Publié le 31 Oct 2017 - 08:34

L’inquiétant néocolonialisme français en Afrique

 

Après l’humiliation subie à Dien Bien Phu en 1954 et l’entame de sa coûteuse guerre d’Algérie, la France fut obligée d’octroyer des semblants d’indépendances à ses anciennes colonies d’Afrique. Le fait advenait aussi sous la pression des puissances anticoloniales que sont les USA, l’URSS et la Chine. Le départ de la France de ses anciennes colonies ne fut donc jamais effectif.

Au contraire, à travers les réseaux Foccart, du nom de ce véreux collaborateur du Général De Gaulle, elle s’assura la collaboration de régimes dictatoriaux pour profiter de la rente des ressources naturelles comme ce fut le cas au Gabon avec Omar Bongo, en Côte d’Ivoire avec Houphouët Boigny…

Partout ailleurs, où les leaders africains s’opposèrent à la politique de subordination de la France, ils furent exécutés après des putschs. Au Mali, Modibo Keita fut écarté au profit du Moussa Traoré, Au Togo, Sylvanus Olympio fut assassiné et le dictateur Gnassingbé Eyadema fut installé ; au Cameroun, Amadou Ahidjo fut destitué au profit de Paul Biya ; au Burkina Faso, le jeune capitaine Thomas Sankara, qui avait des relations tendues avec François Mitterrand, parce que voulant une indépendance effective de son pays, fut assassiné en 1987.

La France fut également impliquée dans des guerres civiles en Centre Afrique, au Congo Brazzaville, au Biafra, au Tchad...pour satisfaire sa soif de matières premières, notamment le pétrole et l’uranium. Les cas sont nombreux et laissent croire que la France n’est pas prête à se départir de ses anciennes possessions. Elle maintient la dépendance des états africains par la pérennisation d’un système économique et monétaire suranné dont le symbole est le Franc CFA, le Franc des Colonies Françaises d’Afrique devenu après les indépendances hypothétiques, le Franc de la Communauté Financière Africaine avec un fond de garantie versé au trésor français. Les autorités françaises ont aussi encouragé l’installation de compagnies aux pratiques douteuses en Afrique. Ce fut le cas de la nébuleuse Elf puis Total qui ont profité de la manne pétrolière pour enrichir des réseaux mafieux.  

Au début des années 2000, le gouvernement de Nicolas Sarkozy trouva peu d’intérêt dans le maintien de sa politique étrangère en Afrique. Il y eut d’ailleurs une réduction du personnel des ambassades et des troupes militaires stationnées sur le continent. Cette logique de désengagement fut cependant très vite revue du fait de la présence de plus en plus marquée de la Chine sur le continent. La France n’entendait pas laisser l’Afrique devenir une chasse gardée de la Chine. Elle s’est dès lors engagée dans une course de reconquête du continent. En Côte d’Ivoire, elle facilita la prise de pouvoir d’Alassane Ouattara alors que le président Laurent Gbagbo fut extradé au tribunal international de la Hayes. Le journal d’investigation Médiapart a d’ailleurs prouvé les accointances qui existent entre l’ancien président Sarkozy et l’ancien procureur Tribunal de la Hayes Luis Moreno Ocampo dans ce dossier.

En Lybie, Mouammar Kadhafi fut éliminé davantage pour ses idées panafricanistes que pour la répression qu’il avait conduite contre les mouvements de révoltes. Le retour en force de la France en Afrique se matérialise davantage aujourd’hui au Mali sur fond de lutte antiterroriste qui ne dit pas son nom, en Côte d’Ivoire et au Sénégal par le renouvellement d’accords secrets, l’installation de compagnies françaises dont les plus en vue sont Total dans le secteur du pétrole, Eiffage dans les infrastructures routières, Bolloré dans l’activité portuaire, Orange dans les télécoms…

Dans ces différents pays, des hommes d’affaires français soutenus par le gouvernement Macron investissent de nouveaux secteurs dont celui de l’aéroportuaire. Ce retour qui peut être assimilé à un néocolonialisme d’affaires se déroule dans un contexte d’activisme de la jeunesse africaine éprise de démocratie et d’une meilleure gouvernance, mais qui revendique surtout la suppression du Franc CFA considéré comme une monnaie relique du colonialisme français. La nouvelle situation pourrait desservir les élites politiques du continent et entrainer une désaffection progressive des populations vis-à-vis des pouvoirs publics et par ricochet un ressentiment irréversible contre la France. Sur le long terme il faudrait s’attendre à une instabilité sociale et institutionnelle accrue du fait des exigences de cette jeunesse éprise de libertés.

Dr. Mohamed Lamine Manga Historien et analyste politique

Coordinateur de projets/ Unicef Norvège

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