Publié le 14 Apr 2016 - 23:32
KOLDA - COMMUNE DE COUMBACARA

Au royaume des sans-papiers

 

Située à 67 km de Kolda, Coumbacara est l’une des communes les plus enclavées de la capitale du Fouladou. Dans cette localité, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont privés d’existence juridique. L’ignorance et la négligence des parents sont à l’origine de cet état de fait. La situation des enfants devient dramatique lorsque, exclus du système scolaire, privés des systèmes d’aide et de protection, ils tombent dans la mendicité. Dans la commune, malgré la synergie des efforts, les sans-papiers font légion. EnQuête s’est promené dans les villages de Saré Mansaly et de Thiydelly.

Reportage

Dimanche 27 mars 2016. Il est 8 heures 06 minutes. À bord d’une moto Jakarta, nous prenons la direction de Coumbacara. La commune polarise 60 villages. Une heure 45 mn plus tard, nous voilà au village de Thiydelly de l’arrondissement de Mampatim. 72 km séparent cette localité de la capitale régionale. Après Thiydelly, cap sur Saré Mansaly où l’existence de certains habitants n’est pas officiellement établie. Ne disposant pas d’actes de naissance, il n’y a aucune preuve de leurs âges, aucune preuve de leur filiation biologique et aucune identité.

Dans ces deux localités visitées et frontalières avec la Guinée Bissau, très peu de naissances sont déclarées au service de l’état-civil. De ce fait, une majorité d’hommes, de femmes et d’enfants n’ont aucune existence juridique. Ils sont condamnés, dès leur naissance, à ne pas être des citoyens sénégalais à part entière. Etant exclus des systèmes d’aide et de protection.

« J’ai oublié mon âge »

Père de six enfants, Bouba Baldé ne connaît pas son âge. Il ne possède non plus aucun papier d’identité. « J’ai oublié mon âge », dit-il d’un air désespéré. Pour survivre et donner à manger à sa femme et ses six enfants, il se meut dans l’agriculture rudimentaire. Une activité qui ne lui procure même pas le minimum vital. En effet, il accueille dans sa modeste demeure ses deux cousins, orphelins de père et de mère. Moussa Diao, le plus grand des deux cousins, est d’ailleurs hospitalisé au poste de santé de Coumbacara dépourvu de médicaments, de moyens logistiques et de personnel qualifié. Il souffre de sous-alimentation chronique. Aucun des six enfants de l’agriculteur ne possède d’acte de naissance. Ils grandissent dans un flou légal.

Boubacry Seydi, cultivateur de profession d’une soixantaine d’années, se sent également laissé-pour-compte. « Quand on a voulu nous procurer des papiers d’état-civil et des cartes d’identité nationale, l’administration m’a demandé de ramener le papier d’état-civil de mon père. Sauf que mon père n’en a jamais eu. » Dépité, il ajoute : « On m’a dit que je n’étais pas inscrit dans le registre de la commune. Je n’ai rien pu faire. Et aujourd’hui, je reste sans aucun papier. » Cet état de fait a des conséquences désastreuses sur sa vie de tous les jours. Par exemple, il ne peut pas voyager librement, ni recevoir de courrier. « Si je veux demander un crédit, je n’ai pas de carte d’identité à présenter », se désole-t-il.

Ce cas est loin d’être isolé dans la commune de Coumbacara où les habitants souhaitent devenir des citoyens à part entière. En effet, cette volonté se heurte à un véritable casse-tête juridique et administratif. « Quand je suis parti au tribunal de Kolda pour avoir mes papiers, on m’a demandé de présenter l’un de mes parents. Mais ma mère est très âgée et ne peut pas faire le déplacement jusqu’à Kolda. Mon père est décédé, il y a plusieurs années », se désole Seydi.

« Ces dix dernières années, j’ai aidé à obtenir pas moins de mille extraits » 

« La possession d’un acte d’état-civil est un réel problème dans cette zone. Chaque année, nous avons jusqu’à 40 élèves qui n’ont pas d’extrait de naissance. De 2006 à nos jours, j’ai aidé de nombreux élèves, des enfants non scolarisés et même des grandes personnes à obtenir des extraits. Ces dix dernières années, j’ai aidé à obtenir pas moins de mille extraits », renseigne Younouss Bodian, directeur de l’école Dembel Baldé de Thiydelly. « Malgré les multiples efforts de l’Etat et de ses partenaires, à travers des campagnes de sensibilisation pour aider ces enfants à sortir de l’anonymat, on a comme l’impression d’être en présence d’un véritable dialogue de sourds. »

Natif de Thiydelly et relais de Enda jeunesse et Action, Mamadou Baldé dit Mounta Baldé donne les raisons de cette situation. Il pointe « le manque de sensibilisation et de moyens financiers, l’ignorance mais aussi la négligence qui font qu’aujourd’hui la plupart des enfants n’ont pas d’extraits de naissance à Thiydelly. C’est une négligence des parents qui fait que la vie de leurs enfants est hypothéquée ». Djouba Baldé, habitant de Saré Mansaly et agent de développement communautaire, de renchérir que les parents ne maîtrisent pas le processus d’obtention d’extrait de naissance. « Ce qui a comme conséquence désastreuse la non-obtention d’état-civil de la plupart des enfants. »

347 enfants n’ont pas de papiers d’état-civil

En novembre 2015, l’ONG Enda Jeunesse et Action, en collaboration avec la commune de Coumbacara, a mené une enquête pour recenser tous les enfants qui n’ont pas d’extrait de naissance, afin de les aider à en avoir. « Cette enquête nous a permis de recenser 722 enfants dans le village de Thiydelly et 727 enfants à Saré Mansaly. Au cours de cette enquête, nous avons pu remarquer qu’il y a 47 garçons et 52 filles sans extrait à Saré Mansaly. A Thiydelly, il y a 118 garçons et 130 filles qui ne possèdent pas d’extrait de naissance. Ce taux est très élevé », souligne Lamine Diao, animateur à Enda Jeunesse et Action qui intervient dans ces deux villages. 

L’article 7 de la convention relative aux droits de l’enfant spécifie que chaque enfant a le droit d’être enregistré à la naissance sans discrimination aucune. L’enregistrement à la naissance devra être effectué immédiatement après la naissance, ou le plus tôt possible. Mais, dans certaines zones rurales comme Coumbacara, un tiers des enfants ne sont pas enregistrés à la naissance. Un enfant issu des 20% de ménages les plus pauvres a moins de chance d’être enregistré.

A défaut de fréquenter l’école, ces enfants tombent dans la mendicité

Les enfants qui n’ont pas d’acte de naissance n’existent pas au regard de la loi et risquent de rester en marge de la société, ou même d’en être exclus. Grandissant dans un flou légal et pourtant baptisés en grande pompe, 347 enfants de Thiydelly et de Saré Mansaly ne peuvent pas fréquenter un établissement scolaire. Ce qui hypothèque sérieusement leur avenir. « C’est devenu monnaie courante dans notre zone. Ils sont devenus des talibés », affirme Bassirou Baldé, fils du chef de village de Saré Mansaly.

En effet, le service qui fournit les papiers d’état-civil laisse beaucoup à désirer. C’est le moins qu’on puisse dire. Travaillant dans des conditions misérables, forcés d’exiger des frais pour l’émission d’un document, les fonctionnaires locaux ne sont pas précisément en odeur de sainteté avec la population. Excepté la délivrance des actes de naissance, tous les autres services d’état-civil sont concentrés à Kolda. Un citoyen qui veut avoir un passeport, une carte d’identité nationale ou fiscale, un permis de conduire ou plus simplement un extrait d’archives, doit impérativement s’y rendre.

Les campagnes de sensibilisation se multiplient

Pour aider ces enfants sans extrait de naissance à sortir de l’anonymat, la municipalité, les groupements de femmes et des ONG travaillent avec le gouvernement.  Les programmes prévoient le développement des ressources humaines, du matériel pour l’enregistrement des naissances, entre autres. Toutes ces actions visent à renforcer les systèmes de protection de l’enfant afin de réduire les obstacles à l’enregistrement à la naissance et de donner les moyens de garantir l’enregistrement de tous les enfants.

« Le groupement de femmes de Saré Mansaly a décidé de puiser dans sa caisse une somme de 300 francs pour que chaque femme qui accouche dans la case de santé puisse être enregistrée dans le cahier du village, puis dans le registre de l’état-civil de la commune », explique Dioubel Baldé leur porte-parole. Quant à la municipalité, elle compte multiplier les campagnes de sensibilisation « pour amener les parents à enregistrer leurs enfants dans les cahiers de village, puis à l’état-civil de la mairie », renseigne Samba Kandé, premier adjoint au maire de Coumbacara. « Nous sommes choqués de voir des milliers d’enfants issus des villages de notre commune encore sans extrait naissance. Or, il y a une panoplie d’ONG et de partenaires qui interviennent dans l’état-civil. Nous pensons que cela ne devrait plus être un problème. »

De son côté, Abdoulaye Diallo, secrétaire général de la municipalité et seul officier d’état-civil pour une population estimée à 14 mille 752 habitants, pointe un manque d’éducation civique. 

EMMANUEL BOUBA YANGA

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