Publié le 7 Jun 2012 - 10:43
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Vous avez dit Décentraliser ?

 

Le Conseil des ministres se tient ce jour dans cette charmante ville de Saint-Louis, ''un Conseil de ministres décentralisé'', nous dit-on. Les mots ont un sens et c’est le ministre de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales, en même temps maire de la ville-hôte qui nous dit la conception que le nouveau régime a de la décentralisation : ''Lorsqu’on parle de Saint-Louis, on pense au tourisme, parce que c’est une ville patrimoine. On pense aussi à la pêche, compte tenu de la place centrale qu’occupe Guet-Ndar dans le secteur…'' A Saint-Louis donc, ledit Conseil des ministres se penchera sur les questions relatives au tourisme et à la pêche.

 

Au surplus, Saint-Louis ne serait-elle pas un haut temple du savoir avec un prytanée militaire et une universitaire d’excellence sans oublier le Musée de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) ? Le porte-parole du gouvernement, Serigne Mbaye Thiam ne les aurait sans doute pas oubliés dans son énumération des atours de la vieille ville impériale. Mais par association d’idées, il me vient à l’esprit que c’était son rôle de commenter cette innovation gouvernementale de tenir désormais un Conseil des ministres dans les capitales régionales. La première aurait dû d’ailleurs se tenir dans son patelin, Kaolack, au cœur du Saloum s’il avait disposé d’un aéroport où atterrirait l’avion présidentiel de retour de Lomé.

 

Le principe de décentraliser serait-il bon que l’application s’en trouve d’emblée viciée. Décentraliser un Conseil des ministres est un non-sens. Un conseil des ministres se tient toutes les semaines avec l’ensemble des ministres qui constituent le gouvernement sous la présidence du chef de l’État. Un Conseil des ministres décentralisé, comme il ressortirait de l’innovation du régime de Macky Sall, est comme la poudre qui n’a plus besoin d’être inventée, et est appelée dans la tradition républicaine un conseil interministériel, lequel est présidé par le Premier ministre et est thématique. Ainsi donc un conseil interministériel aurait pu combler le besoin du gouvernement, des autorités locales et des acteurs économiques de réfléchir sur les programmes prioritaires de développement.

 

Le transfert du Conseil des ministres tel qu’envisagé par les nouvelles autorités n’est pas de bon augure. Il pose d’emblée la gageure de le tenir en Casamance au prix d’une réaction du mouvement indépendantiste qui y verrait un test politique et l’occasion de marquer un coup d’éclat. Cet écueil serait-il surmonté, le contenu des délibérations d’un Conseil ministériel décentralisé à Ziguinchor intriguerait plus d’un si le préalable à tout projet de développement reste la fin de la lutte armée. Encore que l’état d’esprit violent avec lequel les populations posent leurs revendications préfigure un siège en règle des lieux de session des conseils ministériels pour imposer leur solution.

 

La décentralisation n’est pas un concept malléable à souhait par les politiciens mais une série de mesures réglementaires dont la première, en 1960, élargit le statut de commune de plein exercice à toutes les communes du Sénégal. Puis des lois successives organisent l’administration communale en 1966, créent les communautés rurales en 1972 et en retirent la gestion aux préfets pour la remettre aux présidents de conseils ruraux en 1990. Cette évolution, qualifiée de très volontariste par l’exposé de motifs de la loi portant code des collectivités locales, accentuait le caractère socialiste du régime sénégalais d’alors après son altération par la dislocation des structures du gouvernement Dia.

 

Un nouvel élan décentralisateur du régime de Macky Sall devrait renouer avec la logique de déplacer les centres de décision vers la base. Sa volonté initiale de combattre le cumul des mandats est un pas dans ce sens. Car à quoi bon tenir des conseils de ministres locaux si les élus du ressort n’y passent pas la nuit. L’idée maintes fois agitée de décentraliser l’administration a aussi ses charmes : le Ministère de l’Enseignement supérieur à Saint-Louis, celui de l’Agriculture à Ziguinchor et de la pêche à Thiès, par exemple. Mais ne vaudrait-il pas mieux, les ministres n’ayant pas tous la trempe de Aly Haïdar, s’en tenir à disperser de puissantes directions techniques plutôt que les ministères dans les secteurs les plus liés à leur vocation.

 

La décentralisation à l’ivoirienne serait recommandable au contexte sénégalais dans lequel se meut depuis l’indépendance une élite politique hégémonique qui se réclame volontiers de la paysannerie. En Côte-d’Ivoire, les politiciens construisent les plus belles maisons dans leur terroir et s’y rendent à la première occasion. La décentralisation à la Macky recèle les travers particularistes perceptibles dans l’accueil ambigu fait par l’autorité de tutelle à la petite Thiaba Diop victorieuse du concours mondial de dictée. C’est un conseiller technique qui est venu relativiser le succès de la petite Rufisquoise par l’échec de son autre adorable compagne de voyage somme toute aussi glorieuse, mais seulement parce qu’elle viendrait du pays profond, selon le représentant du ministre de l’Éducation nationale.

 

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