Publié le 23 Jan 2020 - 01:39
GUERRE DE POSITIONNEMENT DANS LE DIALOGUE

Zizanie nationale

 

Après l’opposition, la guerre de positionnement fait également des dégâts dans la société civile et chez les non-alignés. La majorité, seul groupe jusque-là épargné, doit rire sous cap de la zizanie au sein des différentes entités qui composent le dialogue.

 

A ce rythme, le dialogue national finira par tuer tous les grands ensembles qui existaient dans l’arène politique, voire non politique. Après le Front de résistance nationale (FRN) dont l’unité a rudement été mise à l’épreuve, c’est au tour des non-alignés et de la société civile de faire les frais de ces concertations qui viennent à peine d’être lancées.

Hier, à la réunion de la Commission politique du dialogue national, les premiers se sont signalés, de manière assez surprenante, pour récuser celui qui fait jusque-là office de coordinateur du groupe. ‘’Il agit seul ; il choisit qui il veut ; il nomme qui il veut ; il désigne qui il veut ; il va dans les plateformes publiques, dans les médias, au ministère de l’Intérieur, partout’’, peste Babacar Ndir qui se définit comme le coordonnateur adjoint du groupe.

A l’origine de leur rébellion, le choix de certains partis devant siéger au Comité de pilotage du dialogue national. Monsieur Ndir explique : ‘’La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est surtout le dernier décret du président (portant nomination de 40 nouveaux membres, NDLR) dans lequel deux nouveaux représentants ont été choisis dans nos rangs, sans aucune concertation préalable. C’est le coordonnateur qui les a choisis dans un coin, alors qu’on devrait procéder par élection.’’

Pire, ajoute-t-il, ces gens ne sont même pas fonctionnels et ils ne sont pas membres de la Commission politique. ‘’Nous pensons que c’est de l’abus et c’est pourquoi nous en sommes arrivés à ce stade, car Déthié Faye veut prendre en otage notre pôle’’.

En fait, suite à la publication du premier décret relatif à la nomination des membres du Comité de pilotage du dialogue national, les non-alignés avaient 5 représentants, là où les autres entités politiques en avaient 7. Ils avaient ainsi demandé que l’égalité soit rétablie et que leurs deux représentants supplémentaires leur soient restitués. Et, comme par hasard, dans le dernier décret, deux nouveaux membres issus de leurs flancs ont été retenus par le chef de l’Etat, selon Ndir.

Mais, rectifie Déthié Faye : ‘’Ces gens ignorent ou feignent d’ignorer que le décret en question portait sur des propositions de Famara Ibrahima Sagna et non des entités. L’administration pourra vous le confirmer. La requête que nous avions introduite pour demander l’octroi de deux nouveaux membres suit toujours son cours.’’

Dans tous les cas, les frondeurs ont l’air décidé à aller jusqu’au bout de leur croisade. Aujourd’hui, ils contestent la légitimité même de celui dont la coordination est pourtant reconnue depuis 2017. Selon eux, ce dernier s’est autoproclamé coordonnateur du groupe des non-alignés. ‘’Il a profité du fait que le véritable coordonnateur (Amadou Sène Niang) n’était pas disponible. Comme il est un peu âgé, nous l’avons laissé faire’’, s’indigne l’adjoint au coordonnateur.

Chez le coordonnateur contesté, on rit sous cap, avant de donner des conseils à la jeune garde qui veut mettre la pagaille dans l’ordre préétabli. ‘’Ces gens n’ont rien compris. Ils pensent que tout est question d’argent. Lors de la dernière élection présidentielle, ils ont failli se tuer en se battant pour une question d’argent remis par un leader politique. C’est des jeunes ; ils devraient aller chercher du travail, au lieu de chercher des prébendes, à voir la couleur de l’argent dans tout ce qui bouge’’, fulmine Déthié Faye.

A l’en croire, cette agitation n’est pas du tout fortuite et qu’il y a des mains qui sont derrière ces jeunes. Il déclare : ‘’Quand quelqu’un se lève un beau jour et pose de tels actes pour un pôle qui en est arrivé à ce niveau de crédibilité, c’est parce qu’il agit pour l’affaiblir. Ce qui montre qu’il y a des ennemis qui sont derrière. Dans tous les cas, nous, nous travaillons pour le Sénégal, quelle que soit la situation.’’ Aussi, le coordonnateur contesté donne rendez-vous aux partis de sa mouvance dans les tout prochains jours, pour trancher le différend. ‘’Ce problème ne peut se régler qu’en assemblée générale. Nous allons la tenir la plus rapidement possible pour montrer qui est qui. Nous sommes en train de voir si on peut la tenir dès ce samedi. Il faut savoir que le coordonnateur ne représente pas seulement les participants au dialogue, mais tous les partis’’.

Il devra, en tout cas, batailler ferme, puisque, si l’on en croit son adjoint, 16 des 20 représentants des non-alignés de la Commission politique contestent son leadership. Il faut aussi rappeler qu’avant même cette fronde, un autre membre du groupe, en l’occurrence Amsatou Sow Sidibé, avait claqué la porte du dialogue national, sans en donner le motif de son départ.

Enjeux de pouvoir et d’argent

Par ailleurs, ce vent de révolte causé par le dialogue national ne semble épargner aucune entité. Même la société civile en fait les frais. En effet, le Forum civil, à travers son coordonnateur, n’a eu de cesse de réclamer la reconstitution de la Commission politique du dialogue national. La section sénégalaise de Transparency est, en effet, intéressée par le dialogue politique. Implicitement, si la volonté du Forum civil est suivie, il y a, au moins, des membres de la société civile qui siègent dans ladite commission et qui en seraient exclus. Mais pour le moment, le vent semble tourner en faveur de ces derniers. Le Comité de pilotage n’ayant pas encore acté cette proposition.

Toutefois, derrière toutes ces guerres de positionnement, il y a des enjeux de pouvoir et d’argent. La quête de per diem pour certains, celle de postes pour d’autres, ont fini de polluer l’atmosphère au-dessus du dialogue national. Pourtant, le président du Comité de pilotage, Famara Ibrahima Sagna, semblait flairer le coup, en inscrivant sa participation sous le sceau de l’austérité. Ce qui est loin d’être partagé par certains participants qui tirent le diable par la queue.

Le Forum civil, pour sa part, a dû rédiger une lettre pour renoncer à tous les per diem dont ses membres auraient droit.

Mais, au-delà de la ‘’perdiemisation’’, les gens s’interrogent aussi sur les multiples convoitises dont fait l’objet la Commission politique. Pourquoi le Forum civil veut à tout prix entrer dans cette commission ? Pourquoi les membres de cette commission veulent à tout prix fermer la porte de cette entité à d’autres participants ? Pourquoi les non-alignés commencent à se livrer la guerre en leur sein ? Voilà autant de questions en suspens qui, à en croire des observateurs avertis, mériteraient d’être passées au peigne fin.

A tort ou à raison, certains soupçonnent des querelles de leadership en vue d’un éventuel gouvernement d’ouverture pour la mise en place des conclusions du dialogue national.

Accusé d’escroquerie, les non-alignés se défendent

Par ailleurs, la guerre de positionnement au sein des non-alignés soulève la lancinante question de la légitimité de cette entité composée, pour l’essentiel, de formations généralement inconnues de la majorité des Sénégalais. Président du Parti pour la démocratie, la citoyenneté et la République, Babacar Ndir est aussi revenu sur cette critique. A l’en croire, ‘’c’est même le maillon fort dans les concertations. Partout où il y a des difficultés, quand l’opposition et le pouvoir se tiennent, ce sont les non-alignés qui permettent de décanter la situation. Sans l’existence de ce pôle, il n’y a pas de dialogue possible’’.

A ceux qui disent que c’est de l’escroquerie, puisqu’ils ne participent à aucune élection, il rétorque : ‘’Faut-il créer des partis uniquement pour participer à des élections ? Un parti, c’est aussi un projet de société, des idéologies, la conscientisation des masses. Les partis ont donc d’autres raisons d’être que de participer à des élections.’’

Selon le président du Parti pour la démocratie, la citoyenneté et la République, on ne saurait lui reprocher de ne jouir d’aucune légitimité et d’être là juste pour des prébendes. Car, soutient-il, ‘’moi, je suis professeur ; j’enseigne le français et la philosophie. On ne peut me dire que je suis en quête uniquement de prébendes. Ma formation philosophique ne me permet pas d’avoir des intérêts pécuniaires. Notre démarche est purement désintéressée’’. Et d’ajouter : ‘’Quand vous avez 70 ans pour avoir un parti, vous n’avez pas d’ambition. Nous, nous sommes des jeunes qui avons de l’ambition pour notre pays, qui avons des activités. Nous avons choisi ce métier pour rendre hommage à mes professeurs qui ont fait de moi ce que je suis devenu.’’

MOR AMAR

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