Publié le 11 Apr 2020 - 23:40
IMPACTS ECONOMIQUES COVID-19

Le grand défi de l’entreprise sénégalaise

 

Plongée dans un coma profond, l’économie sénégalaise, malgré les nombreuses mesures prises par le gouvernement, risque de vivre l’une des pires tragédies de son histoire, à cause de la pandémie de Covid-19.

 

Déjà en fin mars dernier, 3 % de perte de croissance projetée. Une baisse drastique des transferts des migrants prévue. Plus de 33 milliards de F CFA de moins-values de recettes constatées. Des milliers de travailleurs au chômage ou en congé forcé. La Covid-19 n’en finit pas de dicter sa furie à l’économie sénégalaise et à ses acteurs, impuissants face à l’ennemi invisible.

Frappé de toutes parts, l’Etat refuse de jeter les armes. Il multiplie les actions dans le cadre de son plan de résilience, pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être. Comment, dans ce contexte marqué par un arrêt quasi-total de l’activité économique ? D’où il pourrait tirer la manne de 1 000 milliards de F CFA pour faire face à la crise ? Les services du ministère des Finances et du Budget précisent : ‘’Les partenaires techniques et financiers se sont engagés à hauteur de 586 milliards de F CFA. Et il y aura un recadrage budgétaire de quelque 400 milliards de F CFA. Ce qui permettra à l’Etat de mobiliser les ressources nécessaires à la mise en œuvre de ce plan de résilience.’’

Ainsi, l’Etat veut, à tout prix, stopper l’hémorragie. Mais la mission s’avère ardue. Le gouvernement, ne maitrisant pas la durée de cette crise, ne saurait ni en déterminer l’impact réel ni son ampleur… Un économiste témoigne : ‘’Plus la crise sanitaire va durer, plus il faudra des moyens. L’efficacité des mesures dépendra de la durée de la crise. Elle dépendra aussi, bien entendu, de la mise en œuvre et du critère ciblé des dépenses publiques.’’

Une crise contagieuse

En attendant, certaines entreprises souffrent terriblement. Rien que dans le secteur touristique, on parle de pertes qui vont avoisiner les 250 milliards de F CFA. Dans les transports urbains, les projections font état d’environ 80 % de pertes de recettes. Pendant ce temps, le transport aérien est quasi à l’arrêt. Mais il serait illusoire de penser que ces secteurs sont les seuls à souffrir de cette situation. Même si ces derniers sont les plus exposés, les décisions prises dans le cadre de la gestion de cette pandémie vont impacter tout le monde, soutient le directeur exécutif de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes). Mor Talla Kane explique l’effet de diffusion.

A l’en croire, cet effet va prolonger, loin du premier secteur impacté, les contreperformances sur des acteurs situés soit en amont soit en aval. Car, argumente-t-il, les secteurs économiques ne sont pas isolés ; et plus ils sont intégrés, plus une crise qui les frappe produira une onde de choc à large spectre. Dès lors, conseille M. Kane, il faudra être prudent dans la détermination des secteurs touchés par la crise. ‘’Un secteur peut être le premier impacté sans être le plus impacté. Et lorsqu’il faudra soutenir les secteurs ou filières, il faudra tenir compte de bien des facteurs : la fragilité des entreprises, l’effet d’entrainement sur d’autres secteurs, la localisation géographique, etc.’’. A titre illustratif, il cite l’enseignement privé qui est également en train d’agoniser et ne semble pas être le centre d’intérêt du gouvernement. ‘’Je regrette qu’on n’en parle pas assez, alors qu’il constitue le principal sujet de préoccupation dans d’autres pays’’, fulmine le patron.

Le patrimoine entrepreneurial sénégalais menacé de disparaitre

Traditionnellement, ces entreprises rencontraient déjà pas mal de difficultés dues notamment à l’accès aux financements. ‘’Habituellement, analyse l’économiste, les grandes banques ne financent que les grandes entreprises. En plus de ce problème, avec cette crise, les PME seront aussi confrontées à un manque de débouchés. Nous pouvons en dire de même des travailleurs de l’informel. Voilà des pans très importants de notre économie qui risquent d’être sérieusement ébranlés’’.

Si l’on en croit Mor Talla Kane, ceci est loin d’être une simple vue de l’esprit. Et c’est d’autant plus grave que ces entreprises sont essentiellement composées de capitaux nationaux et risquent carrément de disparaitre à cause de la crise. Il déclare : ‘’Aujourd’hui, nous avons beaucoup de craintes pour les PME qui sont très fragiles, peu armées et qui risquent de subir de plein fouet cette crise. Or, ces dernières sont dans leur quasi-totalité des entreprises nationales. Et si on n’y prend pas garde, leur chute signera la disparition d’un pan entier du patrimoine entrepreneurial sénégalais. Ayons cette lecture fine de la crise, parce qu’il y aura un après Covid-19 et le pays devra repartir avec un secteur privé national.’’

Le problème, de l’avis de l’économiste, est que le gouvernement ne dispose pas de mécanismes efficaces pour toucher la grande partie de l’économie : PME, PMI, secteur informel. ‘’Il faudrait peut-être un réseau de banques pour financer ces catégories d’acteurs, parce que partout dans le monde, les grandes banques financent les grandes entreprises’’.

Le port et l’aéroport, ces mamelles en souffrance

Plateformes économiques essentielles, le port de Dakar ainsi que l’aéroport Blaise Diagne sont aussi presque à l’arrêt. Si le transport de passagers a connu un arrêt total, depuis le mois dernier, celui des marchandises a connu un grand ralentissement. Ce transitaire, qui a préféré garder l’anonymat, confie : ‘’Certes, nous continuons de fonctionner, mais c’est vraiment au ralenti. On peut dire que notre activité est réduite à plus de 60 %. Et la plupart des containers qui arrivent étaient déjà en route, il y a longtemps. Les choses risquent ainsi d’être plus dures dans les jours et semaines à venir.’’ En plus, signale-t-il, les procédures au niveau du port prennent beaucoup plus de temps à cause du respect des gestes barrières. Les autorités portuaires et les compagnies ont dématérialisé toutes les procédures de paiement et il y a beaucoup plus de formalités.

Le casse-tête de la sauvegarde de l’emploi

Face au drame social, les patrons tentent de se défendre et invoquent la perte de toutes les recettes. Pour le directeur exécutif du Cnes, la préservation des emplois est une préoccupation permanente pour le chef d’entreprise ou tout au moins devrait l’être. Saluant les mesures prises par le chef de l’Etat visant à préserver l’emploi, il déclare : ‘’Il s’agit d’une mesure salutaire que presque tous les pays ont adoptée, compte tenu de la crainte de voir la crise économique qui se profile derrière la crise sanitaire, jeter dans la rue des milliers de personnes sans emploi, donc sans revenu. Ce serait une grosse menace sur la stabilité politique et sociale dans beaucoup de pays, au-delà même des aspects strictement humains.’’

Toutefois, prévient Mor Talla Kane, il faudrait trouver le juste équilibre entre cette dimension humaine et la pérennisation de l’activité des entreprises. ‘’En un mot, analyse le responsable patronal, il se pose simplement la soutenabilité des décisions’’. Selon lui, il faut juste que l’écosystème de l’entreprise lui assure un circuit d’approvisionnement et d’écoulement pour pouvoir produire. ‘’La production, fait-il savoir, n’est pas une fin en soi. Maintenant, il est sûr que la décision de l’Etat va conforter nombre d’entreprises qui, sans cela, auraient supprimé des emplois en surnombre. Elles pourront assurer leur survie et participer à la construction d’une demande intérieure robuste à travers le maintien des revenus pour une sortie de la crise par le haut’’. 

Le casse-tête de la sauvegarde de l’emploi

Face au drame social, les patrons tentent de se défendre et invoquent la perte de toutes les recettes. Pour le directeur exécutif du Cnes, la préservation des emplois est une préoccupation permanente pour le chef d’entreprise ou tout au moins devrait l’être. Saluant les mesures prises par le chef de l’Etat visant à préserver l’emploi, il déclare : ‘’Il s’agit d’une mesure salutaire que presque tous les pays ont adoptée, compte tenu de la crainte de voir la crise économique qui se profile derrière la crise sanitaire, jeter dans la rue des milliers de personnes sans emploi, donc sans revenu.

Ce serait une grosse menace sur la stabilité politique et sociale dans beaucoup de pays, au-delà même des aspects strictement humains.’’

Toutefois, prévient Mor Talla Kane, il faudrait trouver le juste équilibre entre cette dimension humaine et la pérennisation de l’activité des entreprises. ‘’En un mot, analyse le responsable patronal, il se pose simplement la soutenabilité des décisions’’. Selon lui, il faut juste que l’écosystème de l’entreprise lui assure un circuit d’approvisionnement et d’écoulement pour pouvoir produire.

‘’La production, fait-il savoir, n’est pas une fin en soi. Maintenant, il est sûr que la décision de l’Etat va conforter nombre d’entreprises qui, sans cela, auraient supprimé des emplois en surnombre. Elles pourront assurer leur survie et participer à la construction d’une demande intérieure robuste à travers le maintien des revenus pour une sortie de la crise par le haut’’. 

LE PLAN DE RESILIENCE EN QUESTION

Pour faire face à la crise, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a pris une batterie de mesures qui visent à ôter les entreprises du joug des banques, mais en ignorant royalement les ménages aussi préoccupés par l’arrivée des échéances, en ces temps de pandémie.

Et comme si le sort s’acharnait sur le monde de l’entreprise, les échéances au niveau des banques n’attendent pas. Tirant le diable par la queue, plusieurs chefs d’entreprise sont tenaillés entre le marteau de la crise et l’enclume des banquiers. Ils sont nombreux à implorer la bienveillance des banques pour assurer leur survie.

Dans nos précédentes éditions, les hôteliers regrettaient un harcèlement de la part de ces dernières et les accusaient d’un manque de patriotisme. Accusés de défaut de patriotisme en ces temps d’union nationale, les banquiers se défendent. ‘’En réalité, les banques, depuis le 1er janvier 2018, sont liées par le nouveau dispositif prudentiel applicable aux établissements de crédit. Avec cette nouvelle réglementation, la banque ne peut plus faire certaines faveurs, même si elle le désire. C'est devenu extrêmement compliqué avec un contrôle strict de la BCEAO et de la Commission bancaire’’, informe Ababacar Sy Diagne, cadre dans une banque de la place.

Concrètement, renseigne le spécialiste, avec le nouveau dispositif prudentiel, un compte qui a un engagement (crédit) s’il enregistre un impayé de 90 jours, la banque est obligée de rompre la relation contractuelle. Il en est de même pour les comptes qui n’ont pas connu de mouvement créditeur pendant 3 mois.

Mais cet obstacle d’ordre législatif semble être levé par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) depuis le 2 avril. Dans son avis n°005-04-2020, l’institution invitait les établissements de crédit à un report des échéances pour les entreprises. Mais deux limites se dressent face à la mise en œuvre de cet avis, selon M. Diagne.

D’une part, la mesure n’est pas contraignante. Les établissements de crédit ayant la faculté de l’appliquer ou de ne pas l’appliquer. D’autre part, il y a les clients, personnes physiques, qui ont été zappés par la BCEAO, alors qu’ils subissent, eux aussi, de plein fouet la crise.

Le F CFA, ce frein aux ambitions des Etats

A ce rythme, l’après crise risque d’être aussi difficile que la crise. Et à ce niveau, les banques centrales auront un rôle capital à jouer, si l’on en croit l’économiste. Il déclare : ‘’Tout dépendra de l'attitude des autorités monétaires. La BCEAO peut jouer le rôle de prêteur, en dernier ressort, pour garantir la liquidité des banques, voire la solvabilité de certaines d'entre elles.’’ Mais, s’empresse-t-il de s’interroger, ‘’la question est de savoir jusqu'où la BCEAO peut aller, vu qu'elle est encore sous tutelle et que les banques de l'UEMOA sont pour la plupart multinationales...’’.

 

En cette phase de crise, l’économiste estime que les pays africains n'ont, en principe, aucune contrainte financière dans leur propre monnaie. ‘’Ils peuvent financer eux-mêmes tout ce qui s'achète dans leur propre monnaie. Ils n’ont pas besoin de l'aide extérieure ou de prêts extérieurs pour cela. Il faut juste que les banques centrales jouent le jeu’’, ajoute-t-il. Fervent défenseur de la souveraineté monétaire, il affirme que cette question est fondamentale. ‘’Quand on a cette souveraineté, la question où trouver de l’argent (c'est-à-dire des chiffres inscrits sur des comptes bancaires) ne se pose pas. Ce qu’on se demande, c’est plutôt quels instruments utiliser pour atteindre tel ou tel autre impact. Dans le cas africain, nous tendons la main, parce que notre souveraineté monétaire est limitée’’.

MOR AMAR

 

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