Publié le 6 Jul 2020 - 22:56
INJURES, INSANITES, ACCUSATIONS AU SOMMET DE L’ETAT

La République indisposée

 

Rebelles, loufoques, très impulsifs, les bouffons au sommet de la République se sont encore signalés, ce week-end, de la manière la plus triste. Mais le plus choquant, pour les observateurs, c’est le silence incompréhensible du chef de l’Etat, face à ces insulteurs multirécidivistes.

 

‘’Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui, avant, ne parlaient qu'au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite, alors qu'aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. C'est l'invasion des imbéciles’’. En le disant, le penseur italien Umberto Eco ne pensait pas forcément aux personnalités publiques, encore moins aux hommes politiques et gouvernants de surcroît.

Mais au Sénégal, c’est plutôt la brutalité inouïe dont font montre ces derniers qui choque le plus l’opinion publique. Pour sa part, le journaliste formateur Ibrahima Bakhoum regrette un ‘’partagisme amplificateur de contre-valeurs’’ en vogue dans les réseaux sociaux.

‘’Désormais, avec les réseaux sociaux, c’est bride lâchée pour tous les insulteurs et imposteurs. L’éloignement et l’anonymat créent de nouveaux hérauts et héros. Dans le cas qui fait l’actualité, il se dit que c’est une conversation privée qu’une des cibles a choisi de mettre en ligne. Le fautif est aussi à chercher à ce niveau. L’insulteur, pour sa part, devra assumer un acte indéfendable’’.

Ainsi, ce qui était destiné à une consommation purement privée peut, en un clic, faire le tour du monde. En insultant Yakham Mbaye et Farba Ngom de la manière la plus vulgaire qui soit, le député Moustapha Cissé Lo ne se doutait peut-être pas que ses propos allaient se retrouver dans l’espace public. Et il est loin d’être la seule victime des nouvelles technologies. Mais, en vérité, ces supports ne semblent être que des révélateurs de la personnalité véritable de ces individus ayant entre leurs mains les destinées du pays.

A entendre Mame Less Camara, il ne faut surtout pas se leurrer. Le discours privé entre politiciens n’est pas toujours aussi policé qu’on pourrait le croire. Il explique : ‘’Ces échanges se font généralement à deux niveaux. Un niveau conventionnel où ils essaient surtout de plaire au public qui est en même temps l’électorat. Mais il y a aussi un autre niveau, quand ils se parlent entre eux. C’est à ce niveau où on note surtout cette vulgarité, ces injures et autres propos malséants. Cissé Lo a été piégé par les nouvelles technologies. Il est tout aussi blâmable que ses adversaires qui ont rendu publiques ces insanités.’’

D’après le formateur au Cesti, de la même manière que les dirigeants soignent leur mise quand ils sortent, de la même manière ils soignent leur langage quand ils parlent au public. Mais, insiste-t-il : ‘’Ce n’est souvent que de l’habillage. Comme en communication, on essaie de tromper les gens. On leur fait croire ce qui n’est pas. On s’habille comme on n’est pas. On parle comme on ne pense pas. Les gens ne sont authentiques que lorsqu’on les surprend en train d’échanger de façon vive au téléphone, se croyant seuls et disant des choses insupportables. On les voit ainsi tels qu’ils sont véritablement.’’

De la responsabilité des médias

Mais comment en est-on arrivé là ? A en croire Ibrahima Bakhoum, la politique du ventre semble de plus en plus prendre le dessus sur toutes les autres considérations. Le journaliste formateur n’hésite d’ailleurs pas à faire le parallèle avec le monde animal. ‘’Supposons, dit-il, qu’ils (les animaux) sont dans le même enclos et qu’il n’y ait pas assez de foin pour tout le monde. C’est sûr qu’ils vont se battre, ils vont se donner des coups de cornes un peu partout et n’importe comment. C’est le propre de la bête ; elle ne réfléchit pas. Tout ce qui l’intéresse, c’est d’accéder au foin. Malheureusement, on a l’impression d’assister au même spectacle avec ces genres de politiciens. Et ils se disent : plus je vais insulter, plus je vais m’approcher du chef, parce que je vais donner l’impression d’être son plus grand défenseur’’.

Selon lui, le niveau des différents acteurs politiques s’amenuise de plus en plus. Il s’indigne : ‘’Internet a beaucoup facilité la chose à des gens qui n’ont aucun bagage intellectuel, aucun bagage politique, des gens qu’on utilise juste pour les basses besognes, pour détruire d’autres personnes. Progressivement, il s’est créé une nouvelle race d’insulteurs. Pour eux, l’adversité politique, c’est comme ça. C’est du terrorisme fondé sur les insanités et c’est inacceptable.’’

Embouchant la même trompette, Mame Less Camara regrette surtout la facilité avec laquelle les gens accèdent à certaines fonctions qui demandent plus de retenue, plus de prestige, plus d’éducation. ‘’Je pense qu’il est temps que les différentes parties prenantes, la société civile en particulier, travaillent à ce que l’on soit plus regardant sur le profil des parlementaires. Certes, on retrouve à l’Assemblée nationale des gens très éduqués, tant sur le plan éducation académique, coranique que du point de vue moral. Mais on trouve à côté des personnages abrupts. En attestent les querelles de charretiers auxquelles on assiste. Même les idées prennent peur et s’en vont de l’Assemblée’’.

Une situation qui va de mal en pis

Même si le phénomène ne date pas d’aujourd’hui, il a pris, ces dernières années, une ampleur jamais égalée. Ce qui contraste, à en croire M. Bakhoum, avec les promesses faites par les tenants actuels du pouvoir à l’avènement de la deuxième alternance en 2012. ‘’Les choses semblent aller de mal en pis. J’ai toujours en mémoire ces plateaux dans lesquels les gens du régime actuel nous disaient et répétaient : ‘C’est fini’ ; ‘Politique autrement’ ; ‘Rien ne sera plus comme avant’... On se rend compte que nous voyons mille fois pire. Je pense que c’est complètement raté. On est passé complètement à côté. On n’a jamais vu des personnalités de cette dimension s’insulter de la sorte’’.

Aussi, le formateur ne dédouane pas les médias qui ont joué un rôle dans ce délitement progressif des valeurs. A l’en croire, ceci n’est que le résultat d’un long processus. ‘’Avant, des responsables payaient des individus pour saboter, par exemple, les meetings de leurs adversaires. Ensuite, ils ont commencé à utiliser les médias pour détruire leurs adversaires. Maintenant, avec les réseaux sociaux, on a la possibilité de s’attaquer à son rival dans le plus grand anonymat. Dès lors, les gens s’engouffrent dans ce grand espace ouvert et illimité qu’est Internet pour régler des comptes. Et ils ne peuvent le faire qu’avec leur niveau’’.

Le journaliste d’ajouter : ‘’La responsabilité des médias est pleinement engagée. Il y a de ces gens à qui il ne faut pas donner la parole. Ils n’ont aucune valeur ajoutée à apporter au débat public. Tout ce qu’ils savent, c’est des invectives, des insultes. Si, par extraordinaire, on leur donne la parole, s’ils débordent, on les arrête.’’

Le silence effarant du président

Mais plus que les insultes de Moustapha Cissé Lô, c’est le silence du président de la République qui est le plus troublant, selon beaucoup d’observateurs. A-t-il peur de celui que d’aucuns nomment le ‘’fou du village’’. Cautionne-t-il ses multiples sorties, les unes plus scandaleuses que les autres ? Les commentaires vont bon train. Et Ibrahima Bakhoum n’y va pas du dos de la cuillère pour cracher ses vérités. ‘’Il faut noter qu’il a toujours mis en garde contre ces pratiques. Mais si, dans son propre camp, les gens continuent de braver ses directives, l’on est en droit de se demander ce qui se passe. Peut-être, comme on dit, quand les gens se tiennent par la barbiche, personne ne peut bouger’’.

Pour Mame Less Camara, le président ne peut pas ne pas être gêné par cette situation. ‘’En dernier lieu, c’est lui qui est exposé. C’est sa gouvernance qui est exposée. Moi, la question que je me pose, c’est quel est le lieu de rencontre entre lui et des personnages capables de proférer des insultes d’une telle vulgarité. Si la politique c’est ça, eh bien, ce n’est pas le lieu de destination des gens qui souhaitent le faire proprement’’.

Par ailleurs, M. Camara trouve un bémol à toute action qui pourrait être enclenchée maintenant. ‘’Cissé Lo a injurié publiquement quelqu’un comme Ousmane Sonko. Mais puisqu’il rendait service politiquement à ses partisans, ils en ont ri. Jusqu’au moment où ça leur tombe dessus. Alors ils se rappellent que Cissé Lo est aussi ‘El Pistolero’. Il ne réserve pas ses munitions à ses seuls adversaires politiques’’.

Mais pourquoi a-t-il survécu là où d’autres ont payé pour beaucoup moins ? Certains rappellent le cas de Sory Kaba, sanctionné pour avoir juste donné son avis sur la question du troisième mandat. Le formateur au Cesti utilise cette boutade prêtée à Lamine Guèye : ‘’On raconte que lorsqu’il est venu dans les années 1950 pour disputer les élections législatives avec Léopold Sédar Senghor, des partisans enthousiastes qui l’attendaient au port de Dakar l’ont accueilli en lui disant : ‘Nous allons gagner, parce que les meilleurs fils et filles de ce pays sont avec vous.’ Il leur demande : ‘Et qui encore ?’ Ils disent tous : ‘Ce qu’il y a de bon, de bien éduqué sont avec vous.’ Il leur aurait alors dit : ‘Allez vite me chercher des voyous, des tripatouilleurs, des fraudeurs. Parce que c’est avec ces gens qu’on gagne des élections.’ J’espère que ce n’est pas vrai. Mais ça montre que ce n’est pas qu’avec de bonnes intentions qu’on remporte les élections.’’

ALLIANCE POUR LA REPUBLIQUE

Cissé Lô devant la commission de discipline

‘’C’est avec effroi et indignation, que le peuple sénégalais dans toutes ses composantes a entendu les propos d’une exceptionnelle gravité, tenus par notre camarade Moustapha Cissé Lô, à l’endroit de plusieurs responsables de l’Alliance Pour la République et d’honnêtes citoyens. L’Alliance Pour la République condamne avec la plus grande fermeté, l’attitude de Moustapha Cissé Lô, dont les propos sont d’une tonalité d’une rare violence et empreints d’une indécence que récusent la morale et la bienséance sociale. Incontestablement, cela témoigne d’une inacceptable dérive et constitue une brutale agression contre la République, ses Institutions et nos valeurs sociales’’, a réagi le Secrétariat Exécutif National de l’APR, hier, dans un communiqué signé par le Porte-parole national Seydou Guèye.

Il renseigne que le Président Macky Sall, Président de l’Alliance Pour la République, a instruit la Commission de Discipline de l’Alliance Pour la République de se réunir dans les plus brefs délais, ‘’aux fins de statuer sur les mesures à prendre à l’endroit de ce camarade qui déshonore le parti et écorne l’image du Sénégal en Afrique, voire dans le monde entier’’.

MOR AMAR

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