Publié le 24 Jul 2020 - 19:55
JOURNEE MONDIALE DE LA MANGUE

Un trésor 

 

Très prisée sur le marché international, particulièrement européen, la mangue sénégalaise constitue un trésor encore insuffisamment exploité. En marge de la 1re édition de la Journée de la mangue tenue hier à Sangalkam, ‘’EnQuête’’ s’est intéressé à cette filière porteuse d’espoir.

 

En Casamance, elle pourrit dans les champs. Dans les Niayes, elle vaut de l’or. Elle, c’est la mangue. Une véritable niche d’emplois dans un océan de chômage. Site d’implantation du Centre de conditionnement du Feltiplex, le village de Noflaye (commune de Sangalkam, département de Rufisque) se réjouit du dynamisme du secteur. Vêtu de blanc, le chef du hameau porte la voix des siens. ‘’L’emploi, dit-il, c’est ce qui est difficile au Sénégal. Si nous avons la chance d’abriter, dans notre village, une usine qui emploie nos enfants, nous ne pouvons que nous en réjouir. Nous sommes d’autant plus contents que nous en bénéficions doublement. D’abord, parce que nos enfants y travaillent ; ensuite, parce que l’usine offre des débouchés aux producteurs de la filière qui vivent dans la zone’’.

En ce jour de jeudi 23 juillet 2020, la mangue est à l’honneur. Deux ministres sont venus présider la 1re édition de la Journée nationale de la mangue. Il s’agit du ministre de l’Agriculture Moussa Baldé et de son homologue des Collectivités territoriales Oumar Guèye, par ailleurs Maire de la commune. Il est 10 h passées de quelques minutes. Les visiteurs, sous un ciel nuageux, font le tour des installations. A l’intérieur de l’usine, des ouvriers, dont une majorité de femmes, scindés en deux équipes, sont positionnés pour faire une démonstration sur le circuit de la mangue, avant son embarquement vers le port ou l’aéroport.

Debout de part et d’autre de chacune des deux longues tables, les jeunes ouvriers, emmitouflés dans leurs tenues, bleue, orange ou blanche, travaillent dans une parfaite harmonie. A chacun ou chaque groupe une tâche bien particulière. Et les mangues passent de main en main. Lavées, rincées, essuyées, calibrées dans les cartons, elles vont ensuite passer entre les mains des contrôleurs chargés de faire le tri, avant de les filer aux peseurs.

De ses mains expertes, Aida, blouse blanche, bonnet sur la tête, masque bien en place, palpe de fond en comble chaque unité, consulte toutes ses parties, avant de la remettre à sa place. Après avoir vérifié toutes les mangues, elle fait passer le carton à une autre collègue chargée du pesage. De sa voix fluette, la jeune fille explique : ‘’La mangue doit être propre. Il ne doit y avoir aucune tache. S’il y a une seule tache, nous mettons de côté.’’

Après cet exercice méticuleux, vient le rangement qui se fait avec beaucoup de soin dans des palettes minutieusement nettoyées. Puis, c’est l’étape du stockage dans les chambres froides, en attendant l’embarquement. Destination, les marchés européens.

Une expansion ralentie par la Covid-19

Entre 1999 et 2018, la filière mangue a connu un grand bond en avant. Les exportations sont passées de 288 à 21 000 tonnes. Malheureusement, cette année, à cause de la Covid-19, elles ont connu un véritable ralentissement. ‘’La pandémie, soutient la représentante des exportateurs, Yasmine Hachem Sarr, est venue perturber cette dynamique. De 21 000 tonnes en 2018, l’exportation est tombée à 11 000 tonnes, soit une baisse de 40 %, nous ramenant ainsi 10 ans en arrière’’.

Il n’empêche. La mangue, estime la représentante des exportateurs, est une des filières les plus dynamiques du secteur horticole. Avec une production annuelle qui se situe entre 125 000 et 130 000 tonnes, elle représente 63 % des fruits et légumes produits dans le pays. Un vivier encore largement sous-exploité, si l’on en croit les acteurs. Le président du Conseil de la fondation origine Sénégal fruits et légumes, Mor Talla Kane, appelle de tous ses vœux un plus grand accompagnement des pouvoirs publics, non seulement pour la mangue, mais aussi pour toute la filière horticole.

‘’Le climat sénégalais, souligne-t-il, est comme on dit une bénédiction pour l’horticulture. Nous aurions tort de ne pas faire de ce secteur à haute valeur ajoutée le principal point d’appui de notre émergence agricole et économique. L’horticulture devrait constituer le socle de notre stratégie agricole globale. Nous rêvons de renouer avec le Success Story de Bud Sénégal qui avait hissé très haut dans les années 70-80, notre production horticole, avec une présence forte dans les marchés mondiaux’’.

Véritable trésor dans les Niayes, la mangue, explique Mme Sarr, peut faire l’objet de plusieurs usages : elle fait l’objet d’un commerce à la fois sous forme fraiche, mais aussi sous forme transformée (pulpe, chutney et fruits secs). ‘’Ses performances sur les marchés internationaux sont exceptionnelles. Les exportations de mangue fraiche dépassent les 550 000 tonnes par an. Mais je tiens à préciser que la demande est estimée à plus d’un million de tonnes. Nous avons donc une bonne marge’’.

Hélas. La filière est confrontée à des obstacles qui minent son rayonnement.

Le cri du cœur des exportateurs et des producteurs

En sus de la rude concurrence sur le marché européen, la filière mangue est aussi confrontée à d’autres contraintes d’ordre interne. Parmi lesquelles, relève la représentante des exportateurs, il y a le prix excessif de la mangue à l’achat, les problèmes de financement, le déficit d’infrastructures, mais surtout le manque d’eau. A ce niveau, Yasmine Hachem Sarr interpelle directement le ministre de l’Hydraulique : ‘’Nous avons un sérieux problème. Dans les Niayes, il y a quasiment plus d’eau. C’est un sérieux problème. Ce que nous souhaitons, c’est que vous discutiez avec votre homologue en charge de l’eau. Il est inconcevable qu’il y ait de l’eau jetée en mer, alors que nous souffrons, que les producteurs souffrent.’’

Dans la même veine, elle porte la voix des producteurs qui se plaignent de la cherté des factures d’eau qui peuvent aller jusqu’à trois millions F CFA le bimestre.

Outre le manque d’eau, il y a la boulimie foncière dans la zone de Sangalkam et ses environs. Les acteurs regrettent la transformation d’une bonne partie des terres arables en habitations. Une des bastions du marché de l’exportation, la zone est ainsi en train de perdre sa place. Ce qui impacte négativement la filière. ‘’C’est vrai qu’il faut un toit, mais il faut manger aussi. Il faut un toit, mais il faut des forêts aussi. Il faut un toit, mais il faut aussi des plantations. Nous sommes des humains ; nous avons le devoir de garder les plantations, les manguiers, de voir comment les améliorer et non les détruire pour mettre des maisons à la place’’, plaide Mme Hachem Sarr.

Hormis ces contraintes d’ordre interne, les producteurs sénégalais sont aussi confrontés aux exigences du marché européen et à la multiplicité de ses sources d’approvisionnement. Les opérateurs doivent, souligne Yasmine, porter leur attention sur deux points essentiels. D’abord, il faut surveiller, sur le court et moyen terme, l’équilibre offre/demande. Ensuite, il faudrait améliorer l’offre en termes de qualité gustative. D’après elle, les petits producteurs sont en train de disparaitre et ont besoin d’un coup de pouce de l’Etat. ‘’A cet égard, informe leur porte-voix, il est important de leur assurer un accès facile au financement et une sécurisation foncière des zones de production’’. Aussi, les opérateurs réclament le transfert de la gare de fret, de l’aéroport de Yoff vers le Feltiplex. ‘’Nous souhaitons son transfert de l’aéroport vers le Feltiplex, parce que ses outils sont en train de se gâter’’.

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PAPA AMADOU SIDIBE, EXPERT EN HORTICULTURE

‘’La solution pour lutter contre la mouche est plutôt phyto-technique que phyto-chimique ou autre chose’’

Formé en Roumanie, expert en horticulture et spécialiste en irrigation et au goutte-à-goutte, l’administrateur général de la Fondation Origine Sénégal fruits et légumes, Papa Amadou Sidibé, revient sur les défis et opportunités de la mangue sénégalaise.

Comment jugez-vous l’évolution de la filière mangue au Sénégal ?

C’est une évolution en dents-de-scie. Ce qui est dû essentiellement à la non-maitrise des productions dans les vergers. Il y a eu des années record où le Sénégal a exporté jusqu’à 15 000 tonnes de mangues. Actuellement, le volume total exporté tourne autour de 10 000-11 000 t, parce qu’on ne dépend que de la pluviométrie. Aussi, à un moment, il y a eu une certaine latence, conjuguée à une insuffisance des moyens et un manque d’organisation du secteur. Il faudrait un nouveau plan d’orientation stratégique pour booster davantage le secteur. Mais il y a un regain d’intérêt des autorités qui donnent de l’espoir.

Est-ce que ce n’est pas un problème de continuer à ne cultiver la mangue que pendant la saison des pluies ?

C’est un problème d’autant plus qu’à cette période, il y a aussi la mouche des fruits qui est un parasite très virulent qui apparait pendant l’hivernage. Or, pour avoir de bonnes productions, il faut qu’il pleuve. Je pense qu’il faudrait la maitrise des systèmes d’irrigation, des systèmes de taille et d’entretien des vergers pour leur permettre d’arriver à produire de façon plus précoce, au début ou avant l’hivernage.

Ainsi, pourrions-nous assurer des volumes beaucoup plus importants destinés à l’exploitation. Il est bien possible d’avoir plus d’une campagne, à l’instar d’autres pays comme le Brésil. Il faut juste une modernisation des périmètres, avec un système d’entretien moderne des cultures, des tailles de régénération et de fructification normale, des traitements appropriés pour les parasites et une irrigation qui tienne compte des particularités physiologiques de la mangue.

Quel est l’impact de la mouche des fruits dans la production ?

Les mouches entrainent des pertes de production allant de 60 à 80 % dans la zone Sud. Dans la zone des Niayes, cet impact varie entre 20 et 50 %. Certes, beaucoup de programmes ont été menés et ont pu aider dans certaines zones. Mais tant qu’on n’aura pas une couverture nationale, voire sous-régionale totale, il est utopique de croire que des solutions chimiques ou physiques peuvent régler le problème de la mouche. C’est vrai que beaucoup d’investissements sont en train d’être faits, mais la solution est plutôt phyto-technique que phyto-chimique ou autre chose. C’est-à-dire, il faut arriver à faire produire les mangues et à les récolter avant que la mouche ne s’installe.

Envisagez-vous d’investir dans le Sud où des quantités énormes de mangues pourrissent chaque année ?

Oui. Nous envisageons d’ailleurs de nous implanter très rapidement dans le Sud. Parce que comme vous le savez, il y a une menace réelle sur la zone des Niayes, avec l’urbanisation galopante. Mais le Sud a aussi des avantages très importants, liés à la disponibilité de l’eau et de la terre. C’est vraiment la terre de la mangue par excellence au Sénégal. Pourvu qu’on apporte les moyens techniques et les connaissances et le dispositif nécessaires pour valoriser ces potentiels.

Quels sont les défis du secteur ?

Les défis du secteur, c’est de passer de 11 000 t actuellement à au moins 25 000 t d’ici 2023. C’est très à portée des opérateurs. Il faut juste les accompagnements nécessaires.

MOR AMAR

 

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