20, après l’étude des rapports d’assemblées générales des différentes régions. A la suite de cela, l’organisation va décliner sa feuille de route.

L’année scolaire s’annonce perturbée

Ce mois de janvier s’annonce mouvementé, car les deux grands syndicats du secteur adoptent la même démarche. Le G7, cadre des organisations syndicales les plus représentatives (Uden, Saems, Cusems, Sels, Siens…) a déposé un préavis de grève pour les 22 et 23 janvier prochains. Un débrayage la première journée suivi d’une grève totale le second jour, en plus d’une marche à 15 h. Dans ce lot, également, on exige le respect du protocole d’accord datant par contre du 30 avril 2018. Le document comporte les points non appliqués jusque-là, de celui du 17 février 2014 et de nouvelles revendications.

A quelques exceptions près, les revendications sont les mêmes, des deux côtés syndicaux. Il s’agit de la mise à disponibilité des parcelles à usage d’habitat et du paiement des crédits d’EMC ainsi que leur externalisation. ‘’Ce plan d’action fait suite au mutisme du gouvernement depuis plus d’un an, qui a largement dépassé l’ensemble des échéanciers. C’est une alerte et nous espérons que le message sera bien décodé par le gouvernement. On constate que beaucoup de ministères tardent à appliquer les accords, malgré le monitoring du ministre Cheikh Kanté. Aussi, après la sortie du président de la République le 31 décembre dernier, on s’est rendu compte qu’il n’a pas les bonnes informations relatives à nos préoccupations. Si le président n’a pas les bonnes informations, c’est parti pour une année scolaire perturbée’’, explique le secrétaire général du Sels, Souleymane Diallo, membre du G7.

L’organisation espère une rencontre avec le chef de l’Etat qui, désormais, prend seul les décisions, en raison de la suppression du poste de Premier ministre. Si tel n’est pas le cas, d’autres plans d’action suivront, conformément à la logique de lutte.

Un désaccord qui persiste

Aujourd’hui, nul n’ignore la relation entre ces deux cadres syndicaux, parfois tendue, qui souvent interagissent pas presse interposée. Le G20 demande depuis toujours à être pris en compte dans les négociations enclenchées par le gouvernement. Il réclame une reconnaissance et c’est d’ailleurs le premier point de sa plateforme revendicative. ‘’Le gouvernement refuse de parler avec nous, parce que nous sommes minoritaires. Pourtant, malgré ses discussions avec G7 majoritaire, les problèmes demeurent. Cela veut dire que ces échanges n’ont rien donné, raison pour laquelle nous lançons un appel au G7, pour une participation responsable, à venir nous rejoindre dans la lutte. D’ailleurs, ils veulent débrayer, mais puisqu’ils sont majoritaires, c’était à eux de prendre les devants. Est-ce le cas aujourd’hui ?’’, lance son coordonnateur.

Toutefois, leurs collègues plaident pour un resserrement des rangs autour de l’essentiel. Ils disent ne pas être dans une optique de confrontation, comme le confirme Souleymane Diallo. ‘’Nous n’avons de problème avec qui que ce soit. Nous avons été à des élections, nous luttons au nom des enseignants. Chacun est libre de s’organiser et d’engager une lutte. Nous ne sommes pas contre le G20, ni en confrontation avec lui. Aussi, nous revendiquons tous pour les enseignants. Je ne vois pas de raisons pour qu’on soit en confrontation’’.  

Le dialogue social perd du terrain

La présidente du Haut conseil du dialogue national a appelé les deux camps au calme et prévoit des concertations demain jeudi. Pourtant, aucun d’eux n’attend grand-chose de cette rencontre. Les syndicats les plus représentatifs ne pensent pas qu’une rencontre avec le HCDS puisse décanter la situation, parce qu’il joue un rôle de médiateur et est cosignataire du protocole d’accord de 2018 en tant que témoin. En d’autres termes, il n’a pas à sa charge l’application des accords.

Ainsi, cette tranche d’enseignants juge que le Haut conseil du dialogue social doit plutôt demander au gouvernement de respecter ses engagements. ‘’Innocence Ntap Ndiaye a mélangé deux concepts. Elle ne sait pas faire la dichotomie entre dialogue social et les négociations collectives.  Le dialogue social est inclusif et tous les acteurs sont impliqués. Par contre, les négociations collectives concernent juste l’employeur et l’employé’’, assène-t-on du côté du G20. 

L’université Assane Seck de Ziguinchor entre dans la danse

Comme si les turbulences du secteur de l’éducation nationale ne suffisaient pas, le Syndicat autonome des enseignants du supérieur/Section Ziguinchor est en grève depuis lundi. Pour cause, l’absence de mesures d’accompagnement des nouveaux bacheliers résumée en trois points : l’amélioration conséquente du budget, les infrastructures et le recrutement d’enseignants chercheurs. ‘’Actuellement, au sortir des échanges avec le rectorat et le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, il a été retenu l’orientation de 3 000 nouveaux bacheliers. Or, à ce jour, il y a exactement 3 446 bacheliers inscrits. Ce chiffre date du 7 janvier’’, explique Ndiémé Sow, Coordonnatrice adjointe du Saes/Section Ziguinchor. Le surplus d’étudiants rend difficile le démarrage des cours, vu l’insuffisance de salles et le nombre limité de professeurs.

Selon Mme Sow, ‘’sur les 10 chapiteaux prévus pour accueillir cet effectif double, seulement trois ont commencé à être construits. Les travaux de construction des 16 amphis sont aux arrêts. Le budget de l’université, d’environ 4,7 milliards, n’a augmenté que de 200 millions. Pourtant, le ministère nous a fait savoir que les 30 postes dont il gérait les salaires dépendent désormais de l’université’’. De son analyse, les enseignants de l’université Assane Seck de Ziguinchor ressentent une certaine frustration face aux promesses du ministère de tutelle jamais respectées. ‘’Même si nous voulons démarrer, nous ne pouvons pas, vu les conditions de travail. Rien que l’élaboration des emplois du temps pose problème. Nous avons cette volonté de pacification de l’espace universitaire, nous voulons participer à cet effort de l’Etat qui a choisi d’orienter tous les bacheliers dans le public. Mais cela est impossible actuellement’’.

Le syndicat prévoit, demain, une assemblée générale et un point de presse.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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