Publié le 18 Aug 2020 - 00:42
IMPACT DE LA PANDEMIE SUR LE TOURISME A SAINT-LOUIS

Un secteur à l’agonie 

 

La pandémie de coronavirus tue à petit feu toute l’économie de la ville de Saint-Louis. Avec ses 86 cas positifs de Covid-19, presque toutes les activités de la ville sont à l’arrêt. Le tourisme, l’un des principaux secteurs pourvoyeur d’emplois de la zone, est à l’agonie.  Plongeant la majeure partie de la population dans le désespoir et la souffrance.  

 

Jamais Saint-Louis n’avait présenté ce visage de ville déserte, voire morte. Il plane un peu partout dans les ruelles de ses deux mythiques quartiers (Nord et Sud) une ambiance sinistre. Une atmosphère que la ville n’a sans doute jamais connue. A quelques mètres de l’autre côté du fleuve, Sor offre le même décor. La pandémie de la Covid-19 a complément transformé le quotidien de la ville tricentenaire. Une petite promenade dans ces beaux quartiers permet de découvrir une ville tombée en léthargie où toutes les activités fonctionnent au ralenti. Les effets des mesures de restriction prises pour contenir la pandémie sont passés par là. Ndar est vide de son monde.

En ce vendredi 9 août, les 11 cas de Covid-19 issus de la transmission communautaire, dans le bilan quotidien de la vieille ville, occupent toutes les discussions. Le mot d’ordre est la vigilance. Déjà, le port du masque est de rigueur dans les rues. Mieux, la population s’est presque auto-confinée, comme en témoigne ce silence de cathédrale dans les rues, alors qu’il est l’heure de la prière du vendredi. La ville a des airs de tristesse. Elle est sans embouteillage et sans klaxon. Mais surtout sans ses calèches transportant des touristes en promenade, qui font le charme de l’île.

Les activités économiques sont totalement à l’arrêt. Le secteur du tourisme est parmi les plus touchés.  Hôtels, discothèques, restaurants et bars ont presque tous fermé leurs portes. Les vendeurs d’objets d’art qui étalaient leurs marchandises au seuil de la porte du géant bâtiment abritant la gouvernance, à la descente du pont Faidherbe, ne font plus partie du décor de cette partie de l’île. Ils ont tous plié bagage, en attendant des temps meilleurs. Seules quelques-unes des nombreuses galeries et autres boutiques d’objet d’art restent encore ouvertes.

Mamadou Seck en tient une à l’entrée de la rue Blaise Diagne du quartier Nord. Contrairement à beaucoup de ses collègues qui ont préféré mettre la clé sous la porte, en attendant la fin de la pandémie, lui a décidé de rester sur place, au grand bonheur des rares clients. ‘’Nous avons une boutique de souvenirs pour les touristes et les Sénégalais qui voyagent souvent et qui ont besoin d’acheter des cadeaux.  Mais tout est à l’arrêt, depuis le mois de mars. C’est très difficile. Plus rien ne marche dans le secteur du tourisme. Personnellement, je ne peux pas arrêter. Je dois payer le loyer de la boutique. Et qui sait ? Peut-être que mon bailleur aussi compte sur moi pour vivre. C’est pourquoi je ne peux pas abandonner’’, explique-t-il, tout en continuant de siroter sa tasse de thé.

Le marchand ajoute qu’il est difficile d’évaluer les pertes enregistrées. C’est surtout la non-tenue de certaines activités culturelles majeures qui fait mal. ‘’L’annulation du festival de jazz et de la foire artisanale de Saint-Louis a beaucoup impacté notre secteur. C’est certes difficile pour les boutiques de souvenirs, parce qu’on recevait beaucoup de visiteurs, mais c’est encore plus dur pour les artistes qui profitaient de ces évènements pour écouler leurs produits. On s’en remet à Dieu’’, se désole-t-il.

Le Français Philippe, gérant de discothèque : ‘’A l’île, tout le monde mange la misère’’

Comme Mamadou Seck, cet expatrié français, qui tient un dancing dans l’île, n’oubliera jamais la pandémie venue semer le désordre dans ses activités professionnelles. Sa célébrée discothèque Nulle part ailleurs ne fait plus danser. Alors très fréquentée par les touristes et autres adeptes du Saint-Louis by night, la discothèque a été obligée de mettre la clé sous le paillasson, depuis le début du mois de mars.  N’ayant plus de revenus et dépité de voir, impuissant, ses 45 000 euros d’investissement (soit près de 30 millions de francs CFA) réduits à néant, le Français a décidé tout simplement de transformer le dancing en restaurant. ‘’L’Etat a proposé des subventions sous des garanties personnelles, mais les boites de nuit n’en ont pas droit. Nous n’avons droit à rien, zéro, alors que nous avons des charges. J’ai un loyer de 500 mille francs à payer. Je n’arrive plus à payer mon loyer, encore moins le personnel. La trésorerie est à 0. Le président dit qu’il faut payer les employés à 70 %. Mais on fait comment pour les payer, si tout est fermé et qu’on n’a droit à aucune subvention. Nous n’avons aucune aide sociale, ni pour les boites de nuit ni même pour nos familles.  Je ne paie plus mon loyer à la maison. Je ne mange même plus. Les sacs de riz ont été distribués, mais on ne nous a même pas consultés pour voir si on en a besoin, parce qu’on est des Français au Sénégal’’, martèle-t-il.

L’air dépité, il ajoute : ‘’J’avais 5 employés ; je n’en ai plus qu’une qui travaille à mi-temps, à 45 mille francs le mois. Tout le reste est à la maison. Je n’ai plus besoin de DJ, parce que les gens n’ont plus la tête à danser. On a transformé la boite de nuit en restaurant, puisque j’ai un Ninéa et un registre de commerce qui me le permettent. Mais personne ne vient manger. La ville est vide. Il n’y a aucun restaurant qui s’en sort, actuellement à Saint-Louis.  Je ne sais pas à Sor, mais à l’île, tout le monde mange la misère’’, peste-t-il. Cet expatrié français digère très difficilement les pertes causées par la pandémie dans son secteur, comme en témoigne le ton de son discours rempli de rancœur et d’amertume.

‘’En termes de chiffre d’affaires, je peux dire que j’ai perdu ma vie. J’ai 45 mille euros d’investissement, soit 30 millions de francs. Et malgré la diminution des tarifs avec des prix bars-restaurant au lieu de discothèque, je n’arrive même pas à couvrir mon loyer. Je ne paie pas mon loyer de 500 mille francs, parce que je n’ai même pas le chiffre correspondant’’, se désole-t-il. La déception se lit sur son visage.  Sa mine renfrognée montre qu’il accepte difficilement sa nouvelle situation.  Philippe demande ainsi d’alléger davantage les mesures et d’apprendre à vivre avec le virus pour ne pas mourir de ses effets collatéraux.

D’ailleurs, il estime qu’il faut relativiser les choses, concernant la dangerosité de la maladie. ‘’Si on prend le taux de mortalité de la malnutrition des enfants dans le monde, c’est 900 mille et là, personne ne s’en soucie. Je ne vois pas un Etat, ni en Afrique, ni en Europe, ni ailleurs s’en soucier. Et on peut parler des suicides, de bien d’autres taux de mortalité où personne ne s’en soucie. Je pense qu’il faut relativiser les choses. On doit vivre avec les virus. La Covid est là, vivons avec. Prenons nos responsabilités en tant qu’entrepreneurs pour qu’on arrive à subsister, parce que nous sommes des personnes avec des employés, des chefs de famille. Je n’osais même pas appeler mes employés pour leur souhaiter bonne fête de Tabaski. Impossible de le faire, car il n’y a ni un salaire de 70 %, ni avance de Tabaski ni rien. Ils sont dans la misère. Mais je n’en suis pas responsable. Personne n’en est responsable, ni l’Etat ni eux les salariés’’, argue-t-il.

Il se montre très pessimiste pour l’avenir. ‘’On n’a pas de solution et on n’a pas de visibilité, surtout sur l’avenir. L’Etat ne nous dit rien. On ne sait pas si on peut rouvrir ou réintégrer notre personnel, tout en respectant les mesures barrières. On est dans une sphère où on n’a aucune visibilité pour nos entreprises, pour nos employés, pour nos familles’’.

La fermeture des frontières aériennes avec l’Europe empire la situation

Comme Philippe, nombreux sont les expatriés européens venus investir dans le secteur du tourisme ou des loisirs dans la ville de Saint-Louis et qui subissent actuellement les effets collatéraux de la pandémie sur ce secteur. Le Suisse Martin Durîg a investi dans la zone du Gandiol, non loin de la ville de Mame Coumba Bang.

Depuis 1996, il exploite le campement Zébrara logé dans le parc des oiseaux de la Langue de Barbarie. La réserve accueille chaque année des centaines de touristes. Mais avec la survenue de la pandémie et la décision de l’Etat de fermer les parcs nationaux, le campement est vide. ‘’Nous sommes dans une situation un peu particulière. Nous sommes dans le parc national de la Langue de Barbarie et l’Etat a décidé de fermer les parcs, depuis le 15 mars. On nous a donc obligés de fermer. Le 21 juillet dernier, on nous a donné l’autorisation d’ouvrir. Ce qui veut dire que durant trois mois, on n’a pas travaillé, mais on a décidé de continuer de payer les salaires avec nos épargnes. Comme on n’avait pas beaucoup d’employés, ce n’était pas aussi compliqué’’, explique-t-il.  

Cependant, la décision de l’Etat d’ouvrir les parcs nationaux avec l’allègement des mesures de restriction, n’aura finalement pas de grands impacts sur la reprise de l’activité économique du parc. La fermeture des frontières aériennes avec certaines destinations et l’application de la réciprocité envers l’Europe paralysent le secteur.

En effet, l’essentiel des touristes qui visitent le Sénégal provenant des pays de l’Union européenne, l’interdiction des vols vers ces destinations se fait énormément ressentir dans le tourisme et les activités connexes. ‘’On a rouvert, mais la clientèle reste rare, à cause de la fermeture des frontières aériennes avec l’Europe. La clientèle locale vient petit à petit, mais nous comptons plus sur celle étrangère pour fonctionner. L’Italie et l’Espagne sont en période de grandes vacances et on recevait l’essentiel de nos touristes de ces deux pays qui ne peuvent plus venir. Il y a aussi l’annulation du festival Saint-Louis Jazz qui a impacté sur le secteur, avec l’annulation de beaucoup de voyages et, par conséquent, de plusieurs réservations d’hôtel’’, fait savoir Martin Durîg.

A l’instar de l’hôtellerie, le secteur de la restauration aussi souffre des mesures de restriction. En effet, dans la ville tricentenaire, la fermeture des frontières avec l’Europe se fait sentir jusque dans les menus des restos. Les plats ont été adaptés aux goûts et préférences locaux, pour attirer la clientèle autochtone. Même les prix ont été revus à la baisse dans certains complexes. Mais rien n’y fait. La clientèle est presque introuvable. ‘’On est en crise. Ça ne marche vraiment pas. Pour payer les salaires, c’est un tout un problème. La crise sanitaire s’est gravement répercutée sur le tourisme et les chiffres d’affaires ont drastiquement chuté. A cause de la fermeture des frontières avec l’Europe, tout est devenu très difficile. Heureusement, la clientèle locale vient, même si c’est à compte-gouttes’’, fait savoir Amar Sy, gérant du restaurant du complexe le Flamingo.  

Un arrêt brutal en pleine saison touristique

Les activités connexes du tourisme souffrent du blocage du secteur. Outre l’hôtellerie et la restauration, les agences de voyages aussi sont gravement impactés par l’arrêt des voyages, surtout ceux vers l’Europe. La situation est d’autant plus difficile que l’arrêt, au mois de mars, a été brutal et est intervenu en pleine saison. Surtout avec la préparation du festival international de jazz de Saint-Louis et de la foire des arts. Deux évènements majeurs dans l’agenda culturel et touristique de la ville.

C’est donc un manque à gagner énorme qui a été enregistré par les acteurs qui investissent dans le tourisme et ses activités connexes. C’est le cas pour les agences de voyages. ‘’Il faut savoir que beaucoup de nos rentrées de fonds proviennent de la billetterie. Et avec la fermeture des frontières, les voyages sont devenus rares. En plus de cela, il y avait les grandes entreprises partenaires telles que la Saed, la Compagnie sucrière sénégalaise et l’université Gaston Berger qui participaient souvent à des colloques ou séminaires à l’international. Maintenant, tout cela est stagnant. Il n’y a presque plus de déplacement. En plus, le tourisme ne fonctionne plus. Ce qui fait que les agences de voyages sont très impactées par la crise’’, regrette Adama Sow, gérant du service Amadeus de l’agence Saint-Louis Jeunesse Voyage installée au quartier Nord.

Selon M. Sow, l’autre problème des agences de voyages, c’est le désordre noté dans le secteur.  En effet, la reprise des vols pour certaines destinations est accompagnée, indique-t-il, d’annulations à la dernière minute à cause de nouvelles mesures intempestives. ‘’Les frontières sont certes rouvertes pour certains pays, mais il y a un problème entre les réalités sur le terrain et celles sur les plateformes de vente. Par exemple, les compagnies peuvent proposer des billets, mais une fois à l’aéroport, le voyageur se rend compte que le vol a été annulé à la dernière minute ou bien qu’il n’est pas autorisé à voyager’’, regrette-t-il. Autant de facteurs qui font que cette petite agence qui, indique-t-il sans publicité, faisait un chiffre d’affaires de 100 millions, n’arrive plus à vendre plus de deux billets par mois.  

ABBA BA

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