Publié le 7 Sep 2020 - 23:52
INONDATIONS URBAINES

De 2009 à 2020, des solutions non-appliquées 

 

Le Sénégal a renoué avec les inondations, durant ce week-end. Faisant partie des catastrophes naturelles les plus graves du pays, leurs problèmes ne trouvent toujours pas de réponses adéquates, malgré l’existence de solutions vulgarisées, depuis plusieurs années, et des milliards dépensés.

 

Brutalement, ce week-end, les inondations se sont rappelées aux mauvais souvenirs des Sénégalais. En pourtant, on voyait venir, avec la pluviométrie exceptionnelle enregistrée depuis le début de l’hivernage. En pleine controverse sur l’identité du chef de l’opposition, la problématique de la gestion des inondations revient au-devant de la scène et interroge la gouvernance du secteur, d’autant que cette question devrait être derrière nous, avec les milliards déjà engloutis, pour la régler définitivement.

Ces précipitations exceptionnelles ont installé le pays dans une situation explosive, ramenant les spectacles désolants des inondations de 2005, 2008 ou encore de 2009. Rien que dans la journée du samedi, les relevés de poste publiés par l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) renseignent qu’il est tombé 205 mm à Sokone, 178 mm à Passi, 177 mm à Sébikotane, 162 mm à Joal, 148 mm à Toubacouta, 124 mm à Thiès, 82 mm à Dakar, etc.

Ces fortes précipitations ont amené le président de la République à sortir l’outil privilégié de l’Etat pour faire face aux catastrophes. Sur les réseaux sociaux, Macky Sall a exprimé, samedi, sa ‘’solidarité à tous ceux qui ont eu des sinistres durant les abondantes pluies du week-end’’ et ‘’demandé au ministre de l'Intérieur de déclencher le plan Orsec’’. Un mécanisme chargé d’élaborer la politique d’organisation des secours au plan national, notamment les modes de financement des opérations de secours, la détermination des priorités d’intervention, la mobilisation des moyens et le suivi de l’évolution du sinistre.

Malgré la relative accalmie de ces dernières années, les inondations constituent l’un des fléaux les plus graves au Sénégal et une préoccupation majeure du gouvernement. En juin 2010, le ‘’Rapport d’évaluation des besoins post catastrophe inondations urbaines à Dakar 2009’’, préparé par le gouvernement de la République du Sénégal avec l’appui de la Banque mondiale, du système des Nations Unies et de la Commission européenne, faisait un plaidoyer vibrant auprès des décideurs nationaux de la communauté internationale et des forces vives de la nation sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent certaines zones du pays.

Il avait surtout apporté ‘’des réponses concrètes en termes de plans d’action pour le relèvement, la reconstruction et la réduction du risque qui doivent être mis en œuvre sans délais’’. Dix ans après, ses conclusions et recommandations ont été ignorées au profit d’un plan décennal sur les inondations de 750 milliards de francs CFA dont beaucoup se demandent encore l’effectivité des actions.

Le plan Orsec reste d’efficacité très limitée

Les causes des inondations déjà identifiées en 2009 ont-elles été solutionnées ? A Dakar, où les populations se sont souvent installées de façon anarchique et spontanée dans des dépressions et les bas-fonds asséchés, notamment dans les zones périurbaines, ‘’les fortes pluviométries combinées à l’absence d’infrastructures de drainage ou leur obstruction et la présence de nombreux obstacles tels que routes, bâtiments et maisons bloquant les axes naturels de drainage, font partie des causes principales des inondations récurrentes. Le relèvement du niveau de la nappe phréatique dite de Thiaroye, a aggravé la vulnérabilité de ces territoires aux inondations urbaines’’. Encore que, selon les prévisions, il est connu que des pluies d’une grande intensité peuvent se produire tous les deux ans, en moyenne, au Sénégal.

En ce qui concerne le système de gestion des risques et des catastrophes (GRC), les experts faisaient déjà remarquer que le mécanisme n’est pas suffisamment opérationnel. Et que ‘’le plan Orsec reste d’efficacité très limitée, le pompage de l’eau seul n’étant pas une solution pérenne, ni appropriée sans des mesures d’accompagnement et de réduction à court, moyen et long terme des risques d’inondations’’.

Pour parler ainsi, ils avaient constaté ‘’une multiplicité d’initiatives dans le domaine du drainage des eaux pluviales et la protection contre les inondations, mais aucune ne traite la problématique des inondations dans sa globalité et de façon cohérente. Les interventions sont faites en l’absence d’études d’impacts environnementaux et d’études hydrologiques consistantes, et les fondements techniques et économiques de certaines initiatives sont à valider. Le Plan directeur d’assainissement (PDA) qui est la pièce maîtresse de la mise en cohérence des initiatives en matière de drainage et aurait dû normalement précéder toutes les initiatives et les orienter, accuse actuellement un retard important’’.

La culture de la diffusion précoce des alertes aux populations

En lieu et place d’attendre une catastrophe et déclencher un plan pour pomper les eaux, les experts avaient conseillé au gouvernement une stratégie à moyen et long terme, prenant en compte les causes sous-jacentes des inondations, pour en réduire les risques.

Ainsi, le rapport a proposé, pour la région de Dakar, notamment la zone périurbaine, ‘’la mise en place d’importantes infrastructures de drainage. La réponse infrastructurelle nécessitera des investissements lourds, car il y a une interdépendance fonctionnelle des différentes natures d’ouvrages associant le drainage des eaux pluviales, l’assainissement des eaux usées et la voirie urbaine. La zone périurbaine de Dakar doit donc faire l’objet d’une opération globale de restructuration urbaine’’.

Une autre mesure prioritaire et salutaire pour les zones périurbaines de Dakar identifiées, était l’intensification de l’exploitation des eaux de la nappe phréatique de Thiaroye afin de diminuer son niveau et limiter son affleurement dans les zones habitées.

La prévention par la planification et la gestion urbaine est une nécessité. Parmi les axes d’intervention prioritaires à moyen et long terme, la réalisation d’une cartographie de prévention des risques d’inondation et l’intégration des risques dans les documents d’urbanisme. Et encore la diffusion précoce des alertes aux populations et aux acteurs économiques, afin de leur permettre de se préparer à faire face aux inondations et d’anticiper certaines mesures et comportements d’autoprotection.

En même temps, un travail de sensibilisation devait mener à un changement de comportements pour atteindre une résilience. ‘’Il s’agit d’apprendre aux populations et aux acteurs économiques à vivre avec les inondations et se comporter avant, pendant et après les inondations, de manière à réduire leurs impacts par des gestes et des mesures simples d’autoprotection de leurs logements et de leurs biens’’, explique le rapport.

Quid du Plan décennal de lutte contre les inondations ?

Arrivé au pouvoir en 2012, le régime actuel a opté pour un Plan décennal de lutte contre les inondations (PDLI) qui peine encore à être efficace, malgré beaucoup d’argent investi. Encore que sur ce point, tout le monde n’est pas convaincu, à l’image du Premier ministre, au moment de son lancement, Abdoul Mbaye, devenu opposant politique, entretemps : ‘’Mais de qui se moque-t-on ? Le plan de lutte contre les inondations a été intentionnellement abandonné. Les 750 milliards n’ont jamais été dépensés. Les inondations ont cessé d’être une priorité, après mon départ du gouvernement. Tels sont les faits.’’

Son scepticisme est partagé par Birahime Seck. Selon le coordonnateur du Forum civil, ‘’une Assemblée nationale à la hauteur de ses responsabilités de représentation du peuple devrait immédiatement convoquer les ministres en charge de la lutte contre les inondations. Sept cent cinquante milliards de F CFA pour récolter ces scènes de désolation’’.

Lamine Diouf

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