Publié le 12 Jul 2013 - 12:44
La Chronique de Magum Kër

Une Ligue si peu démocratique

 

L’une des têtes pensantes de la Ligue démocratique (LD), la principale depuis la liquidation en 1978 de la fraction dite ''marxiste-léniniste'' menée par Moussa Kane, un autre professeur de philosophie, feu Babacar Cissé, économiste à la Société nationale d’électricité (SENELEC) et Tidiane Kane, ingénieur au Port autonome de Dakar, est donc venue, sur le tard, présider aux destinées de cette organisation dissidente du Parti africain de l’indépendance (PAI) en 1974.

Dans nos poncifs de militants venus à la Ligue par ses premiers noyaux d’étudiants, malgré la fascination qu’ils exerçaient sur nous, et aussi dissemblables qu’ils soient, Abdoulaye Bathily et Mamadou Ndoye en représentaient l’aile ''national-patriotarde''. Ce jugement serait-il fondé sur la rumeur après coup qu’ils faisaient partie de la tendance de la direction qui inclinait à fusionner avec le Rassemblement national démocratique (RND) du Professeur Cheikh Anta Diop ? Vraie ou fausse, leur évolution future l’accrédite.

Ce débat m’avait trouvé éloigné du pays. Une fois revenu, j’avais reçu un compte rendu détaillé de la situation de l’organisation par un membre du comité de ville. Ma transition de la vie d’étudiant à celle active retardait mon insertion dans les comités de base mais je n’étais pas sevré de débats ni d’information. Le contact avait été renoué non seulement avec les étudiants du parti, mais aussi avec ceux avec lesquels nous étions en unité d’action dans divers cadres de masses. En substance, les factions mal réunifiées par le Jamono, le document de base jugé d’inspiration trotskiste, aiguisaient les couteaux, la cohabitation étant devenue impossible entre la majorité du comité directeur et la fraction dite marxiste-léniniste dont la priorité était l’unification des organisations communistes plutôt que l’implication tactique dans une coordination de toute l’opposition. L'équation de la fraction marxiste-léniniste fut tranchée par un débat démocratique dont elle tira la conclusion d’aller fusionner sans précaution préalable avec le Parti africain de l’indépendance (PAI) de Majmouth Diop.

Le noyau de base Salvador Allende ayant siège à mon domicile à la Médina fut le premier à tenir un meeting public d’information de sortie de clandestinité, de format modeste. Un officier de police Pulaar de famille médinoise, envoyé par la sûreté d’Etat, qui se tenait à distance adossé à son véhicule, fut invité à s’asseoir à l’ombre sur un fauteuil confortable à proximité de la présidence de séance. Lamine Diack, le maire de Dakar alors au zénith de sa carrière politique, évoquera lors de son contre-meeting certainement plus massif, ''la réunion ici même des trotskistes,  la semaine dernière'' qu’il mit à l’actif de la démocratie sénégalaise. La confusion entre la Ligue démocratique (LD) et la Ligue communiste des travailleurs (LCT) moins rayonnante sur le champ politique, nous frustra beaucoup. Au cas où cette erreur serait le fait du rapport de police, nous nous engageâmes à mieux éclaircir la lanterne des fonctionnaires du renseignement.

Autant que je me souvienne, la seconde réunion publique d’information devrait avoir lieu à Ouakam, sous l’égide de Mamadou Ndoye. C’est sur les lieux, la place publique de Taglou,  que je pressentis le désastre à venir : Mamadou Ndoye, membre d’une des grandes familles charpentes de la collectivité léboue, ne s’était pas présenté aux notabilités coutumières. Dans une posture d’attente, les bras croisés, il se tenait sous l’ombre rare, un des parents de sa femme Ndack, faisant la navette. Les leaders de la ligue étaient habités par une sérénité confiante devant l’adversité et dans les tumultes de cette période que Ndoye incarna de son mieux ce jour là. Il était étrangement souriant quand l’oncle de Ndack nous tint un discours embarrassé, corsé par son accent lébou sous l’ombre qui rétrécissait alors qu’une fenêtre s’ouvrait et se fermait entre deux huées : ''Mamadou, bama sagnone, la fi def mu antu…'' (Mamadou, s’il ne dépendait que de moi, tu réussirais tout ce que tu entreprendrais ici…).

Mamadou Ndoye restait inébranlable à mesure que les pierres qui tombaient ça et là, plus pour marquer l’espace que pour blesser, se rapprochaient. Je me souviens être avec Abdoulaye Diop, professeur de Mathématiques à l’Université de Dakar, les derniers à quitter Mamadou Ndoye, dans un repli en bon ordre. Ouakam était sous la double hégémonie du Parti socialiste au pouvoir à l’époque et du PAI-Sénégal à cause de Maguette Thiam. Cet incident est révélateur des rapports difficiles entre les deux organisations marxistes qui déteignirent sur les conditions de sortie de clandestinité et leur crédibilité respective. Leur rivalité et la lutte fratricide qui en découla, eurent des effets au plan national extrêmement négatifs sur la cohésion du mouvement syndical et sur l’hégémonie traditionnelle de la gauche. Au plan international, leurs contentieux furent arbitrés par les pays du camp socialiste et Cuba avec un pic jamais atteint dans le déballage lors de la querelle de représentativité suscitée par le Festival international des jeunes et des étudiants de la Havane.

A ses débuts, la Ligue démocratique, se disant ''un groupe de propagandistes en voie d’implantation'', était néanmoins structurée comme une organisation de type léniniste très cloisonnée avec un Comité directeur sur lequel Babacar Sané exercera une ascendance diffuse. Mais, malgré sa poigne de fer qui lui valut d’être classé stalinien, il ne réussira pas et son successeur encore moins, à établir dans le parti ''cette discipline d’airain qui fait la force des détachements du prolétariat''. Pour la bonne raison que de prolétariat, il n’y en eût point et si l’on retient la définition a posteriori du nouveau secrétaire général Mamadou Ndoye, de ''parti de cadres'', ces cadres n’avaient personne à encadrer. C’est pourquoi, l’histoire de la Ligue est celle de la liquidation progressive des franges jeunes qui l’ont rejointe par le groupe issu du PAI-Sénégal duquel émerge le plus intrépide, Babacar Sané que son militantisme au sein de l’Union démocratique sénégalaise (UDS) prédisposait à rayonner dans les compétitions électorales en vue.

Son succès personnel, lors de la première campagne électorale à laquelle il participa en 1983 et son supposé autoritarisme avaient ligué contre lui une majorité de l’instance dirigeante renouvelée, lors du congrès suivant. Son rapport fut adopté, puis lors d’un vote dont il attendait l’issue sans crainte, le lion de Sandikoly fut défait puis contraint à migrer vers la formation du président Mamadou Dia, le Mouvement démocratique populaire (MDP). La nouvelle me surprit dans l’enceinte du quotidien Le Soleil où Chérif El Walide Sèye baptisait son fils. Comme nous avions gardé des relations amicales, Babacar Sané me consulta sur les propositions que l’ancien président du Conseil de gouvernement Mamadou Dia lui avait faites, notamment d’être quasiment le numéro 2 du MDP et me proposa de l’accompagner. Je déclinais sa proposition avec deux arguments que j’avais servis à Maître Abdoulaye Thiaw en une circonstance similaire : Mamadou Dia n’aura jamais un autre second que Mody Diagne et aucun leader ne laissera l’appareil de son parti à un aussi redoutable bretteur que Sané. En me raccompagnant, il m’aida à retrouver le domicile d’un autre ancien camarade, Ibou Diallo, professeur d’Histoire. Au sortir de ce second entretien, je mesurais pour la première fois combien large pouvait être le fossé qui sépare deux anciens compagnons de lutte en désaccord tactique.  Le ver était dans le fruit.  
 
 

 

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