Publié le 18 Jan 2013 - 17:30
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

La hantise du terrorisme

 

La stratégie préalablement définie sous le régime de Nicolas Sarkozy était de ne pas engager la France dans des opérations terrestres pour la libération du nord du Mali occupé par des groupes de diverses obédiences islamistes et un mouvement autonomiste. L’avancée de ces groupes vers Savaré a changé du jour au lendemain l’attitude de la France sur la base d’une résurgence de la vieille théorie du domino de la guerre froide que si Bamako tombe, le reste de l’Afrique de l’Ouest pourrait suivre.

 

Or, la poussée des rebelles islamistes au-delà de la ligne de démarcation naturelle du nord et du sud ne menaçait Bamako qu’accessoirement. Son objectif tactique était d’occuper l’aéroport de Savaré pour que les troupes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), apprêtées pour la reconquête des villes du nord, ne puissent l’utiliser comme base de projection.

 

Le président de la Côte-d’Ivoire, l’allié le plus sûr de la France dans la sous-région, a saisi l’occasion de forcer la main à l’ancienne puissance coloniale pour une action vigoureuse, certes nécessaire si l’on s’en tenait à la thèse des partisans de l’utilisation de la force. Il a téléphoné à ses homologue et malien et français pour les accorder sur la nécessité de l’un de demander l’assistance militaire à l’autre sur la foi que le repli de l’armée malienne de ses positions avancées ouvrait la route de Bamako à l’ennemi.

 

La psychose centrafricaine où une rébellion est aux portes de Bangui aidant, le président François Hollande a pris la décision d’envoyer son aviation de combat mais aussi des troupes au sol. Et le déploiement des troupes africaines programmé sur des mois a été anticipé à quelques jours. Le Sénégal a donc décidé d’envoyer un bataillon de 500 soldats, des fantassins et des parachutistes, peu adaptés à cette guerre du désert.

 

Contrairement au Burkina Faso dont l’Assemblée nationale a voté l’envoi de ses troupes, autant la France que le Sénégal ont mis leur peuple devant le fait accompli de la guerre. La voix discordante au Sénégal a été celle du député Mamadou Diop Decroix qui a interpellé le premier ministre sénégalais d’une question orale fondée sur l’article 59 de la Constitution selon laquelle «La déclaration de guerre est autorisée par l’Assemblée nationale». Pour le moment, cette guerre a un bien sympathique visage, celui du ministre des Affaires étrangères Mankeur Ndiaye, qui s’occupe par la bande des affaires intérieures, en alertant l’opinion nationale sur les cellules terroristes dormantes au Sénégal. Ce sont là les symptômes d’une guerre civile internationale contre une «idéologie totalitaire» comme il le dit, à laquelle le gouvernement veut préparer le peuple sénégalais.

 

Le président de la République est revenu sur la question avec une approche plus doctrinale et un alignement théorique sur les thèses de l’Occident hanté par le terrorisme dit islamiste : «Au nom de l’Islam, vous avez des prêcheurs venus d’ailleurs et il faudra les dénoncer et informer les autorités administratives pour que des mesures de protection soient prises.» Il me revient en mémoire une réplique tirée d’un très célèbre western qui soulevait une hilarité générale dans les cinémas : «Au Texas, seuls les Texans ont le droit de voler.» Les prêcheurs étrangers n’auraient donc plus le droit de répandre leur conception de la religion ? Alors que celle-ci dans sa version musulmane comme chrétienne est universelle, il soutient à juste raison que le Sénégal n’a pas besoin d’importer l’Islam d’ailleurs. Si c’est vrai, c’est parce qu’il l’a déjà importé et le Khalifat suprême d’au moins deux confréries religieuses, précisément ceux à qui il s’adressait, sont en Mauritanie et au Maroc. Sans compter les nouvelles associations intégristes dites sunnites à tendance «wahabidoune». Sans compter certaines franges d’étudiants qui ont la conception religieuse du pays qui les a formés.

 

L’utilisation abusive et parfois exclusive du vocable «terrorisme» pour parler des islamistes est un parti-pris injuste sur la question de la démocratie quand on oublie qu’en Afrique, l’interruption du processus électoral en Algérie, parce que les islamistes allaient remporter les élections, est le détonateur de la lutte armée des islamistes. Le phénomène terroriste qui est venu se greffer à ce combat découle lui de l’attentat du 11 septembre à New-York. L’imbroglio dans les exposés de motifs de la guerre est immense et recèle de fantastiques malentendus. La France n’en veut en réalité qu’aux islamistes, lesquels sont pour l’intégrité territoriale du Mali et même pour l’intégration sous- régionale si l’on s’en tient au sigle de l’une des organisations islamistes combattantes, le Mouvement pour l’unité du djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Est-il pertinent de leur opposer que la guerre sert à préserver l’intégrité du territoire malien ?

 

Il est tout aussi pertinent de se demander si les appels du pied du Mouvement de libération national de l’Azawad (MNLA) à Paris et les réponses positives du président français à cet appel ne couvent pas de futures trahisons. Mais le problème que les forces coalisées devront d’abord résoudre, c’est la reconquête du nord malien. Les réticences antérieures de l’Algérie et la voie de la négociation ouverte par le Burkina Faso auront une seconde vie si la solution militaire s’embourbe dans l’immensité du désert. Il faudra alors reprendre le débat là où les bruits de bottes l’ont interrompu : est-il possible, dans nos Etats de démocratie à l’occidentale, d’accorder les idéaux exportés d’Europe à ceux de l’islamisme combattant ? Pour ce qui est de l’intégrité territoriale du Mali, comment oublier que ce sont les mêmes forces qui combattent pour elle, qui ont organisé la partition du Soudan en deux pays du même nom, le second étant juste du sud et de confession chrétienne majoritaire ?

 

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