Publié le 25 Jul 2013 - 13:10
La Chronique de MAGUM KER

La Police est-elle narco ?

 

Des renseignements avaient filtré quelques mois plus tôt que la Central intelligence agency (CIA) avait infiltré les autorités cubaines et que des membres éminents du haut commandement militaire de ce pays avaient été mêlés, sinon impliqués à un trafic international de drogue. L'analyse du gouvernement cubain, soucieux de la morale révolutionnaire mais aussi de la sécurité de ce bastion du socialisme, est que la manoeuvre américaine est une tentative de fournir à son administration un prétexte pour envahir Cuba. Le principal suspect est le général Arnoldo Ochoa, le plus prestigieux des officiers des Forces armées révolutionnaires cubaines que le Leader maximo FidelCastr o avait élevé à la dignité suprême de ''Héros de la révolution en 1984''. Ses états de service nationaux et internationaux sont immenses : instructeur militaire des maquisards lumumbistes entre 1967 et 1969, seul survivant d'une action secrète au Venezuela, commandant en second des forces soviéto-cubaines en Ogaden, vainqueur de la bataille de Quito Cuanavale contre l'armée sud africaine engagée au sud de l'Angola.

Il fut jugé et fusillé le 13 juillet 1989 avec quelques autres officiers qui avaient dirigé le service de lutte contre le narcotrafic. La provocation soupçonnée pour envahir Cuba en toute bonne conscience se confirmera cinq mois plus tard par l'opération contre le Panama. La lutte contre le trafic international de la drogue est devenue un élément de la propagande américaine dans ses actions militaires contre les mouvements politiques rétifs à son hégémonie, que ce soit les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), les djihadistes d'Al Qaïda, ou toute autre dissidence armée de par le monde. Certaines sociétés dites civiles hurlent avec le loup yankee sans circonspection ni retenue alors que des enlèvements sont perpétrés par les services spéciaux américains en dehors de tout cadre juridique international, la dernière étant celle, en avril dernier dans les eaux internationales, du général Antonio Njaï, chef d’État-major des forces armées de Guinée-Bissau dont les autorités de son pays, classé État narcotrafiquant, ont réfuté toutes les accusations.

Le scandale révélé dans notre pays va certainement prendre une dimension stratégique dès lors que l'implication d'officiers supérieurs de la police est établie. Non point pour les Américains, puisqu'ils est établi que cette lutte ne les engage vraiment que quand elle est couplée avec celle qu'ils mènent contre des entités dites ''terroristes'' avec à la clé la fourniture d'armes. La question qui se pose aux autorités de la deuxième alternance, c'est de savoir ici et maintenant comment circonscrire le fléau dans le temps et dans l'espace pour qu'il n'affecte pas la sécurité intérieure et extérieure de notre cher Sénégal, mais aussi pour que le moral des troupes reste inébranlable.

Car tout compte fait, le rapport de la police au narcotrafic n'est pas nouveau. Un certain jour des années 90, un commissaire de police, devenu diplomate, sauta sur une mine entre Bassorah et Bagdad. Lui aussi avait rendu d'immenses services dans la défense de la sécurité intérieure et extérieure de son pays dans le contexte glauque du parti unique et de l'opacité senghorienne. Il semblerait qu'il ait été du service de lutte contre la drogue en une certaine période. Les opérations que les agents sont appelés à y mener sont, comme nous le montre la controverse entre les divers protagonistes du ministère de l'Intérieur, à double tranchant.

Certaines indiscrétions laissent transparaître que les services secrets irakiens, ayant accumulé un faisceau d'indices contre notre diplomate, lui auraient tendu une embuscade qui a valeur d'exécution extra-judiciaire, l'Irak de Saddam Hussein, comme du reste la plupart des pays autoritaires, ne voulant pas s'embrouiller d'arguties diplomatiques avec des pays faussement ''frères''. L'affaire fut donc pliée sans tambour ni trompette. Le rappel est nécessaire, dit le Coran quelque part : ce n'est donc pas salir la mémoire d'un intrépide élément des forces de sécurité que d'éclaircir les circonstances de son sacrifice en service commandé dans un contexte où les missions confiées sont au confluent de la légalité et de l'action subversive.

La rupture tentée dans les promesses généreuses formulées dans une nouvelle Constitution a flétri avec la première alternance. Cette seconde alternance patauge dans les fanges d'une certaine ineptie sénégalaise. La chronique quotidienne des années glauques est remplie par les policiers dits ripoux qui rackettent au coin des rues, lesquels ont peut-être l'excuse d'être mal payés. Ce qui se disait moins, c'est qu'il arrivait que des douaniers un peu mieux payés escortent des contrebandiers au moment où le contrôle de la gendarmerie leur tombe dessus. Sous l'effet d'un mauvais hasard ? Non, vous soufflait-on, ils étaient au courant et voulaient leur part. C'était connu que les saisies de drogues sous scellés disparaissaient et que la part du feu était faite par la hiérarchie, sans bruit ni fureur.

Mais un certain commissaire Keïta, atypique et assez extravagant, au seuil d'une retraite administrative stressante parfois, a invité un Nigérian, Austin, dans un débat dont les conséquences sur la vie et la carrière d'hommes qui ont servi leur pays avec une rigueur apparemment exemplaire, pourrait être tragique. C'est la première grande épreuve pour Macky Sall : avait-il commis une erreur en reconduisant un schéma peut-être éculé, la nomination d'un officier des forces armées à la fonction de ministre de l'Intérieur ? Sinon l'erreur n'est pas sur l'homme choisi, un modèle de pondération et d'abnégation républicaine qui a su surmonter les heures de péril avec sérénité à la tête d'une des forces de frappe les plus décisives, la Légion d'intervention de la gendarmerie (LGI). Le mal est ailleurs, peut-être dans la guerre des boutons que se mènent traditionnellement la gendarmerie et la police, surtout après leur confrontation lors de la grève des policiers en 1987. Son apparent pusillanimité tiendrait dans la volonté de ménager les susceptibilités du corps des officiers d'une institution civile mal reconstituée. Quelle que soit la formule du chef de l’État, les sanctions devraient tenir compte de ce lourd fardeau du passé et de l'équilibre des forces de sécurité dont la gendarmerie reste le lien en cette période trouble ; et certainement le général Pathé Seck ferait-il un meilleur ministre des Forces armées que de l'Intérieur.

 

 

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