Publié le 27 Aug 2015 - 02:47
L’OCCUPATION DES COULOIRS DES PAVILLONS A L’UCAD

Un palliatif au déficit de logement

 

On peut les appeler des sans-abris. Eux, ce sont des étudiants qui, pour faire face aux problèmes de logement à l’Ucad, se sont installés dans les couloirs des pavillons en y dressant des tentes. Les autorités du Coud avaient pris la décision de mettre fin à cette anarchie, mais face à la détermination des concernés, elles ont fait une reculade.

 

« On n’ose même pas dire à nos parents qu’on passe la nuit dans les couloirs, sinon, ils vont s’inquiéter pour nous. » Propos d’un étudiant qui a élu domicile au couloir H du pavillon A. Les « sans abris » de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar sont partout au niveau des couloirs et balcons du bâtiment A. Dernièrement, ils ont fait l’actualité lorsque le Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) a décidé de les déloger.

Ces étudiants n’ont pas où passer la nuit. Ils sont venus pour la plupart des régions éloignées de la capitale ou de la banlieue dakaroise. Ils n’ont pas les moyens de payer une chambre dans les quartiers proches de l’Ucad. « Bienvenue chez nous », lance un étudiant avec beaucoup d’humour. Lui et ses camarades sont venus s’installer au couloir H du pavillon A. Ici des dizaines de matelas sont alignés tout le long du couloir. Moustiquaires, sacs de voyage, documents, vieux draps, habits accrochés sur les fenêtres et les lignes de séchage et objets divers forment un décor digne de celui d’un camp de réfugiés.

Même si le phénomène est partout dans le campus social, le pavillon A résume les difficultés des étudiants. Les tentes sont apparues l’année dernière. Mais depuis les échauffourées de la dernière fois, elles ont disparu. Ainsi, les occupants se retrouvent exposés à la vue des passants, nuit et jour. Certains occupants ont tous leurs bagages sur les lieux. D’autres les déposent dans les chambres d’à côté. Entre les va-et-vient des passants et le bruit qui fuse de partout, l’ambiance est très animée, en ce début de soirée. Les raisons qui poussent ces jeunes à venir s’installer dans ces couloirs sont nombreuses et identiques. « Je suis de Vélingara. Je n’ai ni parent, ni tuteur à Dakar. Donc, je suis obligé de rester ici pour suivre mes études », explique Abdourahmane Sow. Le jeune étudiant en Première année de Philosophie et ses camarades supportent leur situation grâce à leur fatalisme. « Nous vivons des conditions très difficiles, mais on préfère ne pas en parler, car tout ceci ne sera qu’un mauvais souvenir, un jour. C’est la volonté divine et nous l’acceptons », souligne l’ami et compagnon de fortune de Sow au regard fuyant.

Nébuleuse dans les codifications

A quelques mètres de là, cinq étudiants sont assis sur deux vieux matelas. Parmi eux, une fille. Elle est venue rendre visite à ses amis. Contrairement à nos précédents interlocuteurs fatalistes, ici on indexe directement les autorités du Coud et les amicales d’être les responsables de la situation. « La distribution des chambres n’est pas transparente. Elles sont occupées par les syndicalistes et des personnes qui ne remplissent pas les conditions pour en bénéficier », accuse Bakary Thiam. Pour prouver ses allégations, le Lougatois brandit son relevé de notes. « Regardez ! J’ai eu une moyenne de treize et j’ai eu mes soixante crédits malgré la difficile session unique de l’année dernière, mais à ma grande surprise, je n’ai pas codifié (bénéficier d’une chambre Ndlr). C’est anormal ! Quand ils affichent les listes de ceux qui ont codifié, ils ne mentionnent jamais leurs moyennes pour qu’on puisse savoir qui a eu quoi », se révolte-t-il.

« Les autorités du Coud vendent les chambres aux étrangers (Marocains, Cap-Verdiens etc.) ». En discutant avec les étudiants sur les problèmes de logement, cette accusation revient dans les propos de plusieurs intervenants. Certains résidents, dès qu’ils voient leurs condisciples non sénégalais occuper une chambre, crient à la fraude. Ils semblent ignorer que ces derniers ont droit aux œuvres universitaires, notamment aux logements. Selon Abdou Ndoye, responsable des hébergements, les étrangers disposent de quotas consacrés par les textes qui régissent l’université. Ils déboursent chacun une contribution de 250 000 francs CFA annuelle pour bénéficier de tous les services du Coud, à l’exception des Marocains dont le gouvernement a signé des accords avec le Sénégal. Document à l’appui dans son bureau sis au pavillon B du campus social, M. Ndoye justifie la présence des non-sénégalais dans la Cité universitaire. « Les listes des étudiants étrangers bénéficiaires d’hébergement sont envoyées par leurs ambassades respectives, chaque année », renseigne-t-il.   

Pour justifier le déguerpissement des couloirs, le Coud avait avancé, entre autres raisons, sa volonté de permettre à ceux qui ont bénéficié des chambres d’être en paix et d’avoir la quiétude. Mais cet argument n’est pas partagé par les étudiants concernés. Ils sont plutôt, dans leur grande majorité, solidaires de leurs camarades « sans abris ». Habillé en chemise blanche et pantalon noir, Bakary Thiam réfute cette affirmation des autorités du Coud. Il s’explique : « En réalité, ceux qui sont dans les chambres sont nos copains. Nous sommes vingt dans notre chambre. On ne tient pas tous dedans, voilà pourquoi on sort nos matelas. »

‘’Dès la rentrée prochaine, on va mettre fin à cette situation inacceptable’’

Ainsi, le Coud a reculé dans sa volonté de déloger les occupants des couloirs. D’ailleurs, très déterminés, certains étudiants ont été arrêtés et envoyés en prison, lors de la manifestation contre la mesure de déguerpissement. Mais le Coud n’a pas dit son dernier mot. «On a tenté, mais ils ont refusé de partir et on les a laissés, en utilisant la règle de la tolérance. Dès la rentrée prochaine, on va mettre fin à cette situation inacceptable, car des problèmes de sécurité se posent sur ces lieux où on ne sait pas qui est qui», promet Abdou Ndoye.

 L’Ucad est une ville à part entière pour beaucoup de citoyens. De très loin, elle ressemble à une caserne militaire ou un camp de réfugiés. Des habits de toute sorte sont accrochés sur les fenêtres des pavillons. Une fois dans le campus social, ce qui frappe le visiteur, c’est le nombre pléthorique d’étudiants dans les rues et couloirs des pavillons. Le nombre d’individus à loger dépasse très largement celui de places disponibles. « Trois mille huit cent quatre-vingt-onze lits pour un effectif estimé à quatre-vingt mille étudiants », lance le responsable des hébergements. Officiellement, les chambres sont attribuées par ordre de mérite basé sur les résultats des examens. Elles doivent être occupées au maximum par deux locataires. Mais  aujourd’hui, la réalité est toute autre. On peut trouver douze personnes ou plus dans une chambre. Assurément, ce ne sont pas les trois pavillons inaugurés récemment par le Chef de l’Etat Macky Sall avec leurs mille quarante-quatre lits qui règleront le problème.

Abdourahim Barry (Stagiaire) 

 

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