Publié le 22 Mar 2012 - 12:39
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Au nom du peuple

 

La seule incertitude à laquelle est suspendue l’opinion nationale et internationale à l’endroit de l’élection présidentielle en fin de semaine est le nom du vainqueur. Sinon, sauf secousse majeure, c’est le même système ploutocrate qui gouverne le pays depuis l’an 2000, qui restera aux commandes de l’appareil de l’Etat. La lecture la plus irréfutable des résultats du premier tour est la consécration de la doctrine libérale comme l’idéologie de gouvernement du Sénégal.

 

 

 

Cette ploutocratie, représentée dans les deux coalitions concurrentes, restera hégémonique sur l’échiquier politique à cause de sa capacité migratoire au gré du verdict des urnes. Politiquement marginale et insignifiante à l’origine, elle est constituée par la partie de la petite bourgeoisie urbaine qui s’était tenue à l’écart des luttes clandestines. Elle n’aura rien inventé, sa culture politique ne lui venant que de sa lutte légale pour le pouvoir à la naissance du Parti démocratique sénégalais (Pds).

 

 

Cette lutte légale n’est pas à sous-estimer puisqu’elle a fini par triompher. L’élection du 25 mars en est le développement. Le choix entre les deux candidats du second tour devrait être une prouesse démocratique ordinaire à laquelle sacrifient les peuples depuis l’instauration du suffrage universel. L’altération de cette démocratie, dans sa conception bourgeoise puisque issue de la révolution française de 1789, est le fait d’intellectuels petit-bourgeois qui veulent lui donner un autre sens.

 

 

Tels les thuriféraires d’une nouvelle république dont Macky Sall serait porteur de projet et qui sont autant de nouveaux Sisyphe poussant inlassablement leur rocher vers le vertigineux sommet de leurs illusions renouvelées : «Ils n’arrêteront pas la mer de la nouvelle république en marche avec les bras de la rue publique des gourdins», proclame le même Madièye Mbodj qui ouvrit la série des scissions de And-Jëf contre la ligne jugée capitularde de Landing Savané, et qui réédite ce coup en faveur de Macky Sall, tel un servage transmissible de maîtres à disciples.

 

 

Pour lui, le 25 mars devrait être gravé dans notre mémoire collective «comme une étape décisive vers la libération du peuple, le jour d’un nouveau départ pour la construction au Sénégal d’une République citoyenne…» Mais c’est là que le peuple si souvent invoqué demande à voir car si en France, le modèle de république est contesté, c’est parce que certains courants de pensée estiment qu’elle est autoritaire et peu tolérante par exemple sur la question de l’homosexualité qui s’est invitée au débat.

 

 

Or, la réponse assez tiède du candidat Macky Sall semble devoir nourrir une polémique douteuse qui n’en est pas pour autant inutile. L’Afrique du Sud, au terme de son combat soutenu contre la discrimination raciale a pris la grave décision de rendre légale, par sa Constitution, le mariage homosexuel. L’homosexualité ayant été depuis le nuit des temps une pratique privée et intime, sa légalisation serait ressentie par une provocation du même genre que celui qui a sécrété une réaction islamique et de douloureuses convulsions en Somalie.

 

 

Au stade où des changements qualitatifs ont été obtenus sans pertes ni fracas majeurs, le vote a un sens pour le peuple sénégalais que les porteurs d’eau des ploutocrates ne devraient ni travestir ni subvertir. Les «Cantakun» tiennent certes leurs gourdins d’une main mais de l’autre ils brandissent leurs cartes d’électeurs. Leur violence reste donc conditionnelle dans un contexte où les germes de la guerre civile sont dans le discours de stigmatisation excessive de la candidature du président sortant, arrivé en tête du scrutin du premier tour.

 

 

Pour le moment, les deux candidats promettent tant et si bien que leur victoire leur sera un lourd fardeau. Quelque part, le discours du président sortant est pathétique dans sa quête tous azimuts d’un troisième mandat. Sa solitude est aussi tragique : ses plus acerbes contempteurs sont des collaborateurs qui lui furent proches pour ne pas dire intimes. Au milieu du tumulte, Macky Sall, son ancien Premier ministre, s’avance inexorablement, confiant dans son destin, pour lui porter l’estocade.

 

 

Les plus dangereux pour la république, la démocratie et la transparence des élections restent ces théoriciens de l’apocalypse qui en donnent une lecture à géométrie variable, selon leur bonne fortune aux urnes. Ceux-là même qui se réclamaient de la classe ouvrière, revendiquent aujourd’hui une ascendance sur le peuple tout entier et se font leurs directeurs de conscience, parlant en son nom. Il ne reste plus que trois jours pour que ce peuple décide souverainement de son choix.

 

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