Publié le 20 Mar 2020 - 04:19
INTERDICTION DES ‘’LOUMAS’’

Le Fouladou en apnée

 

D’habitude très fréquenté, le marché hebdomadaire de Diaobé, situé à l’est de la région de Kolda, se vide de jour en jour. Entre la peur des populations face à la pandémie du coronavirus et la décision prise par l’Etat d’interdire les rassemblements, le lieu se désemplit. Ce qui ne va pas sans conséquences et à plusieurs échelles.

 

Les mercredis sont jour de ‘’louma’’ (NDLR : marché hebdomadaire) à Diaobé. D’habitude, les lieux étaient très animés. Mais hier, le décor a complètement changé. On n’entendait nullement les klaxons de voitures ou de motos. Aucun embouteillage, encore moins de brouhaha. Les lieux étaient presque vides. Les commerçants des pays environnants ne sont pas venus. Des véhicules ont été bloqués aux frontières et ceux qui sont arrivés à destination avant l’entrée en vigueur effective de la mesure interdisant les rassemblements face à la menace de la Covid-19, n’ont pu débarquer leurs marchandises.

En effet, les lieux de débarquement des marchandises venant de la Guinée-Bissau, de la Guinée, de la Gambie et autres pays de la sous-région sont sous haute surveillance. Sur place, les forces de l’ordre, qui veillent au grain, font la ronde. ‘’Ici à Diaobé, il y a des camions qui sont arrivés avant l’entrée en vigueur de la mesure. Aujourd’hui, ces camions n’ont pas débarqué une seule aiguille à Diaobé. Il n’y a pas de commerce. Nous veillons au grain. D’ailleurs, ce matin, j’ai obligé plus d’une trentaine de commerçants à fermer leurs magasins’’, informe l’adjudant Babacar Moussa Diallo, Commandant de la brigade de gendarmerie de Diaobé.

La gendarmerie veille au grain

En outre, si beaucoup d’habitants de Diaobé sont cloîtrés chez eux, de nombreux commerçants venus des quatre coins de la sous-région ont renoncé à se rendre au marché hebdomadaire, par crainte du mystérieux coronavirus. Aussi, depuis l’entrée en vigueur de la mesure interdisant les rassemblements, lundi dernier, le commandant de la brigade de Diaobé et ses hommes sont au taquet, tous les jours, dans la commune. Aucune manifestation, ni rassemblement, n’a eu lieu à Diaobé, y compris le marché hebdomadaire.

‘’Il n’y a pas de manifestation, pas de mariage, ni baptême, encore moins de rassemblement jusqu’à ce que la mesure soit levée’’, assure M. Diallo.

Les mesures sont saluées par certains habitants de cette ville-carrefour. Selon eux, Diaobé est l’un des plus grands marchés hebdomadaires de la sous-région, grâce à sa proximité avec la Guinée, la Guinée-Bissau et la Gambie où les échanges commerciaux sont les plus développés.

Seulement, l’arrêt du commerce dans ce marché a des conséquences économiques lourdes pour toute la commune. Les bars, restaurants et même les dancings sont fermés. Ainsi, les activités développées autour de Diaobé sont en suspens.

Commerçants et restauratrices au chômage

D’après certains commerçants et restauratrices trouvés sur les lieux, la fermeture du marché de Diaobé est une erreur de la part des autorités sénégalaises. Ils sont obligés de ranger leurs marmites, faute de clients. Ces derniers se font rares. Certains commerçants installés aux abords du marché cherchent désespérément des acheteurs. ‘’D’habitude, les transporteurs, les marchands ambulants et les commerçants guinéens, gambiens ou bissau-guinéens faisaient des va-et-vient, le jour et le lendemain du marché hebdomadaire. Avec cette fermeture, on ne voit personne’’, déplore Coumba Diallo, une restauratrice.

L’occupant du magasin contigu au sien, Moustapha Mbow, vendeur de friperie, ajoute : ‘’Les autorités veulent nous sauver du coronavirus, en prenant cette décision. Mais elles sont en train de nous tuer, vu que nos poches sont vides.’’ C’est pourquoi, un de ses collègues commerçants demande à ‘’l’Etat de laisser les gens continuer leurs activités commerciales, puisque personne n’est atteint du coronavirus à Diaobé’’.

Les commerçants et les gargotières ne sont pas les seuls à ressentir les effets de cette interdiction. Demba Baldé, chauffeur de son état, est contre la fermeture du marché. Il estime que ‘’les marchés hebdomadaires devraient être des lieux pour sensibiliser les populations sur cette épidémie. Ce n’est pas en les fermant que nous serons à l’abri’’. Avant d’ajouter : ‘’En voulant nous protéger de cette maladie, l’Etat met tout le pays à genoux. Notre quotidien dépend des marchés et des activités commerciales.’’

Les recettes de la commune de Diaobé en baisse

Ils ne souffriront pas seuls. Les autorités communales chargées de faire respecter la mesure prise par le chef de l’Etat seront aussi éprouvées. Hier, les recettes de la commune ont enregistré une forte baisse, passant ainsi de 700 000 F CFA par semaine à environ 400 000 F. Des montants qui vont encore dégringoler les prochains jours, si le marché hebdomadaire reste fermé jusqu’à nouvel ordre, avertissent certains agents de la mairie.

Malgré le cri du cœur, le maire de ladite commune, Moussa Diao, salue d’abord ‘’la décision du président Macky Sall’’, avant de reconnaître que ‘’la fermeture du marché hebdomadaire est une bonne chose. Elle permet de protéger les populations contre le coronavirus, même si elle a ralenti les activités économiques de la commune’’. Non sans rappeler que la vie quotidienne des populations et de la mairie dépend des activités du marché hebdomadaire.

Diaobé risque de renouer avec les agressions

Selon la plupart des habitants interrogés, la commune de Diaobé risque de renouer avec le banditisme, du fait que la fermeture du marché va envoyer de nombreux jeunes au chômage durant plusieurs semaines. ‘’Sans travail, ils commenceront à agresser les populations. Déjà, il y a des cas de vol dans la ville. Ils vont se dire que tous les moyens sont bons pour gagner de l’argent’’, soulignent-ils.

Mamadou Aliou Diallo, propriétaire d’un magasin à Diaobé, ajoute que ‘’les malfaiteurs vont bientôt dévaliser des boutiques et des magasins. C’est pourquoi nous demandons à l’Etat de renforcer la sécurité dans notre ville, sinon nous allons assister au développement de la délinquance à Diaobé’’. 

EMMANUEL BOUBA YANGA

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