Publié le 22 Nov 2019 - 22:08
INCLUSION FINANCIERE

Quand les banques sucent les consommateurs

 

Face à la cherté des services et au déficit de confiance, plus de 80% des populations âgées de plus de 15 ans se sont détournées des banques classiques. Le non-respect des mesures de gratuité de la Bceao, la pression sur les candidats au départ, le diktat de certaines banques… Voilà quelques thèmes abordés, hier, dans le cadre de la semaine de l’inclusion financière organisée chaque année par l’institution financière.

 

De nombreux Sénégalais préfèrent thésauriser leur argent dans leurs maisons, leurs boutiques, ou des endroits offrant peu de conditions de sécurité, plutôt que de le confier aux établissements de crédit. La confiance envers ces derniers, surtout des banques, est au plus bas, du fait notamment de la cherté des coûts des services bancaires. Alors que les banques classiques sont là depuis avant les indépendances, elles ne parviennent, aujourd’hui encore, à ne capter qu’à peine 20% des populations âgées de 15 ans ou plus.

Pourtant, en 2014, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest avait pris des mesures fermes pour rendre moins onéreux 19 services bancaires de base (voir encadré), en vue de promouvoir l’inclusion financière. Après plus de cinq ans de mise en œuvre, les clients pleurent toujours. Les banques se sucrant sur leur dos. Le constat du président de l’Association des clients et sociétaires des institutions financières du Sénégal (Acsif) est sans appel. Il peste : ‘’Ce que je puis vous assurer, c’est qu’aucune banque ne respecte l’intégralité des 19 mesures. Il y en a qui sont à 80%, d’autres à 50%, d’autres à 25%... C’est ce qui fait que le taux de bancarisation a du mal à dépasser les 20%’’.

Pourtant interpellé hier, dans le cadre de la semaine de l’inclusion financière, le directeur national de la Bceao, Ahmadou Al Aminou Lo, soutenait qu’elles sont nombreuses les banques à respecter la nouvelle règlementation. Pour les récalcitrants, il met les clients face à leurs responsabilités. ‘’A chaque fois que nous sommes saisis de manquements, nous prenons des mesures appropriées. Ce qui est important, c’est que les citoyens doivent connaitre leurs droits. Ainsi, ils pourront les défendre devant qui de droit. L’évaluation de cette mesure sur les services bancaires de base se fait tous les jours. Si un client constate que sa banque ne la respecte, il faut le signaler à la banque centrale et on sévira’’.

Ces propos sont balayés d’un revers de main par le défenseur des usagers des banques. Famara Cissé déplore le manque de réactivité : ‘’Nous avons eu à saisir la Bceao, à maintes reprises. Mais, je vous assure que rien n’a été fait. C’est dans le propos et je le défie. Je vais vous donner un exemple très concret, vous allez à la SGBS que je cite nommément, les sms et mails y sont facturés à hauteur de 800 francs. Alors que, dans les mesures de gratuité, il est clairement indiqué que ces avis devront être gratuits’’...

Il est temps, selon lui, que les banques matérialisent ces règlements de 2014 pour qu’on puisse passer à la deuxième phase de gratuité. Laquelle doit concerner des aspects comme les taux d’intérêt, les frais de dossiers, les agios…

Le silence coupable de l’Etat

Présente à la cérémonie officielle de lancement de la semaine de l’inclusion, la ministre en charge de la Microfinance, de l’Economie sociale et solidaire, Zahra Iyane Thiam, s’est contentée, elle, de constater les efforts réalisés dans ce domaine. Elle tente de rassurer les consommateurs : ‘’Tous les acteurs sont dans une dynamique de s’assoir autour d’une table pour voir les voies et moyens d’améliorer les services bancaires, en tenant compte des contraintes de chaque partie. Avec cette dynamique de concertation, il est possible de réussir des choses, comme le Maroc l’a fait. C’est-à-dire de mettre sur le marché des taux d’intérêt et frais bancaires acceptables pour tous. Nous allons discuter de toutes les questions et voir les modalités de leur opérationnalité. Dans les prochains jours, vous verrez le plan d’action allant dans ce sens’’.

Pour Zahra Iyane Thiam, l’inclusion financière est une nécessité de développement. Il ne saurait y avoir émergence, si tout le monde ne participe pas à la création de richesses, si des compatriotes demeurent exclus de tout le système formel. ‘’Il nous faut, insiste-t-elle, aller vers la  prise en charge de toutes les couches, particulièrement les femmes et les jeunes. Aussi, l’inclusion n’a d’effet que si elle est répartie sur toute l’étendue du territoire. Il est donc très important d’essayer de couvrir davantage les zones rurales. A ce titre, la digitalisation est effectivement un moyen de booster le taux de bancarisation’’

Toutefois, il faudrait surtout éviter de faire des amalgames, prévient Monsieur le directeur national de la Bceao au Sénégal. Les services bancaires de base, selon lui,  ne se sont pas encore intéressés aux commissions. A l’en croire, la Bceao est en train d’étudier la question. C’est le cas par exemple des certificats de non engagement. ‘’Nous sommes d’accord que c’est trop cher et sommes en train de discuter avec les établissements pour les faire baisser’’.

‘’La Beceao doit s’attaquer aux opérations injustement surfacturées’’

Pour ce cadre d’une banque de la place, la Bceao n’est pas allée jusqu’au bout de la logique. ‘’Elle doit s’attaquer aux opérations injustement surfacturées. Par exemple, pour l’attestation d’engagement et de non engagement, c’est un simple document qu’on peut obtenir après deux clics. Pour l’obtenir, il faut débourser jusqu’à 70 000 parfois. Alors à quoi bon de dire la gratuité d’un compte, puisque pour clôturer, la banque va te demander cette attestation’’. Il souligne également certains services comme la carte bancaire, le chéquier, le sms banking… En fait, explique-t-il, ces attestations sont indispensables parfois pour passer d’une banque à une autre. A défaut de la clôture, le compte continue automatiquement à générer des intérêts débiteurs, agios…

A propos des attestations d’engagement toujours, les montants avancés par Famara Cissé sont simplement effarants. Il donne quelques exemples. Selon lui, Ecobank pose énormément de soucis à ses clients, et ceux parmi eux qui avaient souscrit à des actions ne parviennent pas à recevoir des dividendes. Une autre banque qui pose problème à ses usagers, c’est la Cbao. Pour quitter la banque, c’est la croix et la bannière. Elle va vous soutirer énormément d’argent. Les montants vont jusqu’à 115 000 francs Cfa. A la SGBS, c’est encore pire. C’est 85 750 francs multiplié par deux. Autrement dit, c’est 175 500 francs. A la Bicis, c’est presque 200 000 francs pour changer de banque. Voilà les genres de pratiques qui ne favorisent pas l’inclusion financière.

Par ailleurs, face à l’échec des banques classiques qui ont du mal à dépasser le seuil des 20% de bancarisation, la Banque centrale a essayé de développer des mesures palliatives. D’abord, dans les années 1990-94, il a été promu la microfinance avec notamment les mutuelles d’épargne. Les résultats n’avaient d’ailleurs pas tardé. ‘’Cela nous a permis de faire un grand bond en avant. Par exemple, au Sénégal, plus de 30% des populations ayant 15 ans et plus détiennent, aujourd’hui, des comptes dans ce secteur de la microfinance. C’est ce qui fait que nous avons un taux de 50% de bancarisation’’. Mais le revers de la médaille est que dans ces institutions de microfinance, les clients souffrent davantage. La mesure de la Bceao ne les concerne pas, alors que les clients sont surtout les couches les moins nanties. Ce qui est une aberration, selon Famara Cissé.

La digitalisation pour booster le taux de bancarisation dans l’espace Uemoa

Aussi, malgré les efforts qui ont été faits, il y a encore une bonne marge qui reste. Et la digitalisation se présente comme un excellent outil pour booster davantage le taux de bancarisation dans l’espace Uemoa. Depuis 2015, d’importants efforts ont été faits dans le domaine des monnaies électroniques. L’objectif, d’après le directeur national, est d’éliminer les distances entre le client et les banques. La promotion de ce mécanisme est, selon la Bceao, d’autant plus importante que, plus de 5 millions de Sénégalais détiennent un compte de monnaie électronique, plus de 10 millions ont des portables. ‘’Il faut les amener à ne plus en faire que des instruments de transfert. Un compte, c’est avant tout un moyen de conserver son argent, de l’utiliser en vue de pouvoir obtenir des prêts. Voilà quelques enjeux de la digitalisation’’, souligne l’expert.

Par rapport aux systèmes de transfert et de monnaie électronique qui pullulent comme des champignons, Ahmadou  Al Aminou Lo rassure les usagers quant à leur sécurité et leur contrôle. ‘’Il y a bien sûr un contrôle parce qu’avant de commencer, il faut passer par la Banque centrale qui vérifie le système mis en place. C’est vrai qu’il y a des cybercriminels qui tentent d’escroquer les gens, mais souvent ils passent par les détenteurs des comptes eux-mêmes, non par le système’’, soutient Monsieur Lo.

Rappel des 19 mesures de gratuité

Les 19 mesures de gratuité concernent tout d’abord l’ouverture, le fonctionnement et le suivi de compte. Pour cette catégorie, le règlement de la Bceao mentionne l’ouverture de compte, la délivrance de livret d’épargne, la tenue de compte sur livret d’épargne, la transmission de relevé de compte (une fois par mois), le relevé récapitulatif des frais annuels, le dépôt d’espèces dans la banque du client, quel que soit le guichet (hors acquittement de frais de timbre fiscal)…

Toujours dans cette catégorie, la Bceao exige la gratuité du retrait d’espèces dans la banque du client quel que soit le guichet, à l’exception des opérations par chèques de guichet, la domiciliation de salaire, le changement d’éléments constitutifs du dossier du client, notamment d’identification, la mise en place d’une autorisation de prélèvement (ordre de prélèvement à partir du compte) ou de virement permanent (création du dossier), la clôture de compte.

Ensuite, viennent, selon le règlement de la Bceao, les moyens et opérations de paiement. A cet effet, il y a le retrait auprès d’un guichet automatique (GAB/DAB) de la banque du client, le paiement par carte bancaire au sein de l’UMOA, la consultation de solde et édition du relevé de solde au GAB/DAB dans la banque du client, le virement de compte à compte dans la même banque, l’encaissement de chèques tirés sur une banque de l’Union, ainsi que l’encaissement de virements nationaux, communautaires et internationaux.

Enfin, vient la banque à distance. Dans ce cadre s’inscrit l’exemption de frais dans les avis de débit et de crédit par voie électronique, la consultation et l’édition du solde et de l’historique du compte à travers le GAB/DAB de la banque du client.

MOR AMAR

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