Publié le 30 May 2013 - 20:36
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

 Mai 1968 : Une étape de la révolution sénégalaise

 

Diverses commémorations de Mai 1968 ou de ses conséquences sont célébrées dans la moite torpeur qui annonce l’hivernage par des acteurs et des imposteurs, des témoins et des frimeurs dont les motivations sont diverses. Ce n’était pas une révolution, le détonateur étant les revendications des étudiants face aux mesures drastiques prises par le gouvernement, comportant la décision de fractionner leurs bourses et de ne les payer que 10 mois sur 12. Le président Senghor peut-il être crédible sous le rapport à cette histoire, 45 ans plus tard, quand il pose en révolutionnaire dont le souci, en évoquant souventefois durant la crise la détérioration des termes de l’échange, est d’opposer dans sa conception particulière de la lutte des classes, la paysannerie à la petite bourgeoisie urbaine, notamment celle émergente dans les universités à cette période ?

 

Les faits, en ce qui concerne les étudiants, découlent de la décision du gouvernement de fractionner leurs bourses à cause de la réussite au baccalauréat de près de 700 élèves. Ces bourses devaient être payées seulement pour les 10 mois académiques sur 12 mois. Mais en ce mois de mai, à la grève d’une demi-journée pour protester contre le fait que les draps de lit n’aient pas été changés depuis près d’une quinzaine, une autre grève d’avertissement devait suivre pour aboutir à la grève générale à partir du lundi 27 mai à 8 heures qui occasionna la charge furieuse de la Garde républicaine, une force militaire, le mercredi 29, et la prise de l’université de Dakar. La quasi-totalité des étudiants de toutes nationalités sont faits prisonniers. Les non Sénégalais seront expulsés. La plupart des élèves qui sont rentrés chez eux la nuit après un dernier meeting se porteront devant l’Université pour voir monter dans les camions les étudiants, certains une main en tampon sur la tête ensanglantée, l’autre bras brandissant un poing indompté vers le ciel.

 

Les populations des quartiers environnants qui avaient entretenu d’excellentes relations avec les étudiants de toutes nationalités s’étaient pressées sur le parcours des camions chargés d’étudiants tandis que, voyant la tournure des événements, les élèves se répandaient à travers les rues de Dakar, attaquant les domiciles des personnalités en vue du régime et celui d’un célèbre speaker en ouolof très acerbe dans ses diatribes contre l’opposition. Le soir du deuxième jour d’émeute, la section régionale du Cap-Vert de l’Union nationale des travailleurs sénégalais (UNTS) décréta une grève illimitée à partir de minuit ''pour le respect des libertés démocratiques et de la personne humaine et pour l’obtention de conditions de vie décente pour l’ensemble des citoyens''. Dans son allocution, le président Senghor, confiant certainement du fait que la plupart des dirigeants syndicaux étaient membres de son parti, l’Union progressiste sénégalaise (UPS), appela les travailleurs à désobéir au mot d’ordre.

 

La grève ayant été totale à Dakar, l’assemblée générale de délégués à la Bourse du travail fut dispersée et la centrale syndicale décapitée par l’arrestation de ses principaux leaders. L’histoire du mouvement syndical n’a pas assez rendu justice à la mémoire de l’un des secrétaires généraux de l’UNTS resté en liberté qui organisa alors la résistance. Entré dans la clandestinité, Abdoulaye Thiaw, ancien Secrétaire général de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (UGTAN), érigea un Comité de grève dont le premier communiqué rétablissait la réalité des faits face aux déclarations officielles fallacieuses relayées par Radio Sénégal selon lesquelles le travail avait repris. Ce communiqué n°1 promettait un second communiqué n°2 qui envisagea des objectifs insurrectionnelles à la grève générale, tels le démontage des rails, l’incendie des stations d’essence et l’instauration d’un gouvernement de salut public.

 

Issu des groupes d’études communistes du Rassemblement démocratique africain (RDA), Abdoulaye Thiaw était un des précurseurs du syndicalisme révolutionnaire en qui somnolait une certaine nostalgie du marxisme classique selon lequel ''l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes''. Le président Senghor, qui le connaissait bien, lui envoya un émissaire en la personne d’un de ses camarades de la plus vieille gauche sénégalaise, le député James Benoît. Faute d’accord, Abdoulaye Thiaw dépêchera à l’aéroport de Dakar Yoff un commando des Jeunesses de l’UNTS pour intercepter Doudou Ngom, leur Secrétaire général, de retour de Genève pour le soustraire à l’éventuelle emprise de Senghor dont il était un militant de son parti. Ils furent précédés par la Sécurité d’État qui enleva proprement le dirigeant syndical pour qu’il négocie avec le gouvernement les modalités de levée du mot d’ordre de grève.

 

Cette levée fut effective après une rencontre entre une délégation de l’UNTS menée par Doudou Ngom et composée de Babacar Thiam et Alassane Sow et une délégation du gouvernement conduite par Magatte Lô, président du Conseil économique et social. A terme, le communiqué qui verbalise la négociation annonce une concession mutuelle : le gouvernement s’engage à libérer immédiatement les syndicalistes détenus et la délégation syndicale engage conséquemment tous les travailleurs à reprendre le travail le mardi 4 juin. Le décès du président Lamine Guèye, le 11 juin, marque une transition vers les accords en 18 points du 12 juin. Dans un message à la nation, le président Senghor déclare que ces accords sont une nouvelle étape dans la révolution sénégalaise commencée en 1945 avec la participation des paysans de la brousse à la vie politique. Entre-temps, n’avait-il pas été élu, le 26 février 1968, soit trois mois avant la grande secousse, avec 99,47 % des inscrits ?

 

 

 

 

 

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