Publié le 1 Aug 2015 - 09:09

LA CHRONIQUE DE MAMOUDOU WANE 

 

‘’Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants ; lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles ; lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus, au-dessus d'eux, l'autorité de rien et de personne, alors, c'est là, en toute beauté, et en toute jeunesse, le début de la tyrannie’’. Platon

 

Ecole : Où est donc le coupable !

‘’Ô Rage, Ô désespoir, Ô (jeunesse) ennemie ! sommes-nous tenté de  nous écrier face à ce qu’on s’assimile à un naufrage scolaire, sans précédent. Deux évènements majeurs ont effectivement marqué cette semaine qui décline. Les résultats catastrophiques du baccalauréat 2015 ainsi que le ‘’triomphe’’ (comparé à la grisaille ambiante) des établissements administrés selon le modèle militaire, du moins rigoriste. Ces performances, bien en deçà de ce qu’on devrait espérer, ne peuvent laisser indifférent aucun pan de la société. Elles renseignent sur les menaces qui pèsent sur l’avenir de l’école, sur le temps perdu depuis plus de quatre décennies qu’on parle de réformes du secteur, sur les hypothèques qui pèsent sur la transformation sociale souhaitée  et donc forcément sur toutes les planifications en termes de croissance, ou encore, d’émergence économique, pour utiliser un terme bien en vogue.

Plusieurs paramètres peuvent être avancés pour expliquer cette déliquescence des performances scolaires dans les établissements publics classiques. Nous avons bien sûr lu l’excellent article de notre confrère Mamadou Oumar Ndiaye dans Le Témoin d’avant-hier. C’est sans doute une intéressante perspective que de lire les performances de Mariama Bâ et du Prytanée militaire Charles N’tchororé de Saint-Louis, sous l’angle du régime auquel ils sont soumis (Internat), des avantages (nourriture, hébergement, fournitures etc.) et tout ce qui va avec. Il nous semble cependant qu’il y a d’autres explications qui peuvent raisonnablement être avancées car les causes profondes de cette crise ne datent pas d’aujourd’hui.

Il ne faut sans doute pas oublier que ces jeunes-là, qui échouent en masse au bac, loin d’être une génération spontanée, sont le fruit mûr, le produit achevé d’un long processus dans lequel ils ne sont sans doute pas les seuls acteurs. Comment déconnecter cette terrible réalité que nous vivons, avec des élèves qui tombent comme des mouches devant le jury de l’excellence, aux différentes réformes du système éducatif, encouragées par l’Etat sous Abdou Diouf et sciemment vulgarisées, au motif qu’il faut scolariser le plus grand nombre ? En nous gavant, sur des décennies de concepts hérités d’on ne sait quelle idéologie, de ‘’démocratisation’’ de l’éducation, on a paradoxalement creusé une tombe pour la…grande masse. Il ne faut pas oublier que les élèves qui échouent cette année au bac avaient moins de cinq ans en 2000. Donc, ils portent forcément les stigmates de ces réformes ratées.

Ne devrait-on pas dire…sabotées puisque parmi les recommandations des Etats généraux de l’Education et de la Formation qui devaient permettre l’enfantement de la ‘’Nouvelle école’’, il y avait par exemple, bien griffonné en noir et blanc, ‘’la réouverture des internats des établissements scolaires’’. Il est donc intéressant de voir que des recommandations datant de 30 ans puissent être ressuscitées à la faveur des résultats des établissements comme Mariama Bâ et le Prytanée militaire.

 Il faudra même se demander s’il n’y a pas une volonté politique d’affaiblir l’école dans la conduite des réformes avec d’un côté un Abdou Diouf terrorisé par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) et de l’autre un Jean Collin, digne héritier de l’idéologie coloniale, qui ne voulait par exemple pas que les langues nationales ou l’arabe soient enseignées dans nos écoles. Et comment d’ailleurs ne pas rappeler cette pensée de Maurice Delafosse, dont le lycée qui porte le nom à Dakar égrène des résultats noirs. Il écrivait ceci : ‘’De même qu’il nous faut des interprètes pour nous faire comprendre des indigènes, de même, il nous faut des intermédiaires, appartenant aux milieux indigènes par leur origine et au milieu européen par leur éducation, pour faire comprendre aux gens du pays et pour leur faire adopter cette civilisation étrangère pour laquelle ils manifestent, sans qu’on leur puisse en tenir rigueur, un misonéisme bien difficile à vaincre” (souligné par nous ; in Bulletin de l’Éducation en AOF, n°3, juin 1917). Cela fait froid au dos…

Par la suite, et toujours sous couvert de réformes, n’a-t-on en effet pas vu et accepté que des enseignants appelés sans gêne ‘’ailes de dinde’’ prendre la craie, tracer pour leurs élèves les bien sinueux chemins de l’échec ? Comme Wade par la suite, la volonté de placer de la clientèle politique fait partie du problème. Certains hauts fonctionnaires qui ont encouragé cela ne sont-ils pas encore là, bien en vie ? ‘’Ailes de dinde’’, ‘’double flux’’ et absences de lignes d’horizon claires sur l’avenir que nous voulons donner à l’enseignement dans ce pays, mauvaises évaluations, ou évaluations politiciennes des réformes ont largement contribué à installer une anarchie progressive qui, tel un cancer, a pu évoluer pour prendre les formes actuelles ? Presque métastasées !

Comment dès lors regarder ces jeunes qui, par milliers, viennent échouer aux portes de l’Université, perdus, sans perspective et donc potentiellement dangereux pour la société ? A notre humble avis, loin de devoir les accabler, il faudrait davantage les considérer comme des victimes d’un système plutôt que les artisans de leur propre déchéance. Il faut savoir les écouter pour entendre la voix intérieure, désespérée qui parle en eux. Car, au fond, leur reprocher d’être les artisans de leur propre autodestruction serait réducteur. Ce serait aussi oublier, occulter les responsabilités des familles qui ne sont plus, dans notre société, des espaces d’insémination de valeurs fortes qui faisaient un peu la fierté du Sénégal.

Parce que les cellules familiales sont en crise, pour plusieurs raisons que nous n’aborderons pas ici,  la  faillite du système scolaire peut parfaitement être perçue, sous un certain rapport, comme la conséquence de la déliquescence de l’autorité parentale. On peut naturellement pousser la réflexion plus loin, pour parler de crise d’autorité sur toute la chaîne du fait que parents, oncles, frères, tuteurs, enseignants, directeurs d’école, ont presque tous déserté leurs responsabilités. Il faut savoir que jeune, l’élève, même après l’école, était pris en charge par un membre de la famille (oncle, cousin, sœur etc) qui prolongeait ainsi les enseignements de l’école. La surveillance était stricte. Qui surveille qui, aujourd’hui ? 

Au fond, la question  qui est posée ici, transcende l’école. C’est celle de la faillite des modèles, statuts et rôles au sein de la société sénégalaise. L’enseignant lui-même en paie le prix. Il a sans doute souffert du manque de considération de la société sénégalaise elle-même où de nouveaux modèles (argent facile, enrichissement éclair, le phénomène de la lutte etc.) qu’il a fini par développer beaucoup de ressentiment et de volonté de revanche sur la société... Notre pathologie est loin d’être ordinaire !

Post Scriptum :

J’ai beaucoup hésité avant de vous entretenir de ce sujet. En vérité, j’avais commencé à griffonner quelques réflexions sur l’imam Alioune Moussa Samb de la Grande mosquée. Sauvé par le gong, dira-t-on, l’affaire Tamsir Faye ayant totalement éclipsé ses ‘’performances’’ de la korité. Il devrait remercier l’ex-consul du Sénégal à Marseille d’avoir troublé la mémoire collective. Cette chronique vous sera proposée chaque semaine, avec votre permission. Abdou Salam Kane qui a déjà publié sa première chronique dans ces colonnes, sera aussi au rendez-vous, tous les lundis… Si le Ciel le veut !

 

 

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