Publié le 29 Mar 2012 - 16:07
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Quelle nouvelle politique ?

 

La théorie qu’une nouvelle République serait née le 25 mars est une seconde utopie sur laquelle des compagnons de route du président Macky Sall voudraient asseoir le prochain régime. Ceci n’est pas une révolution démocratique comme ne l’était pas non plus la première alternance de l’an 2000. Ce malentendu avait perdu les alliés de gauche du Parti démocratique sénégalais (PDS) pour qui l’alternance compensait leur rêve ajourné d’établir une démocratie sociale.

 

Faute de cette nouvelle République, le peuple sénégalais devrait bien se satisfaire d’une nouvelle politique qui se démarque de la gestion libérale. La plus urgente, la baisse de la fiscalité et des prix des denrées de première nécessité s’impose d’autant plus au nouvel élu que c’est aussi une promesse de campagne. Mais l’énumération quotidienne de la demande sociale relayée par la presse au discrédit du pouvoir libéral, le mal développement en somme, lui sera imputé de surcroît.

 

Son prédécesseur avait conçu un projet de développement à marche forcée reposant sur de gigantesques réalisations infrastructurelles. Et pour la première fois dans l’histoire politique récente du Sénégal, il avait mis en vecteur le bilan de ces réalisations pour solliciter le suffrage de ses concitoyens. Cet usage instauré induit que son successeur sera aussi jugé à l’aune de ces grands travaux achevés ou à achever et dont il lui incombe par ailleurs de faire l’évaluation.

 

La diabolisation excessive de l’ancien président présente son tour d’adieu aux chefs religieux comme une quête de protection et d’impunité pour son fils notamment. Le devoir de transparence inscrite dans la Constitution impose effectivement à Macky Sall de faire l’état des lieux. Cependant, comment peut-on poursuivre pour délinquance économique un régime dont le ministre de l’Économie et des Finances a été crédité du titre de meilleur ministre de toute l’Afrique plutôt deux fois qu’une ?

 

Au surplus, le vide juridique en matière de sanction des membres de gouvernement indélicats astreint le nouveau régime à faire preuve d’imagination si sa posture moralisatrice est sincère. L’un des acteurs de la première alternance, qui en deviendra le premier Premier ministre, tint le discours ambigu que son régime n’allait pas procéder à la chasse aux sorcières. Il fixait les limites naturelles d’une gouvernance ordinaire qui conserve intacts les mécanismes de concussion et de prévarication.

 

Après plus de 50 ans, le Sénégal aligne difficilement des sanctions de ministres sinon sous Senghor, un certain ministre de l’Information pour une sombre affaire de quelque 9 millions, sous Abdou Diouf son meilleur ami Ousmane Seck, ministre de l’Économie et des Finances emporté par le scandale d’un bateau pillé et plus tard sous la première alternance, son collègue Mamadou Seck qui démissionne pour être blanchi par la justice.

 

Ce n’est pas que j’ai oublié l’ancien maire de Dakar, Lamine Diack ou de Thiès, Mbaye Diouf et Idrissa Seck mais plutôt parce que la sanction des maires, administrative ou pénale par l’exécutif ou les tribunaux était une sublime banalité et entrait dans le cadre d’une politique d’intimidation et d’incitation à la transhumance au début de l’alternance. C’est dire que la tradition politique du Sénégal démocratique n’est pas répressive et qu’elle est à la limite tolérante.

 

Le débat sur la séparation des pouvoirs institutionnels que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire a longtemps occulté celui de la séparation de la politique et de l’activité économique entrepreneuriale. Ainsi la tentative de créer une bourgeoisie nationale à sa dévotion a-t-elle été fatale aux régimes successifs, socialistes avec le compte K2 et les sociétés nationales comme libéral avec la rémunération excessive des fonctions politico-administratives, le détournement des budgets ministériels de leur affectation et la création d’agences échappant au contrôle administratif.

 

L’actualité brûlante pose ce débat à travers la proximité au nouveau chef de l’État d’hommes d’affaires richissimes. L’origine de la fortune de ces milliardaires n’est pas en cause, ceux-ci étant connus pour, ayant accumulé leur argent à l’étranger, échapper à la règle établie par les pouvoirs successifs que les riches s’enrichissent par le pillage des fonds publics. La seule question qui se pose est de savoir comment le président élu va se dédouaner de leur générosité a priori désintéressée ?

 

Elle est cependant moins cruciale que cette autre dépendance à ses alliés venus des marges de Benno dans ses différents avatars. Les hommes d’affaire qui y militent sont enrichis à cause de leur proximité avec les pouvoirs successifs et les marchés publics à eux octroyés. Leur présence dans les Assises nationales y laisse l’empreinte d’une bourgeoisie nationale qui peine à émerger et à se rendre autonome. Deux figures emblématiques les représentent : le chanteur Youssou Ndour et l’entrepreneur Bara Tall.

 

Le premier s’est surpassé dans la contestation du régime défunt, non point seulement par sa candidature avortée à l’élection présidentielle mais encore par sa participation aux actes subversifs posés par la frange la plus extrémiste des manifestants. La promesse d’obtenir une licence dans l’exploitation de la téléphonie mobile serait un précédent dangereux dans l’attribution des marchés publics pour un régime qui s’annonce vertueux.

 

Le second, Bara Tall, avait été tellement martyrisé par le régime libéral déchu qu’il n’était pas de bon ton de s’interroger sur l’origine de ses malheurs qui tient d’un mauvais compagnonnage avec la politique, et de la prise de partie dans la querelle de leadership interne au parti libéral en faveur d’Idrissa Seck. Aujourd’hui, il est aussi inquiétant que Youssou Ndour dans sa posture de héros de la deuxième alternance en invoquant son compagnonnage irréversible avec les politiques et son ancrage douteux dans la soi-disant société civile et le contrôle citoyen : ''On ne les lâche plus !''.

 

Section: