Publié le 3 Apr 2020 - 00:12
INTERDICTION DE RASSEMBLEMENTS ET RESPECT MESURES BARRIÈRES

Les cimetières à l’épreuve de la pandémie

 

En temps normal, les enterrements sont une occasion de regroupement de la famille au sens le plus large possible : les parents, les amis et même de simples membres de la communauté. En ces temps de pandémie, à quelques exceptions près, la désertion est le maître mot dans certains cimetières.

Reportage 

 

D’habitude, les cérémonies funéraires sont l’occasion de grandes mobilisations familiales. En ces temps de pandémie, d’interdiction de rassemblements sur l’étendue du territoire, les gens semblent un peu déserter les lieux d’enterrement. Les fossoyeurs, eux, du matin au crépuscule, restent à leur poste, guettant tranquillement l’arrivée de nouveaux morts. Et plus il y a d’accompagnants, plus leur cagnotte est importante, plus leur journée est belle. Mais, en ces temps de Covid-19, leurs recettes semblent drastiquement baisser.

Mardi 31 mars 2020, l’horloge affiche 14 h passées de quelques minutes à Rufisque et environs. Au cimetière de Dangou, il règne un silence assourdissant. La cinquantaine révolue, Abdou Sène, constructeur de caveaux, devise tranquillement avec ses deux autres collègues Oumar Ndiaye et Latyr Sarr. Interpellé sur l’affluence des accompagnants en ces temps de pandémie, il témoigne : ‘’Les gens ne viennent plus aussi nombreux. Ce sont juste les proches des disparus qui viennent. Et nous, nous vivons de l’aumône que nous donnent les accompagnants. Car nous n’avons pas de salaire ; nous ne demandons pas non plus un prix pour nos services. Bien entendu, on aurait souhaité qu’il y ait du monde, puisque c’est une bonne chose de prier pour les morts, mais aussi c’est notre seule source de revenus. Mais on comprend.’’

A en croire ce père de famille, bien qu’ayant choisi le bénévolat, la municipalité devrait les soutenir au nom du service public qu’ils accomplissent au bénéfice de la communauté. ‘’Surtout en ces temps d’épidémie où les gens fuient les cimetières. Cela nous sortirait de la précarité, puisque nous sommes des chefs de famille’’, relève-t-il sous les hochements de tête de ses camarades. Un seul d’entre eux a été embauché, il y a trois ans, après 30 ans de bénévolat. Et il gagne seulement 50 000 F CFA.

Le mal-être des fossoyeurs qui vivent de la visite des fidèles

À l’entrée du cimetière, une dizaine de personnes, parfois assises sur des bancs de fortune, semblent attendre la dépouille de leur proche. L’atmosphère est morose. Les visages empreints de tristesse. Papa Fall, casquette bien vissée sur la tête, confie avoir fermé boutique pour assister à l’enterrement de la mère de son ami Y. MB. ‘’C’est vrai que les rassemblements sont interdits, mais je ne peux ne pas venir. C’est mon ami intime qui a perdu sa maman. Je ne pouvais donc ne pas être là. Mais je suis conscient que les rassemblements favorisent la propagation de la maladie et doivent, en conséquence, être limités’’, renchérit-il, l’air consciencieux.

Au fur et à mesure, la foule s’épaissit. Par dizaines, des Rufisquois sortent pour accompagner leur mère, sœur, épouse et amie dans sa tombe, au rythme du ‘’La Ilaha Ilalah’’ et du ‘’Salatul Fatiha’’. Bravant ainsi l’interdiction des rassemblements, ils sont déterminés à accompagner leur mort jusqu’à sa dernière demeure. Selon certaines confidences, c’est parce que l’époux de la personne disparue, un certain TH., est un grand dignitaire de la tijaniya à Rufisque. Oumar Ndiaye, Chef des fossoyeurs, précise : ‘’Cela fait longtemps, en tout cas, que nous n’avons pas vu autant de monde. C’est vraiment une exception, par les temps qui courent.’’

Le difficile respect des gestes barrières

Sur place, le respect des gestes barrières est assez mitigé. Rares sont cependant ceux qui s’obstinent à donner encore la main. Et c’est avec beaucoup d’hésitation. Paa Moussa, lui, ne badine pas avec cette recommandation. "Je ne le fais pas… ‘Asalam mou alaykou’ suffit largement. J’essaie également d’éviter au maximum les rassemblements. Je suis là, parce que la personne disparue est un proche parent. Sinon, je n’allais même pas venir".

Hormis les poignées de main remplacées par l’‘’asalam mou alaykoum’’, les autres consignes des autorités sanitaires sont presque impossibles à respecter sur les allées étroites de ce cimetière bondé de monde. C’est le cas, par exemple, de la distance sociale requise entre les individus. ‘’On essaie d’honorer toutes les mesures, mais ce n’est pas toujours évident. Après tout, seul Dieu peut nous protéger de cette pandémie’’, se résigne M. Fall.

À la sortie du cimetière, est positionné un grand récipient bleu avec de l’eau de javel où certains plongent leurs deux mains comme pour se désinfecter. Vers les coups de 17 h, le cimetière s’est totalement vidé de ses visiteurs. Les fossoyeurs, eux, sont restés sur les lieux, attendant d’autres cortèges funèbres.

Dépourvus de tout outil de protection, ils s’en remettent au bon Dieu pour leur santé. Toutefois, ces grands oubliés de la société demandent aux autorités des équipements. ‘’Le préfet était passé nous apporter deux cartons de gel antiseptique ainsi que de l’eau de javel. Si nous pouvons avoir des masques et des tenues, ce serait encore mieux. Mais, pour le moment, comme vous le voyez, nous n’avons même pas de tenues de travail. Nous portons nos habits’’, se désole Latyr Sarr, vêtu d’une chemise multicolore assortie d’un pantalon gris.

Ainsi, malgré les interdictions de rassemblement, certains, pour rien au monde, ne veulent rater l’enterrement de leurs proches. Pourtant, à en croire certains religieux, même en temps normal, il n’est pas dit que tout le monde doit obligatoirement être présent. Oustaz Ndiaga Guèye, Imam de la mosquée Castors de Rufisque, explique : ‘’L’essentiel est qu’il y ait quelques personnes pour représenter la communauté. Comme la situation actuelle n’est pas propice aux rassemblements, l’islam ne voit aucun inconvénient à la limitation des personnes.’’

Les décisions radicales de l’Église

Chez les fidèles catholiques, l’Église, dans une lettre datant du 17 mars, avait déjà réglé la situation. ‘’En cas d’obsèques, nous demandons à tous de se limiter uniquement à l’absoute (le fait d’asperger de l’eau bénite sur le corps du défunt) au cimetière, en présence de la famille restreinte. Des messes pour les défunts peuvent cependant être demandées’’, lit-on dans le communiqué. Ce n’est pas tout.

Joint par téléphone, l’abbé Joseph Gningue, Aumônier du Cogecic (Comité de gestion des cimetières catholiques) de Dakar, rapporte d’autres mesures complémentaires qui ont été prises par l’Église à Dakar pour lutter contre la propagation de la maladie. Il déclare : ‘’Suite au communiqué des évêques et aux directives des autorités en charge de la santé, nous avons demandé que les enterrements se fassent dans la matinée, de 8 h à 13 h, tout en évitant les rassemblements. Cela permet aussi aux fossoyeurs de rentrer tranquillement chez eux, pour éviter les difficultés liées au transport.’’  

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PROBLEMATIQUE DU RITUEL MORTUAIRE

L’islam et le christianisme en phase avec les prescriptions scientifiques

Au-delà de la question des rassemblements, se pose également le débat sur le rituel funéraire, en cas de décès dus à des maladies contagieuses comme la Covid-19. ‘’EnQuête’’ s’est intéressé aux positions de la science et des religieux, principalement musulmans et chrétiens.

En ces temps de pandémie, l’autre défi de l’Etat sera, à n’en pas douter, de convaincre les familles qui accordent beaucoup d’importance aux rites traditionnels et religieux, de ne pas s’approcher des corps des victimes. La question qui se pose, avec acuité, est de savoir quelle est la procédure à observer pour l’enterrement des personnes décédées de la Covid-19 ? A en croire le consultant de l’Organisation mondiale de la Santé, Oumar Boun Khatab Thiam, il faut reconduire le même protocole qui avait été prévu, lors de l’épidémie d’Ebola. Les familles, estime-il, ne doivent pas toucher le corps enveloppé dans un sac mortuaire. Pour l’anesthésiste réanimateur, il appartient aux hygiénistes et agents de la Croix rouge de mener tout le processus. Aussi, informe-t-il, le lavage est proscrit ; tandis que la prière des parents pour le défunt est admise, mais en respectant scrupuleusement la distance et l’interdiction des rassemblements.

Quid des spécialistes qui estiment que la toilette mortuaire peut être effectuée, mais par des spécialistes équipés de lunettes de protection, de gants, de masques et de blouses ? Dr Thiam précise : ‘’Certes ! Mais cela comporte toujours des risques. C’est pourquoi, lors d’Ebola, c’était formellement interdit’’. Par ailleurs, relève l’expert, il existe des normes relatives aux sépultures. Il insiste : ‘’Il faut veiller à la profondeur de la tombe qui est de 2 mètres. Il faut aussi éviter toute proximité avec la nappe phréatique…’’. D’où la nécessité selon lui de préparer les familles, habituées à tout un rituel. ‘’Je pense que l’Etat gagnerait beaucoup à consulter les anthropologues et religieux pour convaincre les plus conservateurs. C’est une dimension très sensible et dont la gestion est fondamentale’’, fait remarquer l’anesthésiste.

En fait, même en France, la question s’est posée avec acuité. Alors que certains défendent tout contact entre les familles et le corps, d’autres préconisent plus de flexibilité. Afin d’éviter toute possibilité de contamination, le Haut conseil français à la santé publique (HCST) interdisait tous soins. Mais, dans un avis plus récent, le Haut conseil a assoupli sa position, pour permettre la toilette mortuaire. Lequel avis a du mal à faire l’unanimité.

Pendant que les hommes de science tergiversent, les proches des victimes, soucieux d’assurer à leurs proches des funérailles dignes, les religions, musulmane comme chrétienne, semblent préconiser la prudence et la sécurité des proches qui n’enfreignent en rien les prescriptions divines en l’espèce. Pour l’Église, les difficultés suscitées par ce débat ont été prises en compte, depuis le communiqué du 17 mars signé au nom de la Province ecclésiastique de Dakar. Abbé Joseph Gningue précise : ‘’Et c’est pour tous les fidèles. On ne fait pas de différence entre ceux qui sont décédés de la maladie et les autres. C’est le même rituel pour tout le monde.’’

Interpellé sur la question, l’imam de la mosquée de Castor, à Rufisque, Oustaz Ndiaga Guèye, explique : ‘’Certes, le rituel mortuaire, composé notamment du lavage, de la prière et de l’enterrement, est prescrit par la religion. Mais comme vous le savez, chaque règle a une exception. Quand une personne est morte noyée en mer et que son corps soit retrouvé après décomposition, on ne lui fait pas le lavage mortuaire. Il en est de même pour les personnes décédées dans un incendie, si leur corps s’est décomposé… Toutes ces personnes vont avoir la préparation qui a été prescrite pour les martyrs décédés dans les djihads. A ces derniers, on faisait directement la prière, parce qu’on considère que leur corps est déjà purifié.’’  

Seule différence, si la prière est effectuée pour les martyrs, pour les musulmans décédés suite à des maladies comme la Covid-19, le respect de cette prescription est suspendu aux décisions des spécialistes. ‘’Si c’est autorisé, tant mieux. Sinon, l’islam permet de s’en passer. La religion défend contre tout ce qui peut être nuisible à l’homme. Il faut aussi savoir que la prière mortuaire, c’est juste pour prier pour la personne disparue. Au cas où elle n’est pas autorisée, on peut juste se rendre aux lieux où le musulman est enterré et prier pour lui’’, renseigne le conférencier. Il en veut pour preuve supplémentaire l’interdiction de manger du ‘’medd’’ (illicite).

‘’Dans certaines circonstances, le musulman peut en manger, pour ne pas mourir de faim. De la même manière, devant le risque de perdre une ou des vies humaines, une prescription ou interdiction peut être suspendue. En l’espèce donc, il faudra se soumettre aux avis des spécialistes’’. Reste à savoir si la leçon sera sue par les fidèles.

MOR AMAR

 

Section: