Publié le 27 Sep 2018 - 07:31

Guidance islamique pour un parrainage responsable

 

« Il dit[1] : ‘Mets sous mon autorité l’intendance du pays[2], je suis bon gardien et bon connaisseur’» (Coran 12 : 55)

« L’une des deux[3] dit : ‘Ô mon cher père, engage-le car il n’est pas meilleur à engager que celui qui est fort et digne de confiance’» (Coran 28 : 26)

 

Introduction

Le texte de loi sur le parrainage relativement aux élections présidentielles de 2019 au Sénégal est effectif et le processus est en cours. Dans la même optique que ce que nous avons fait lors des élections législatives de 2017, il s’agit de proposer une réflexion sommaire de nature éthique sur la base des enseignements de l’islam. Cela est d’autant plus pertinent que plus de 90% des populations qui vont parrainer un ou une candidate se réclament de cette religion. A notre sens, pour rester humaine, la politique doit nécessairement restée connectée à l’éthique d’où vient la question principale de cette contribution : « Dans l’islam, quels sont les enseignements éthiques pour un acte de parrainage responsable ? » Notre démarche consiste à nous préoccuper aussi bien du candidat ou de la candidate au parrainage que du citoyen ou de la citoyenne qui est en droit de l’accorder ou non.

Du devoir de présenter une demande de parrainage sincère

A travers sa demande de parrainage, il s’agit pour l’intéressé(e) d’obtenir l’acte citoyen qui lui permet selon la loi, de pouvoir se présenter aux élections présidentielles de 2019.[4] A cette fin, Il est attendu de l’intéressé(e) qu’il (elle) soit sincère avec les citoyens dont il (elle) sollicite l’accord de parrainage. Dans la morale islamique, cette vertu cardinale de sincérité est nommée « sidq » qui est le contraire du mensonge « kazib »[5] Cela implique que l’intéressé(e) au parrainage qui veut respecter cette vertu se doit d’être prêt(e) à aller jusqu’au bout de sa sollicitation sauf contrainte imprévue, à savoir, solliciter le suffrage universel quand le processus de l’élection présidentielle sera mis en branle. Ce serait une lourde faute morale pour l’intéressé lui-même au sens de sa relation à Dieu qui abhorre le mensonge et la tromperie mais aussi un grand préjudice à l’égard d’autrui.   

En droite ligne de ce qui précède, le(la) candidat(e) respectueux(se) des enseignements de l’islam, de son pays et de ses compatriotes n’a pas besoin ni ne doit adopter une quelconque attitude pouvant inciter au désordre, à la violence,  ou à tout autre comportement qui ne favorise pas un déroulement serein et pacifique des opérations de parrainage ou compromet une égale participation à celles-ci des intéressé(e)s qui remplissent les conditions requises.

Un des comportements les plus blâmables et les plus irresponsables d’un candidat ou d’une candidate au parrainage réside dans la distribution d’argent, preuve d’un manque de respect notoire du citoyen ou de la citoyenne considéré(e) comme un ventre affamé ou un cupide qui vend son acte de parrainage. Or, un(e) intéressé(e) au parrainage qui agit de telle sorte montre déjà son vrai visage de fossoyeur de la citoyenneté et de la démocratie authentique au sens où le citoyen ou la citoyenneté est incité à « marchandiser » ce qui par définition et par la loi n’a pas de prix[6]. Qu’est-ce qui peut empêcher ce genre de candidat ou de candidate machiavélique pour qui le citoyen ou la citoyenne est juste un moyen qu’il peut soumettre à des fins inavouables devenu président de la république, de continuer à considérer que tout peut s’acheter y compris son propre pays et d’agir dans ce sens avec les moyens de l’Etat et de ses réseaux ? La foi sincère au Coran devrait protéger musulmans et musulmanes de cette forme d’idolâtrie du pouvoir : « Dis : ‘Seigneur, maitre de la royauté[7], Tu accordes la royauté à qui Tu veux, et en dépossèdes qui Tu veux. Tu élèves qui Tu veux et Tu rabaisses qui Tu veux. Le bien réside en Ta main et Tu es Tout Puissant’ » (Coran 3 : 26)

Même s’il ne s’agit pas de volonté de marchandisation de l’acte citoyen de parrainage, il peut être question d’une autre forme de tentation : le candidat ou la candidate au parrainage qui se ment à lui (elle)-même et aux citoyens et citoyennes. En effet, cela se produit quand l’intéressé(e) au parrainage sait bien qu’il (elle) n’a pas les compétences, le parcours, les expériences, la volonté de justice et d’équité et autres critères à minima pour gouverner un pays comme le Sénégal face aux défis et la complexité du monde actuel. Convoqué par le roi d’Egypte de son temps, Joseph[8] (paix sur lui) lui donne la bonne interprétation de ses rêves répétés ainsi que des indications techniques sur ce qu’il fallait faire pour prévenir une insécurité alimentaire dans le pays[9]. Puis, étant désormais sûr de la confiance que lui témoigne le roi, Joseph (paix sur lui) se dit prêt à assumer la fonction d’intendant d’Egypte : « Le roi dit : ‘Amenez-le[10] moi, car je compte le réserver à mon service exclusif.’ Après avoir parlé avec lui, il dit : ‘Tu as acquis dès aujourd’hui auprès de nous une position d’autorité et de confiance. Il[11] dit : ‘Mets sou mon autorité les entrepôts[12] du pays, je suis très bon gardien[13] et très bon connaisseur» (Coran 26 : 54-55)

Du devoir de poser un acte de parrainage responsable

Autant le candidat ou la candidate au parrainage a le devoir de présenter une demande de parrainage sincère autant le citoyen ou la citoyenne a le devoir de poser un acte de parrainage responsable. Car il y va du respect de soi et de notre bien commun qu’est le Sénégal. Dans ce cadre, les citoyens qui sont sollicités pour accorder leur parrainage ont le devoir d’identifier les intéressé(e)s qui seraient impliqués dans des comportements condamnables et dont le parcours et les aptitudes ne semblent pas appropriés en rapport avec ce qu’on est en droit d’attendre d’un candidat ou d’une candidate à la candidature aux élections présidentielles de février 2019. Il leur revient alors de prendre la décision appropriée car parrainer ce genre de candidat ou de candidate participe d’un acte de complicité irresponsable et dangereux pour qui se respecte et aime son pays.

Ce devoir de sanction est décisif en ce qu’il fait ressortir la liberté et le droit citoyen à parrainer assorti d’une haute conception de la responsabilité y afférente. Il est vrai que la pauvreté, la vulnérabilité, le manque de perspectives, l’absence d’éducation citoyenne, l’ignorance des enjeux politiques nationaux, etc., ne favorisent pas un acte de parrainage vraiment libre et responsable. Toutefois, il reste que le citoyen ou la citoyenne qui le veut, dispose toujours d’une marge de liberté et de conscience irrépressibles pour faire un choix adossé à un profil qui lui semble le plus susceptible de se présenter à la candidature à l’élection présidentielle de 2019. Il faut en finir avec l’infantilisation des citoyens par les mauvaises pratiques politiques mais aussi à l’acceptation de celle-ci par le citoyen ou la citoyenne lui (elle)-même. Cette notion de responsabilité individuelle est omniprésente dans le Coran[14].

Exercer son droit citoyen de parrainage, de façon responsable, requiert un minimum d’informations sur le profil, les compétences, les expériences, et les aptitudes du candidat ou de la candidate au parrainage le tout en rapport avec la fonction de premier gouvernant et responsable des affaires du pays. Et parrainer un individu, c’est lui donner une chance de pouvoir postuler à ce poste important pour le pays. On a vu que Joseph (paix sur lui) a fait montre de certaines aptitudes en matière d’intendance, ce qui a convaincu le roi qui lui confiera le poste y afférent. Moïse (paix sur lui) va faire de même quand assis, exténué devant un puits, il voit deux femmes à l’écart. Il s’enquiert de leur situation, comprend leur vulnérabilité et les aide de façon désintéressée.[15] Suite à ce comportement altruiste d’une exemplarité rare, une des sœurs recommande à son père de l’engager à s’occuper de l’exploitation familiale : « L’une des deux dit : ‘Ô mon cher père, engage-le car il n’est pas meilleur à engager que celui qui est fort et digne de confiance’ » (Coran 28 : 26)  

Tout le monde peut se rendre compte de l’intuition aigue de cette dame qui a en quelque sorte parrainé Moïse (paix sur lui) pour qu’il trouve emploi chez son père. Il se trouve que le parrainage de la dame en faveur de Moïse (paix sur lui) est informé par le comportement de ce dernier à leur égard : i) observation de la situation des parties prenantes autour du puits, ii) collecte d’information auprès des deux dames à l’écart ; iii) prise de connaissance de leur vulnérabilité ; iv) assistance à personnes dans le besoin ; iv) retour à place initiale sans rien attendre en retour de son geste. Ce récit coranique est plein d’enseignements pour qui cherche une source d’orientation pour un parrainage responsable.

Il est irresponsable de se trouver des excuses du genre « Je suis obligé… », « Je ne peux lui dire non… », pour poser un acte de parrainage en faveur d’un candidat ou d’une candidate dont on sait qu’il (elle) n’a pas le profil pour la candidature à l’élection présidentielle de 2019. Au sujet du suivisme, le Coran renvoie dos à dos les imposteurs qui se faisaient obéir et leurs adeptes[16], de même qu’il incite à la réflexion, à la vérification, à l’argumentation, et jamais à la soumission aux passions et aux habitudes de groupe.  Il est donc clair que les enseignements de l’islam conduisent à soutenir que le parrainage est un acte sérieux qu’il faut poser pour un profil supposé avoir les compétences techniques et un engagement moral convainquant pour gouverner le Sénégal. Le droit de parrainer ne suffit pas pour élire des gouvernants qui contribueront de façon significative à l’avènement d’une société sénégalaise où prévalent la justice et l’équité. Il faut en plus, un supplément de responsabilité morale dans l’acte de parrainage en tant que tel. Car, ne l’oublions jamais, la loi en vigueur fait que parrainer une personne, c’est contribuer à la positionner pour être candidate à l’élection présidentielle avec tout ce que cela implique. 

Ahmadou Makhtar Kanté

Imam, écrivain et conférencier

amakante@gmail.com

Fait à Dakar, le 25/09/2018 – Muharram 1440H

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