Publié le 7 May 2014 - 12:01
INDUSTRIES CHIMIQUES DU SENEGAL

La plaie indienne 

 

Assurément la recapitalisation des ICS intervenue en 2008 a signé le début d’une nuit sans fin dans cette entreprise, prise à partie par un tourbillon indien qui risque de l’envoyer à terre.

 

Les Industries chimiques du Sénégal vont mal. Le contexte actuel fait de  grognes récurrentes des travailleurs réclamant le paiement de leurs salaires et décriant le fonctionnement de l’entreprise en sont des exemples retentissants.

Que dire alors de la concession du terminal vraquier du môle 8 à la société Necotrans, qui sonne comme un coup de massue sur le dos d’un géant mal en point ?  Déjà, en février dernier, le député Cheikh Diop fournissait à l’Assemblée nationale des chiffres qui donnaient froid au dos. Explications : en fin décembre 2013, la production des ICS a été de 260 000 tonnes. En prévision, 475 000 tonnes avaient été budgétisées.

Au total, dans la période 2008/2013, le déficit de production et les pertes sont estimées à 215 000 tonnes. Un chiffre à revoir à la hausse, selon des cadres de l’entreprise. Présentement, les ICS ne parviennent même plus à faire plus de 60% de la capacité de production installée. Les outils de travail se détériorent à un rythme soutenu. ‘’Il n’y a plus d’arrêt annuel du travail comme auparavant.

Cette période d’un mois permettait de faire la maintenance du matériel de fonctionnement‘’, renseigne un cadre sous l’anonymat. Du coup, les machines, à l’image de vieux dragons fumant et crachant, fonctionnent bon an mal an. Le matériel n’est plus renouvelé faute d’investissement.

‘’Les indiens font dans le recyclage de pièces et s’approvisionnent chez les brocanteurs’’, raille ce cadre qui semble dépassé par la situation. Membre du comité directeur de l'Amicale des cadres  des Industries chimiques du Sénégal (l'ACICS) et membre aussi de l'intersyndicale des ICS, Djibril Diop fait un diagnostic sans complaisance de la situation actuelle du géant de Mboro : ‘’Les ICS sont à l’agonie à cause d’un manque de management efficient, d’un déficit d’investissements sur l’outil de production des différents sites de production, d’un manque de stratégie cohérente et volontariste des partenaires stratégiques depuis la recapitalisation en 2008’’.

Faute d’investissement sur le matériel, les accidents mortels se multiplient

En réalité, la réorientation des marchés vers les entreprises indiennes ou asiatiques pour l’approvisionnement en pièces de rechange des équipements se fait au détriment des fournisseurs traditionnels qui en sont les concepteurs. La conséquence de tout cela, informent-on, c’est la multiplication des défauts et anomalies à la livraison et au montage. Ils confient la présence actuelle de plus de 100 cadres expatriés indiens facturés à 5 millions par mois mais qui ne perçoivent en réalité que la moitié, soit 2,5 millions.

‘’Le comble c’est que les ingénieurs indiens ne font rien sur le terrain, c’est à se demander s’ils sont réellement des ingénieurs, parce que souvent se sont nous autres Sénégalais qui faisons le travail à leur place’’, lâchent des sources trouvées sur place. L’approvisionnement en matières premières et intrants est devenu plus qu’irrégulier alors que le non respect des normes sécuritaires, un tueur à gage. Entre 2008 et 2013, quatre accidents mortels ont été enregistrés dans l’entreprise

 Un fleuron au chiffre d’affaires d’un milliard/jour bazardé

Rien n’a été clair dans cette affaire là ! La recapitalisation des ICS ressemble à un ‘’grand n’importe quoi’’ perpétré sur le dos du contribuable sénégalais. L’État du Sénégal a cédé l’industrie à un consortium regroupant le groupe Archean, le partenaire historique, la coopérative des agriculteurs indiens (IFFCO) et Senfer africa Limited. Cette dernière société, basée à Chypre, possède 66% des ICS.

IFFCO dispose de 18% au moment ou l’État du Sénégal détient 15% et le gouvernement indien 0,46%. Il faut noter que ce consortium a pris les ICS en une période où les prix de l’acide sur le marché mondial ont enflé, avoisinant les 2000 dollars. Paradoxalement, seul 42% de production a été fait la même année par les ICS. Assurément, la coopérative des agriculteurs indiens (IFFCO), à la tête du consortium, a fait une bonne affaire en disposant d’une entreprise représentant 750 millions de dollars d’investissement et des réserves de phosphate de 50 millions de tonnes.

En tout, une capacité de génération d’une valeur de 9500 millions de dollars. Les ICS font au moins plus d’un milliard de chiffre d’affaires par jour, renseigne un membre du secrétariat, organe poumon de l’entreprise. Il faut noter que IFFCO est dans la vente et dans l’achat de l’acide phosphorique et dispose des coudées franches sur les titres et les quantités. Et selon les travailleurs, IFFCO ne rate jamais l’occasion d'affirmer qu'elle investit dans le renouvellement de l’outil de travail. Ce qui est faux, selon plusieurs cadres des ICS.

Les Asiatiques débarquent, la préférence nationale s’envole

En tout cas dans le contrat signé avec l’État du Sénégal, il est dit qu’environ 40 milliards de FCFA doivent être investis sur 3 ans pour obtenir la capacité normale de l’entreprise. Que ceux qui osent aujourd’hui dire que cette somme a été effectivement investie aux ICS lèvent le doigt. Pire encore, les partenaires indiens ont également créé une société dénommée VPR pour l’exploitation minière, mettant en rade le personnel sénégalais.

La conséquence immédiate d’un tel acte a été l’arrivée massive de plusieurs centaines d’ouvriers d’origine asiatique, notamment des Indiens, des Bengalis, des Sri lankais etc, installés dans la mine, créant ainsi un quartier asiatique.

Pour nombre de cadre des ICS rencontrés, l’entreprise a sombré dans une nuit sans fin, après le départ de son directeur Pierre Babacar Kama, éjecté sous le régime de Wade. Son successeur Djibril Ngom est considéré par les cadres comme celui qui a signé le début de la mort de l’entreprise. A l’époque, les cadres qui avaient tiré la sonnette d’alarme s’étaient vu convoqués à la station balnéaire de Saly Portudal.

‘’Plusieurs cadres ont été menacés avant d’être corrompus à travers une augmentation de salaire allant jusqu’à 50 000 francs CFA pour certains’’, témoigne un cadre ayant participé à cette rencontre de Saly. Une mauvaise gestion qui conduira à un trou de près de 250 milliards avec une incapacité manifeste des ICS de payer ses fournisseurs en 2004. 

Aux ICS de Mboro la chose la mieux partagée, c’est que les autorités sénégalaises sont à l’origine de la mort programmée de leur entreprise. En ligne de mire, le président Macky Sall qui, d’abord en tant ministre de l’Industrie, puis Premier ministre, a été témoin du processus de cessation et de dégradation de ce fleuron de l’industrie sénégalaise.

UN MEMBRE DU SECRETARIAT DES ICS SOUS L’ANONYMAT

‘’Du moment que Wade et Macky sont là, ils doivent parler aux Sénégalais’’

Aux Industries chimiques du Sénégal, parler sous l’anonymat est la chose la mieux partagée. C’est sous ce sceau qu’un membre du secrétariat de l’entreprise s’est prêté à nos questions. Selon lui, comme le hasard a voulu que Macky Sall et son prédécesseur Abdoulaye Wade soient présentement au Sénégal, ils devraient parler aux Sénégalais.

L’un comme l’autre a une importante part de responsabilité dans la situation actuelle de l’entreprise, souligne-t-il. ‘’L’actuel chef de l’État a été ministre de l’Industrie, puis Premier ministre, il sait très bien ce qui se passe aux ICS’’, renchérit-il avant de suggérer une recapitalisation, devenue aujourd’hui un ‘’impératif’’.

A l'en croire,‘’il faut revoir le contrat avec les Indiens parce que depuis que l’État a cédé ses parts et n’est plus actionnaire majoritaire, le Sénégal n’a plus aucun pouvoir de décision. L’argent du produit part en Inde, une infime partie est retournée au pays.

C’est une perte énorme, car l’entreprise dispose de près de 2500 employés, sans compter les entreprises parallèles qui travaillent avec nous, les fournisseurs au plan national et international’’. En outre, Il estime que l’entreprise dispose d’un fonctionnement très lourd et les investissements nécessaires pour sa bonne marche doivent être prioritaires.

Notre source regrette que les Indiens ne tiennent pas leur promesse d’injecter de l’argent pour le fonctionnement des ICS. Et d'ajouter qu’au vu du niveau d’endettement de l’entreprise par rapport aux banques et aux institutions internationales, toute perte de production se ressent. Sans compter les besoins journaliers assez lourds. Sa conviction est faite que les difficultés des ICS ne sont liées qu’aux investissements et à la trésorerie.

REFLET…ICS

Restructurer oui, mais auditer surtout

L’État du Sénégal a récemment annoncé son ambition de restructurer certaines entreprises en difficulté dont les Industries chimiques du Sénégal. En soi, l’idée est bonne, mais il faudra juste éviter ce à quoi nos autorités nous ont habitué, consistant à se détourner de la réalité pour attaquer le mal non à la racine mais au tronc. 

Il persistera, se gangrènera et restera sans doute incurable. C’est ce qu’ont compris d’ailleurs les travailleurs des ICS en appelant l’État du Sénégal à assumer ses responsabilités et rectifier le tir. Le bon schéma passerait d’abord par une révision du contrat signé avec le consortium et un audit complet de l’entreprise.

La gestion des aspects techniques, financiers et sociaux de l’entreprise doit être passée au peigne fin, les responsabilités situées, les sanctions prononcées. Il s’agira, en somme, de mesurer l’ampleur des dégâts en vue du sauvetage d’un géant sauvagement pillé, au grand dam d’une population abusée.

Des investigations s’imposent, ainsi que des audits et contrôles pour éclairer sur le bradage de ce fleuron de notre industrie, qui a été vendu à des tiers dans la plus grande opacité à 40 milliards FCFA, soit l’équivalent du sixième de son chiffre d’affaires annuel. Passée cette étape, l’État doit alors songer à ouvrir le capital de l’entreprise à des privés sénégalais d’abord et à des partenaires stratégiques ensuite. Le tout dans une parfaite transparence.

 

 

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