Publié le 29 Aug 2013 - 18:33
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

26 août à Dakar et en Namibie

 

 

Le hasard du calendrier a associé d’une étrange manière la commémoration de l’indépendance de la Namibie en 1989 et celle de la mobilisation autour de ce mot d’ordre des ''porteurs de pancartes'' sénégalais, le même 26 août mais en 1958, devant le plus éminent représentant de l’autorité coloniale. Le gouvernement namibien a invité à l’occasion de l’anniversaire de la première séquence historique, le président du Sénégal Macky Sall. Au même moment donc, la polémique enflait sur le degré d’implication de l’ancien maire de Rufisque Mbaye Jacques Diop, membre fondateur de l’Association nationale des porteurs de pancartes, à cette fameuse journée du 26 août 1958. Celle-ci dure depuis quelques années entre certains anciens du Parti africain de l’indépendance (PAI) ou des organisations démocratiques qui lui étaient alliées et les amis de Mbaye Jacques Diop. Les raisons de cette longue controverse sont à chercher dans la mystification de l’histoire de notre pays.

Cette journée a vu les leaders de la faction politique qui sera bénéficiaire de l’indépendance octroyée par la France, déserter le champ de la confrontation démocratique avec le colonisateur en chef, au moment le plus déterminant du destin de notre pays : Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia n’ont jamais surmonté psychologiquement cette faiblesse. Ni peut-être les militants de gauche et d’extrême gauche du parti unifié au pouvoir à l’époque, l’Union progressiste sénégalaise (Ups), le trio Abdoulaye Ly, Assane Seck et Amadou Mokhtar Mbow qui rallieront le duo Abdoulaye Guèye dit ''Cabri'' et Thierno Ba, ancien des Groupes d’études communistes (Gec) qui avaient créé l’une des sections rebelles du Rassemblement démocratique africain (Rda), l’Union démocratique sénégalaise (Uds), qui refuseront le repli tactique d’Houphouët Boigny avec la section camerounaise de Ruben Um Nyobé, qui avait pris les armes après sa dissolution administrative par l’autorité coloniale.

Faute d’avoir pu sanctionner par la destitution le leadership défaillant Senghor-Dia, cette gauche va scissionner de l’Ups et fonder le Pra. Pour leur compte, les jeunes de l’Ups qui s’étaient ralliés à eux, Amadou Barro Diène et Mbaye Jacques Diop notamment, sont vite rentrés dans les rangs, l’acceptation du leadership de Senghor étant une tradition familiale. Leur principale faute sera de s’atteler à conforter une histoire officielle, adossés à la toute puissance de leur parti au pouvoir, qui occulte le processus de lutte au sein de l’Ups. Qui escamote la victoire de la tendance de gauche indépendantiste sur la tendance attentiste de Senghor-Dia et qui enfin, dissimule la prise en main de toutes les organisations de masses d’étudiants, de travailleurs, de femmes, de jeunes par les agitateurs propagandistes du Pai et l’ex-Uds. C’est cette falsification de l’histoire qui nous vaut cette mauvaise querelle de savoir si Mbaye Jacques Diop portait une des pancartes d’une des organisations représentatives derrière lesquelles s’étaient rangés en bon ordre les militants respectifs, ou s’il buvait un jus de ''bissap'' quelque part. Sans doute pour tempérer les affres de cette torride journée et ses conséquences sur sa carrière politique débutante.

Une similaire symbolique d’exaltation de la lutte pour l’indépendance se déroule en Namibie au même moment donc où le président Macky Sall, pas du tout héros de la lutte pour l’indépendance de son propre pays, puisqu’il n’était pas né, est décoré héros de la lutte pour l’indépendance de la Namibie qui ne devait pas être son souci d’adolescent. C’est de bonne guerre, le principe de la continuité de l’État veut qu’à cette occasion soit rendu hommage à Macky Sall des mérites de ses prédécesseurs Senghor et Diouf : l’ouverture d’un Bureau de la South-west african people’s organisation (Swapo), l’Organisation du peuple du sud-ouest africain, au début des années 1970 par l’un et la continuité de cette politique par l’autre. Car il s’agit bien de politique : un président aussi civilisé que Senghor savait tout le parti à tirer de cet acte à tout le moins banal puisque l’organisation namibienne aura au bas mot 15 missions à l’étranger appelées ''bureaux'' dont le premier est ouvert en Algérie, le deuxième au Botswana pour cause de proximité, le 3ème à Cuba et que le Sénégal est le 14ème, celui d’Afrique de l’Ouest, derrière le bureau du Royaume uni de Grande-Bretagne qui couvre l’Europe de l’Ouest et avant celui de Belgrade, mais pour la seule Yougoslavie, sis au 6 Boulevard Lénine. 

Le Bureau de la Swapo, 38 rue Jules Ferry, accueillit donc Timothy Hashongwa, un des commandants du People’s liberation army de Namibia (PLAN) dont les étudiants du Cesti  imposèrent la présence à un carrefour d’actualité fort couru que boycottèrent les professeurs ''blancs'', ce qui leur valut un article pimenté du journal mural : ''Carrefours blancs, carrefours noirs''. Mais comme votre serviteur avait tenu à présenter notre hôte au Directeur de l’époque Pierre O’neil, celui-ci lui fit visiter les différents services. Arrivé à l’imprimerie, Hashongwa me fit une réflexion sur une publication qu’il diffusait. Pierre O’Neil, qui était canadien-anglophone, comprit et lui proposa de le faire tirer au Cesti. En ce moment, l’État sénégalais mégotait d’autant plus son soutien que le régime de Senghor était austère. Mes états de services à la cause de l’indépendance namibienne, soutenus à travers ses représentants Timothy Hashongwa, Aoron Mushimba qui était un héros de la Namibie des procès de Windhoek, Eddy Amkongo, Thuliameni Kalomoh relèvent de la guerre secrète entre les services spéciaux favorables à l'Afrique du Sud et à la Swapo.

Le plus burlesque, sur le fond de cette tragédie que vivait ce peuple en lutte soutenue, est le jour où j’ai réussi en coordination avec le représentant de l’époque, Amkongo je crois, à saboter une réunion à Dakar de pays occidentaux, de l’Afrique du Sud et d’africains modérés auquel participait Jonas Savimbi et le leader du mouvement prônant la sécession de la Bande de Caprivi. Savimbi qui ne passait pas inaperçu, a été vite détecté par l’Intelligence de pays amis. Mon rôle consista à le localiser. Ce qui fut fait dans la journée. Le représentant de la Swapo, qui à cette période avait rang d’ambassadeur, rédigea une note de protestation dûment étayée par nos informations. La rencontre se disloqua. A l’indépendance, toutes les dispositions avaient été prises pour que je sois à Windhoek mais malgré le soutien du Bureau de la Palestine au fonctionnaire namibien qui assurait les services courants du Bureau en l'absence du représentant, l’affaire fut malaisée.

Plus malaisé encore fut ma réponse, après l’indépendance, à Mushimba de partir avec lui en Namibie avec le dernier avion mis à sa disposition par un pays ami pour rassembler tous les étudiants à l’étranger et les ramener au pays. Il avait établi ses quartiers où il m’avait demandé de le joindre. Son argumentaire était que j'avais participé à leur lutte, que c'était un pays neuf et sous-peuplé qui aurait besoin de cadres, surtout que mon ami Amkongo dirigeait l'Agence de presse namibienne, NAMPA. Je lui donnai une photo où j'étais avec le vétéran de la lutte namibienne Herman Ja Toïvo, prise dans un magasin d’État à Moscou en juin-juillet 1989. Quand je l'ai interpellé par son nom, il est parti d'un grand rire : ''Non, c'est pas possible, tu ne peux pas me connaître...'' Je lui ai répondu que si, puisque sa photo était régulièrement sur la dernière de couverture d'une revue de la Swapo que je recevais régulièrement. Sa barbe avait juste blanchi ainsi que sa calvitie.

 

  

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