Publié le 5 Mar 2020 - 19:24
GUY MARIUS SAGNA

Les non-dits d’une libération 

 

Même saluée, la liberté provisoire accordée, avant-hier, à Guy Marius Sagna, n’en est pas moins gênante pour certains puristes du droit qui estiment que le droit a été chassé du prétoire par la politique.

 

C’était devenu une patate très chaude entre les mains du gouvernement. Les manifestations s’intensifiaient ; des organisations internationales de défense des Droits de l’homme commençaient à s’intéresser au dossier ; les avocats s’apprêtaient à saisir la Cour de justice de la CEDEAO devenue bête noire des juges sénégalais dans bien des dossiers célèbres. Mais le clou de cette lutte a été, sans nul doute, la mobilisation, vendredi dernier, devant le Camp pénal de Liberté 6. Ils étaient nombreux à retrouver, enfin, l’espoir quant à une libération prochaine de leur camarade Guy Marius Sagna. Mais rares étaient prêts à parier que les choses iraient aussi vite. C’est-à-dire en seulement 4 jours. Comme dans les affaires Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall, tout est allé très vite.

En fait, ce que bon nombre de Sénégalais ignoraient, c’est qu’au même moment, les négociations allaient bon train entre acteurs politiques. Au-delà même du cadre formel du dialogue national. D’ailleurs, à ce propos, un avocat de Guy Marius Sagna témoigne que la dernière lettre incendiaire du leader de Frapp France Dégage n’a pas du tout été fortuite. Mieux, il certifie que Maitre El Hadj Amadou Sall est même allé au Camp pénal pour rencontrer l’ex-détenu, avec la bénédiction du doyen des juges. C’était suite à sa constitution par le Front de résistance nationale (FRN). ‘’Moi qui vous parle, je vous assure qu’un confrère, à qui je voue beaucoup d’estime et de respect, s’est rapproché de moi pour me demander, suite à notre deuxième demande de liberté provisoire qui a été rejetée, d’en introduire une autre en la signant par son nom. Il était sûr qu’il obtiendrait gain de cause et je ne sais pas pourquoi. Je l’ai envoyé paître’’, insiste-t-il.

Auparavant, deux autres requêtes avaient été introduites, mais se heurtaient, à chaque fois, au niet catégorique du parquet. A en croire la robe noire, rien n’a changé, en termes de droit, dans les arguments de la défense. ‘’La seule chose qui a changé, c’est la donne politique. La deuxième fois, nous avons même fait appel devant la chambre d’accusation qui a rejeté notre demande’’.

Selon l’avocat, cette affaire a été mise sur la table par le Front de résistance nationale qui a exigé la libération de l’activiste. ‘’Comme il fallait y mettre les formes, on a mandaté un avocat pour introduire à nouveau une demande de liberté provisoire. Peut-être ils se sont dit que le conseil des avocats constitué depuis le début n’accepterait pas d’être complice de cette machination de la justice’’, regrette la robe noire dépité.  

Ainsi court-circuités, les avocats, tout en se réjouissant de la libération de leur client, promettent de poursuivre le combat sur le plan international, pour exiger l’arrêt pur et simple des poursuites.

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La méthode Sall

D’abord Karim Wade, ensuite Khalifa Ababacar Sall, maintenant Guy Marius Sagna. L’Etat, mis en ballotage, trouve toujours le bon prétexte pour se débarrasser des colis gênants.  

Cette libération surprise et en catimini de Guy Marius Sagna, est loin d’être un cas isolé. Parmi les dernières en date, il y a celle de Karim Wade, ensuite Khalifa Ababacar Sall, entre autres. A chaque fois, la politique a chassé le droit du prétoire, selon beaucoup d’observateurs. A chaque fois, l’Etat a eu sa robe noire pour octroyer à son ‘’adversaire’’ ce que le droit lui avait pourtant dénié.

Dans le dossier Guy Marius Sagna, c’est le dissident du Parti démocratique sénégalais, par ailleurs plénipotentiaire du Front de résistance nationale au dialogue politique, qui a été le déclencheur de la libération controversée. N’en déplaise aux défenseurs de l’orthodoxie. En fait, précise le spécialiste du droit, toutes ces affaires ont la particularité d’avoir été des affaires d’Etat. ‘’Et l’Etat n’invoque la raison d’Etat que quand il n’a pas raison. On dit souvent que force reste au droit. Mais, en vérité, il faudrait plutôt dire que force reste à la force. C’est l’Etat qui, à travers la machine judiciaire implacable, écrase qui il veut. Et, à chaque fois, il faut des forces politiques pour desserrer l’étreinte. C’est frustrant, dans un Etat de droit’’.

Pour rappel, dans l’affaire Karim Wade, il a fallu une entrevue secrète entre Macky Sall et l’ancien coordonnateur adjoint du PDS, pour préparer la libération de l’ancien candidat, suite au dialogue national. Ce, malgré les déclarations du concerné affirmant qu’il n’a pas introduit de demande de grâce. Mais, à l’époque, Maitre Madické Niang, qui était au cœur des tractations, a dû faire le nécessaire pour faire recouvrer la liberté à son client et camarade de parti. Pour le cas Khalifa Ababacar Sall, c’est plutôt Maitre Khassimou Touré qui a été l’artisan du boulot.

Mais pourquoi tous ces gens ont accepté de sortir de prison, s’ils n’étaient pas consentants ? L’avocat de GMS rétorque : ‘’Quand vous êtes dans une prison, quand l’Etat souhaite vous en sortir, que cela vous plaise ou non, vous allez sortir de la prison. De la même manière que vous y entrez manu militari, on vous vire manu militari.’’

Par ailleurs, ces différents cas ont aussi montré que le régime du président Sall ne lâche du lest que quand il se retrouve en ballotage. Dans l’affaire Karim Wade, il a fallu attendre plus de trois ans, avant de libérer l’homme fort du Parti démocratique sénégalais. Auparavant, plusieurs composantes de la nation, dont les religieux, avaient plaidé en faveur d’un desserrement de l’étau, mais sans succès. Avec les décisions qui pleuvaient sur le plan international, l’Etat du Sénégal, condamné sur tous les fronts, avait fini par céder, en accordant la grâce au fils de l’ancien président Abdoulaye Wade.

Idem pour les affaires Khalifa Sall et Guy Marius Sagna dans lesquels les mobilisations citoyennes conjuguées à la pression de personnalités de renommée internationale ont fini par payer. Aussi, à chaque fois, l’Etat a su trouver le bon prétexte et le bon moyen pour se donner le bon rôle.

‘’Le racolage est interdit dans cette profession’’

L’irruption de Maitre El Hadj Amadou Sall dans le dossier Guy Marius Sagna n’a pas fait que des heureux. Elle a même irrité certains défenseurs de l’activiste qui ont jugé son attitude discourtoise. ‘’Certaines manières de faire sont indignes d’un avocat. Un avocat digne de ce nom doit attendre qu’on le constitue. On peut accepter de défendre une personne gratuitement. Mais on ne doit jamais entrer dans le dossier de quelqu’un sans y être invité. Soit par lui-même, soit par l’avocat qu’il a mandaté. Le racolage est interdit, dans cette profession. C’est le sommet de l’abomination, de la honte. L’honneur l’interdit, la décence ne le commande pas et la délicatesse le condamne’’, peste un des avocats de Guy Marius Sagna.

Cette condition, selon lui, est fondamentale. Dans tout dossier, renchérit-il, quand vous trouvez des avocats déjà constitués, vous devez impérativement les informer et demander leur avis. ‘’Le camarade en question n’a saisi ses confrères, même pas par les moyens modernes de communication. C’est un peu frustrant. Qu’on le dise ou non. D’autant plus que cela vient d’un excellent confrère qui a duré dans le métier’’. 

MOR AMAR

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