Publié le 18 May 2017 - 22:48
HAMADY BOCOUM - MUSEE DES CIVILISATIONS NOIRES

‘’Il n’y a aucun stress sur les collections’’

 

Historien de formation, Hamady Bocoum a été directeur du patrimoine puis de l’institut fondamental d’Afrique noire. Aujourd’hui, il est l’administrateur du nouveau musée des civilisations noires. A l’occasion de la journée internationale des musées fêtée ce jour, il a accepté de dévoiler les grandes lignes de la politique que lui et son équipe comptent mener pour faire de cet espace un  véritable lieu de rendez-vous.

 

C’est quoi un musée ?

Il y a une définition assez standard de l’Icom (ndlr conseil international des musées) qui dit que c’est une institution qui a pour vocation d’acquérir des collections, de les préserver et de les mettre à la disposition du public. On peut faire des développements en se demandant c’est quoi une collection, c’est quoi le patrimoine d’un musée, c’est quoi le public d’un musée. Cela varie d’un lieu à un autre mais c’est un format global que tout le monde peut s’approprier. Par exemple, ici sur la notion des publics, très clairement, nos musées ont des problèmes. Nous ne venons pas dans ces musées. Parce que le musée ethnographique, d’une certaine manière, est un avatar des expositions coloniales. Je crois que nos populations voient à travers les musées ethnographiques des musées de la nostalgie. Je crois qu’il faut changer le discours, y compris les objets. Il ne s’agit pas ici de les exclure des musées mais il faut avoir un discours, une médiation par rapport à ces objets-là afin d’y amener les publics. Je pense que ce sera une des questions centrales autour de laquelle nous allons travailler ici.

Que comptez-vous faire exactement au musée des civilisations noires ?

Nous comptons impliquer les publics dans ce que nous allons élaborer. Nous mènerons même des enquêtes auprès des différents publics en travaillant d’ailleurs sur l’expérience vécue des musées qui sont là pour voir quelles sont les attentes. Il y a un certain nombre de choses qui sont basiques mais auxquelles il faut tenir compte. Aujourd’hui, c’est le numérique qui est au-devant de tout. Il y aura un immense recours au numérique non seulement pour la reconstitution d’un certain nombre de choses mais pour le guidage. Je pense que dans l’idéal, ceux qui vont venir visiter le musée avec leurs Smartphones, ils vont pouvoir avoir tous les commentaires sans qu’on ait besoin de leur dire quoi que ce soit. On va essayer d’amener au musée des publics qu’on n’y voit jamais. On va commencer par les talibés, les gens de la banlieue, etc. Que va-t-on faire en direction de ces publics ? On a prévu d’avoir un muséobus qui ne sera pas comme celui de l’Armée. Il aura des écrans ''leds'' et ira dans la banlieue, dans les régions avec des médiateurs culturels. On va faire des expositions, organiser des visites virtuelles et discuter avec les gens pour ensuite les amener ici en travaillant, par exemple, avec les collectivités locales.

Pourquoi insistez-vous sur les technologies de l’information  et de la communication ?

Les gens de ma génération ont été éduqués par leurs grands-parents. Aujourd’hui, dans les maisons, c’est la télévision, l’internet qui sont les grands-parents. Les enfants connaissent les histoires de la France, de Christophe Colomb du bout des doigts grâce à ces technologies. Le futur de la tradition, de nos valeurs, c’est d’être conté dans les langages qui conviennent aujourd’hui. Si on ne maîtrise pas le multimédia dans la transmission du message, rien ne va passer. Ce qui fait que ce musée a été construit dans la dualité. On a ce qu’on appelle des galeries fermées, classiques qu’on retrouve dans tous les musées, et des galeries ouvertes. Elles sont des espaces de rencontres, ludiques. On va amener des publics qui vont entrer en contact avec ceux qui font des performances. On veut vraiment créer un concept nouveau en prenant le risque de nous tromper. Il n’y a pas de problème. Je n’ai pas besoin d’assurance. J’ai juste besoin de savoir exactement où je vais, avec quels moyens j’y vais et si je me trompe, je saurai sur quoi je me suis trompé et on va revenir en arrière.

En termes de contenus, que sera le musée des civilisations noires ?

On a décidé, au niveau de la conférence internationale de préfiguration, d’un certain nombre de choses. On sait déjà ce que le musée ne sera pas. Il ne sera pas un musée ethnographique, donc un méga Théodore Monod. Il ne sera pas un musée anthropologique. On a vu que cela a créé énormément de difficultés. On en parlera mais ce ne sera pas l’essentiel. On ne va pas être un musée chromatique, c’est-à-dire un musée des Noirs. On ne va pas non plus être un musée subalterne, c’est-à-dire qu’on ne va copier absolument personne. Que sera-t-on alors ? C’est la grande question. On veut être un musée des civilisations noires dans le temps du monde. C’est-à-dire que le Noir ne va pas être essentialisé mais historicisé. La situation du Noir à travers l’espace et le temps n’a pas toujours été la même. On n’a pas toujours été les derniers de la classe. Il y a des contributions importantes du monde noir au patrimoine universel de l’humanité. Donc, on partira des ces spécificités pour aller à l’universel. C’est le premier élément. Le second élément, c’est qu’on veut que cela soit un espace où le public ne sort pas déprimé mais fier avec une forte estime d’eux-mêmes.

On veut que ce soit un espace où on cultive l’estime de soi. On veut également que ce soit un espace où on regarde devant et non pas avoir le regard figé sur le rétroviseur. Le passé est important en tant que recours. Il faut connaître le passé pour mieux vivre le présent et le projet. On sera hier, aujourd’hui et demain. On va complètement changer nos scénographies. Ce musée va être construit autour de consensus. Ce n’est pas un musée du Sénégal ou de l’Afrique. C’est un musée des civilisations noires dans le temps du monde. On a trouvé ce premier consensus lors de la conférence internationale de préfiguration. Maintenant on va organiser des ateliers de conceptions. Le principe reste le même. On fera venir des experts des différentes séquences qui seront retenues. Ils vont se rencontrer ici. Ils vont réfléchir sur les contenus. Pour nous, contenus, ce n’est pas l’idéal mais le possible. On connaît l’idéal mais on sait qu’on ne l’aura jamais.

L’idéal serait quoi ?

Ce serait d’avoir les spécimens authentiques. On sait qu’on ne les aura pas tous. Mais on peut les montrer autrement à travers les multimédias, les virtuels, des copies, etc. L’idée, c’est de partir de ça mais de ne pas rester dans le rétroviseur. Quand on parlera de l’Afrique berceau de l’humanité, je crois que la conclusion logique serait que nous sommes partout chez nous sur cette terre. L’Homme vient d’Afrique et c’est le même qui a colonisé toute l’humanité. La diversité culturelle aussi, ce sera ça. Il faut qu’on accepte nos différences pour être mieux ensemble. Pour encore mieux dé chromatiser le musée, on a prévu une séquence qui va s’appeler le dialogue des masques. Tous les peuples à travers le temps ont crée des masques qui souvent disent la même chose, même s’ils ne s’expriment pas de la même manière. Il y aura également des sessions rencontres au cours desquelles les civilisations noires vont rencontrer d’autres civilisations. Le musée sera aussi un espace de réflexion prospective et d’exploration des questions de notre temps.

Où en êtes-vous dans l’acquisition de collections pour le musée ?

Cela va être un très long processus. On est très heureux comme on est parce qu’on n’est pas victime ni prisonnier d’une collection. Les questions dont on a parlé sont des questions qui ne nécessitent pas d’avoir une collection fixe. Ici, on ne sera pas dans ce qu’on appelle les expositions permanentes classiques. Ce serait totalement déraisonnable de penser qu’on peut, dans une exposition permanente, présenter la diversité culturelle du monde noir. Nous, le monde noir qui nous intéresse est celui qui est en mouvement. Les collections seront acquises au fur et à mesure qu’on va monter des expositions. On est en relation avec de nombreux musées comme Théodore Monod. On a signé une convention avec le musée de Quai Branly.

On va vers une convention avec Tervuren (ndlr musée royal de l’Afrique centrale).  L’idée, c’est d’être en mouvement permanent. L’atelier de conception qu’on va faire résoudra ces questions. Il va identifier l’idéal et le possible. Par exemple, pour l’Afrique berceau de l’humanité, l’idéal serait d’avoir Toumaï (ndlr : c’est le nom donné à un crâne fossile de primate découvert en 2001 au Tchad). Il ne sort jamais. Il est dans un coffre. On pourra avoir peut-être des objets liés à Toumaï que le Tchad peut nous prêter ou des objets liés à Lucy qu’on peut avoir en Ethiopie ou alors le bébé de Taung qu’on peut avoir en Afrique du Sud. Cela va fonctionner module par module, jusqu’à l’art contemporain. On va en parler. On va très certainement exposer Ousmane Sow ici. La dynamique est de ne pas être victime ou prisonnier des collections. Que celles qu’on ne peut pas avoir reste à leurs places. On sait où on va. L’idée, c’est d’être totalement libre. Aujourd’hui, les collections africaines les plus importantes sont en Europe. Si vous voulez compter sur elles pour exposer, vous allez être prisonnier. Vous n’aurez même la liberté sur le discours. On veut être libres nous. Il n’y a aucun stress sur les collections.

Quand on parle de musée d’art comme Théodore Monod, cela renvoie à quoi exactement ?

Il est la plus vieille institution muséale de Dakar, pas du Sénégal. Parce que dans les années 1850, Faidherbe avait créé un petit musée à Saint-Louis. Le musée Théodore Monod a une histoire liée à la colonisation et à l’institut français d’Afrique noire. C’était l’institution fédérale qui recevait toutes les collections qui venaient de toute la fédération et le CRDS de Saint-Louis jouait un peu le rôle de musée local pour le Sénégal. Ce qui fait que les collections sénégalaises sont plus à Saint-Louis qu’à Dakar. Ceci dit, il a une histoire, des collections qui rendent comptent de cela et bien sûr il a une force ethnographique. Son histoire rend également compte de la perception un peu passéiste que nous avons du musée. Je l’assume quand je le dis parce que j’ai aussi été directeur de l’Ifan. Donc, d’une certaine manière je suis aussi responsable de ce musée. Mais dans ce musée, on n’a pratiquement aucune collection d’art contemporain.

C’est comme si on s’est fossilisé quelque part et qu’on s’est transformé en gardien des collections reçues. Il faut bien sûr préserver les collections, les garder. Mais il est très utile de les approfondir. Raison pour laquelle d’ailleurs, j’ai recruté un historien de l’art pour essayer de rattraper ce gap. On n’a pratiquement rien sur la grande école de Dakar dans le domaine de l’art contemporain. C’est comme si l’art africain, ce n’est que ce qui a été collecté pendant la période coloniale. C’est une vision extrêmement réductrice. Il en est de même pour l’artisanat. Il y a eu beaucoup de productions qu’on n’a pas gardées. Theodore Monod est quand même une institution importante dans le paysage muséal sénégalais et que le travail qui est en train d’être fait par le nouveau conservateur est exceptionnel, notamment au niveau des politiques culturelles.

Ne faudrait-il pas l’autonomiser afin qu’il puisse mener une bien meilleure politique surtout dans la gestion ?

Ce sont des questions qui sont très intéressantes parce que j’ai exploré en tant que chercheur différentes options, puis en tant que directeur. Quand vous êtes de l’autre côté, c’est assez facile de dire ‘’il faut, il faut, il faut’’. Entre l’idéal et la réalité juridique des choses, il y a extrêmement d’écueils. Les musées sont en réalité sous la responsabilité du directeur de l’Ifan qui délègue des conservateurs. A l’université, il y a un agent comptable qui gère et les recettes doivent lui être rendues. Il y a ce qu’on appelle la fonction de service qui peut être une opportunité pour changer un certain nombre de choses. L’Ifan est en train de réfléchir sur sa réforme, sa gouvernance.

Je pense qu’à l’occasion, ils vont trouver une formule qui ne permette pas d’alléger la tutelle parce que cela n’a pas de sens. La tutelle ne peut pas être agressive à l’université. On a une gouvernance plutôt horizontale. On est entre pairs. Je pense que dans le travail qui est en cours, on arrivera à ça. Dans la politique menée actuellement par le conservateur, l’accent n’est pas mis dans la collecte de recettes mais plutôt sur le faire-faire et le partenariat. Le musée est en train de faire peau neuve, des dépenses que certainement l’institution ne serait pas capable de faire. Je pense que c’est une expérience intéressante qu’il faut regarder de très près. 

BIGUE BOB

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